Ici, tout le monde semblait avoir une bonne opinion de Dany Fortune. Quel que soit le groupe auquel il se joignait, il était systématiquement accueilli par des sourires qui paraissaient toujours sincères. Bien sûr, dans un milieu aussi mondain, où les relations étaient primordiales, tout le monde savait un minimum feindre l'amitié… sans compter qu'en tant qu'organisateur, il avait choisi lui-même une grande partie des invités. Mais tout de même, il semblait jouir d'une grande popularité, dont il sut faire bénéficier Timothée. Le souriceau se faisait remarquer en bien. C'est qu'ils étaient, ici aussi, finalement très peu d'hybrides.
Peu avant le début formel de la cérémonie, Dany revint vers Timothée, qu'il trouva de nouveau en compagnie de Mélodie. La jeune femme – qui paradoxalement était un peu réservée au premier abord – se détendait vite et pouvait parler de ses rôles avec passion. Elle dégageait beaucoup plus d'intelligence que son emploi n'aurait pu le laisser penser, même si visiblement charmée par le souriceau, elle pouffait un peu automatiquement à chacune de ses plaisanteries.
– Bon, alors, je vais me préparer pour la crémation… fit le lémurien avec son sourire habituel. Ce n'est pas la partie la plus amusante, bien sûr, mais, je compte sur vous pour rester sages. Après la cérémonie, il y aura une veillée, mais vous n'êtes pas obligés de rester tout du long.
On le sentait un peu gêné d'avoir à imposer un moment qui s'annonçait assez ennuyeux – lui qui était tellement habitué au distrayant. Il repartit vers le fond de la salle, mais s'abstint cette fois d'engager la conversation avec qui que ce soit.
Quelques minutes plus tard, tous les invités étaient assis sur des bancs en bois blanc qu'on avait disposés dans l'avant de la pièce, face à l'autel. Timothée était au troisième rang, à gauche – soit tout derrière – Mélodie s'étaient assise juste à côté de lui. Devant lui, il y avait un gros homme qui nuisait considérablement à son champ de vision.
Les lumières s'éteignirent et un silence pesant s'installa. Puis, suivie par un spot de lumière chaude, le cortège mortuaire entra par la porte principale. En tête, une petite vieillarde enveloppée dans une tenue orange, la maîtresse de cérémonie. À sa suite, un cercueil tubulaire en verre, abritant le défunt. Ce fut la première – et assurément la dernière – fois qu'en tournant la tête, Timothée put voir Pierre Sagal. C'était un homme qui ne paraissait pas spécialement vieux, la cinquantaine peut-être, mais au visage très émacié. Il avait encore des cheveux blonds mi-longs, et sa barbe avait été rasée. Il reposait, en costume blanc, sur un flocage également immaculé.
Le sarcophage transparent était porté par quatre personnes, au moyen de très longs brancards qui dépassaient devant et derrière. Il y avait parmi ceux-là Dany lui-même (qui portait la barre sur l'épaule) et le réalisateur Ray (qui, comme les autres humains, tenait la barre le coude légèrement plié). Les haut-parleurs du temple entamèrent
une musique de circonstance.
Enfin, la suite de la cérémonie, Timothée la connaissait car elle était assez commune. C'était une métaphore du soleil couchant. Au moment exact où l'astre solaire atteindrait la ligne d'horizon (même si personne, avec la densité de la ville, ne s'en rendrait compte) on mettrait feu au revêtement intérieur du cercueil. La lumière projetée serait assez belle, surtout dans le noir. De manière générale, on sentait une mise en scène pensée. Il y avait une ouverture à la fois dans le sarcophage et dans le temple pour évacuer la fumée. Pendant que la dépouille brûlerait, il y aurait des prières et des mots des proches. À la fin, il ne resterait plus que de très fines cendres blanches, qu'on transférerait dans un vase également en verre.
– Ça va être interminable, chuchota Mélodie à Timothée. Perso j'vais pas me taper ça. Hey, j'ai un truc extra à te montrer si tu veux. Rejoins-moi dans les toilettes dans deux minutes.
Dans la pénombre, le souriceau vit le visage parfait de l'actrice lui sourire. Discrètement, elle se leva (c'était facile, car l'espacement était plutôt important et qu'elle avait pris soin de se placer en bout de rangée) et se dirigea vers le panneau faiblement lumineux qui indiquait les toilettes. Personne, à part l'hybride, ne semblait avoir remarqué son départ.