Le sanglier ricana, prenant les dents et les examinant un moment. L'idée de Nitro avait l'air de lui parler.
– Tu sais que y'en a qui faisaient ça, dans l'AFF.
L'AFF, ou Armée des Fils de la Forêt, avait été une des premières organisations, et sans doute la dernière, à s'opposer à la domination des corporations sur un plan purement militaire. Trente ans auparavant, après la disparition de leur chef et idéologue, « Doxa », l'AFF s'était cependant divisée en de nombreuses factions beaucoup plus insignifiantes. La plupart étaient mal vues au sein même de la résistance. Leur doctrine était en effet particulièrement violente, même si les textes les plus intellectuels de Doxa jouissaient partout d'une aura difficilement égalée. Appliquée, elle justifiait raids, meurtres et exactions sur les populations civiles humaines. Cependant, aucune de ces cellules n'avait plus, aujourd'hui, les moyens matériels pour commettre de tels actes.
Nitro devait savoir que Fantin avait fait partie de l'AFF à la grande époque, car c'était un sujet qu'il abordait facilement. Il était alors très jeune, et c'est pourquoi il était passé entre les gouttes. Depuis, il était à l'évidence passé à autre chose, mais en conservait une certaine nostalgie.
– Ah ! Bon sang, fit l'hybride en apercevant Rodrigue à son tour.
Il ne fallait pas trop compter sur le sanglier pour courir après le renard. S'il était probablement capable de tuer quelqu'un juste en le percutant à pleine vitesse et de toute sa masse, dès que l'on s'éloignait de la ligne droite, c'était une autre histoire. Il fut vite distancé par Nitro.
Heureusement, il connaissait cette prison comme personne.
*
* *
Rodrigue devait être presque certain d'avoir couru assez vite. L'écureuil qui le poursuivait était bien dans son dos, mais trop loin pour le rattraper. Il arrivait à un couloir, le dernier croisement avant le réfectoire. Là, il eut la surprise de voir, en tournant la tête, le sanglier le prendre à revers. Comment avait-il fait pour se trouver en position de l'intercepter ? Le renard ne le saurait pas – pas avant que l'énorme prisonnier ne se jeta sur lui.
Le choc aurait dû être terrible… mais il ne se fit pas. Au dernier moment, Rodrigue avait été soulevé de terre, par une épaule. Il était maintenant suspendu a plafond, à environ deux mètres du sol.
– Salut beau gosse, entendit-il susurrer à son oreille par une voix féminine. On a des ennuis ?
– Ah. Quoi ? Daphnée ! Sérieusement ? grogna le sanglier, qui s'était arrêté in-extremis pour ne pas heurter un mur.
– Oh, tais-toi Fantin. Je discute avec mon nouvel amant. Hihihi.
Le sanglier tenta de bondir pour attraper un pied du renard, mais celui-ci fut brusquement tiré encore plus haut, par un genou cette fois. Il se retrouva alors plaqué contre une hybride qu'il n'avait jusqu'ici pu voir que de loin. Elle était d'apparence si étrange qu'être hors de portée des deux brutes ne lui prodiguerait aucun sentiment de sécurité, en fin de compte…
– Tu peux pas le garder. Il a énervé Bonpoint.
– Oh, et puis ? Moi, il ne m'a pas énervé… Votre Bonpoint, avec l'âge, il devient méchant…
Daphnée était une hybride araignée, et était franchement terrifiante. Elle était grande, peut-être un mètre soixante. Difficile à dire car elle était en quelque sorte allongée. Elle soulevait sa « proie » sans aucune difficulté apparente.
Six bras longs fins, deux jambes interminables, le tout recouverts d'une carapace chitineuse rousse et blanche. Quatre de ses membres étaient agrippés au plafond, qui n'offrait pourtant aucune prise visible. Ses deux paires d'yeux, parfaitement noirs, brillants, fixaient le renard. Le bas de son visage était plus humain – c'était celui d'une jolie femme au nez fin et aux lèvres pleines. Son buste, aussi, contre lequel Rodrigue était collé, était presque tout à fait humanoïde.
– Alors, tu aurais un petit nom, uh ? demanda-t-elle, en s'approchant si près qu'elle sembla chercher à le sentir.
Le renard ne pouvait rien en voir, mais à l'arrière du corps de l'araignée dépassaient quatre petits appendices, qui servaient à tisser la toile avec laquelle il était pour l'instant maintenu en l'air. L'aptitude n'avait rien de surnaturelle, elle n'était pas une méga. Elle était juste née comme ça.
– Tu nous le donnes ? s'impatienta le sanglier.
– Non, répondit-elle sèchement.
Les quatre mains libres de Daphnée se mirent à courir sous la tunique jaune de Rodrigue. Elles avaient cinq doigts, et leur chitine était d'une douceur surprenante. Pour l'instant, elles ne s'essayaient à rien de trop indiscret, mais ça n'était clairement pas une manière de mettre le mettre à l'aise.
– T'inquiète pas, mon joli renard, ces idiots ne vont pas te faire de mal aujourd'hui… lui murmura-t-elle, toujours peu rassurante néanmoins.
Surtout qu'elle avait commencé à joindre les pieds de l'hybride avec de la toile.