Comme toujours lorsqu'elle s'enfonçait dans les terres composant Ashnard, Erika se sentait perdre un temps fou. Entre les difficultés du terrain, sa lubie du voyage à l'ancienne et ses diverses rencontres, pas toujours sereines, elle s'était mise à regretter sérieusement de revenir y poser le pied. Pourtant, elle n'avait plus le choix ; il faut de l'argent pour se nourrir lorsqu'on ne peut cultiver ses propres terres et lorsque la faune manque à l'appel lors de certaines parties de chasse.
L'odeur sur ces terres la fascinait toujours. Un mélange de terre boueuse foulée par centaines chaque jour, de fer, de sueur et de pleures. Rien de bien joyeux, recomposer les événements par l'odorat, aussi étrange faculté cela pouvait-être, n'était pas son activité favorite, mais cela avait au moins le mérite de lui occuper l'esprit et d'éloigner les mauvais souvenirs.
En percevant quelques toitures se profiler à l'horizon, Erika plissa le nez à une senteur qu'elle ne percevait que rarement, mais toujours désagréablement. Une odeur forte de poudre et de feu émanait de Nordarvenk à petites effluves dispersées. Elle connaissait les nombreux conflits qui animent ces terres, bien qu'elle les évitait au mieux sauf si cela lui était nécessaire, mais cette petite odeur inhabituelle la faisait toujours grimacer, pour le peu de fois où elle eut l'occasion de la sentir néanmoins.
Erika hésita longuement à continuer sa route droit à la ville. La prochaine, cependant, lui aurait demandé quelques jours de marche encore, sans compter le détour considérable qu'elle devrait entreprendre. "J'aurais dû acheter un cheval, pendant que j'y étais..." songeait-elle dans un léger regret.
En pénétrant dans l'enceinte de la ville, le silence pesant d'une population encore fébrile à retrouver ses marques lui agrippait le cœur dès le premier regard. Son frère lui expliquait ce qu'elle ne pouvait comprendre, elle qui ne s'était jamais attaché à un lieu, quel qu'il soit : "L'amour de son milieu fait d'un homme le plus indifférent à ce qui vient nuire à sa tranquillité. Pourtant, au fond, on ne pense qu'à notre femme et nos enfants. Mais garder sa maison, ses voisins, ses habitudes, c'est tout aussi important." Une drôle de conception de vie pour la jeune femme, qui préférait s'adapter en toutes situations.
Avançant tranquillement près des murs, Erika fit promener ses yeux d'un bout à l'autre des ruelles, toutes parcourues par autant d'habitants que d'occupants. Les soldats, d'un accoutrement qui lui semblait étrange, avaient, pour la plupart, découverts leur visage et discutaient entre eux. En baissant la tête, elle pu observer chacun d'en eux, un fusil à la main. "Et voilà...", soupirait-elle alors. "Des armes à feu."
A chaque ville ses règles et ses astuces. D'un endroit à l'autre, d'une situation à une autre, il lui fallait soit mettre son épée à la ceinture en évidence, soit la planquer derrière sa cape pour ne pas trop se faire remarquer. Dans le doute, Erika préférait se pencher vers la seconde solution, puis se détendre si la situation s'y prêterait. Quant à son arc de chasse à l'arrière de son dos, sa vue n'avait jamais choqué personne. En tout les cas, dans sa tenue peu découverte et avec sa chevelure auburn, il n'y avait que la pâleur de sa peau qui dénotait du reste. Autrement, elle passait toujours inaperçue, si ce n'était quelques clampins décidés à faire une fixette sur sa condition féminine.
La nuit tombante, Erika se décidait à s'offrir le luxe d'une chambre à l'auberge. Depuis plusieurs semaines se fatiguait-elle à se reposer dans la nature, et bien que cela ne l'incommodait pas tant que ça, il lui restait fatiguant d'installer son petit camps et de le protéger des créatures nocturnes, puis de ne dormir que d'un œil. La ville semblait régit sous le calme si particulier d'une occupation installée, aussi ne craignait-elle pas tant que ça la moindre bataille. Pour une nuit, au moins, elle serait tranquille.
L'entrée de l'auberge donnait sur la grande salle composant la taverne. Du monde était déjà attablé par-ci, par-là, rien de bien étonnant à ces heures-ci. En toutes circonstances, certains humains ne perdaient vraiment pas le nord. De la bouffe et de l'alcool, l'histoire de toute une vie, pour certain. Quant aux voyageurs, autre type d'étranger qu'elle représentait, elle n'en décelait pas d'autre en salle, mais captait le regard de quelques habitants, sourcillant à se demander s'ils l'avaient déjà aperçu près de chez eux, ou non.
Peut-être que certains se rappellent de cette gourde qui avait coursé les jumeaux de la ville, qui fuguaient et fuyaient leur parents pour les faire tourner en bourrique. Seul exploit d'Erika depuis son dernier passage. En balayant de nouveau la salle du regard, elle ne put s'empêcher un rire contenu à ce souvenir.
Il ne restait que peu de place au sein de la taverne, et le ventre de la demoiselle criait famine. Elle aurait pu s'installer au comptoir, mais les quelques chaises avaient eu l'air de s'être faites dérobées par un groupe conséquent sur sa gauche, entourant une petite table pas décidée à les accueillir. De l'autre côté, une table était occupée par un seul homme, dînant seul et en silence hors du petit vacarme ambiant, où il restait quelques places qui paraissaient plutôt sereines.
Soufflante à l'idée de devoir déjà converser, ne serait-ce qu'un tant soi peu, Erika se décida tout de même à faire signe à l'aubergiste pour signifier la venue du repas, avant de se planter devant l'attablé, sa mine sympathique naturelle au visage.
- Bonsoir. Puis-je vous déranger ? Il n'y a que peu de place restante.