« Oujo-Sama ? »
La voix douce et stoïque de Karma résonna devant la grande porte sculptée du salon, à moitié entrouverte par les mains gantées de la soubrette aux cheveux morts. Elle posa les yeux sur le fauteuil, face à la cheminée vivante et grésillante, dans lequel sa chère Maîtresse était assise, lui tournant le dos, observant les flammes, en attente de ce qu'elle avait réclamé. Elle n'était pas patiente. Sans doute avait-elle volé en rond, dans la pièce, pendant toute l'absence de la soubrette, attendant que celle-ci lui apporte enfin ce qu'elle avait demandé. Tout lui venait ainsi, sur un plateau d'or -elle n'aimait pas l'argent- et c'était, pour la Maid, d'une normalité tout à fait acceptable.
Finalement, la jeune Noble se leva, faisant grincer le fauteuil de velours Carmen, finement sculpté. Scarlet apparut entièrement, son ombre d'habitude peu imposante dansant sur la moquette dans la lumière des flammes de la cheminée. Ses ailes rétractées, sa tenue d'aujourd'hui était celle d'intérieur. Une robe blanche, purement taillée dans un véritable souci d'esthétique, qui avait dû coûter la fortune que vaut la Noblesse. Le décolleté était imposant, même pour une fille à la petite taille comme la vampire, mais aux formes extravagantes. Serré à la taille en un superbe corset, la mousseline blanche tombait en traîne vers le sol, le tissu en plusieurs couches, plus ou moins transparentes, plus ou moins vaporeuses. Plus que la broderie délicate qui l'ornait, l’œil était attiré par la coupe, qui mettait en valeur hanches, taille, et poitrine à merveille.
Elle respirait la royauté, et une certaine sensualité, et Karma en était toujours très impressionnée. Comment pouvait-on être si sexy, lorsque l'on évoquait à l'origine l'enfance et la pureté naissante d'une fleur de pêcher ? Eh bien... les liens vampiriques de Scarlet lui permettait un tel écart. Elle était loin d'être l'Innocence même : elle était une Créature sanguinaire, prête à dévorer la proie que la soubrette venait lui apporter. Un véritable furie déchaînée, dés qu'elle en avait l'occasion. Bref.
La Maîtresse posa bien vite son regard sur la « proie », et ses yeux morts s'illuminèrent de convoitise. Elle ouvrit lentement la bouche, dévoilant des crocs blancs et parfaitement taillés, dans un sourire triomphant. Néanmoins, lorsqu'elle tourna l'humain pour le mettre sur le dos, et voir ainsi son visage, la Princesse déchante vite.
« Karma, ne t'avais-je pas dit de m'amener une femelle ? »
Question rhétorique, auquel la Maid répondit posément, non visiblement désolé. Mais elle avait baissé humblement la tête.
« Mes plus sincères excuses, Oujo-Sama. Je ne suis tombé sur aucune prise intéressante, du côté des femmes. »
Elle s'inclina toujours aussi humblement, et Scarlet frôla ses cheveux blancs, dans une légère caresse distraite.
« Ca ira... »
Elle donnait son pardon, parce que quoi qu'il en soit, Karma donnait satisfaction, et c'était ce qui comptait. Mâle ou femelle, une proie restait une proie. Son sang variait au niveau du goût, mais il y en avait toujours suffisement pour abreuver la jeune vampire. Elle en buvait si peu... non qu'elle était dégoûtée, loin de là. Mais son appétit était très faible. Elle n'avait jamais tué quelqu'un par le retrait de son sang.
Finalement, la soubrette se retira, non sans avoir recoiffé rapidement son unique Maîtresse à présent. Elle s'installa dans un coin de la pièce, debout, adossé contre un pan de mur, ses yeux morts divaguant dans le vide du gigantesque salon, éclairé non seulement par la cheminée, mais aussi par diverses chandelles accrochées à la tapisserie rouge sombre.
La vampire posa à nouveau ses yeux sur l'homme aux cheveux noirs.
« Alors... »
Elle semblait calme, posée, mais était en réalité terriblement excitée. Cela faisait longtemps qu'elle n'avait plus eu de chair de femme, douceâtre et ferme. Karma ne lui avait amené que des hommes, depuis un long mois. Parfois ce n'était que des tas de chair sans intérêt plus profond que celui de planter ses crocs dans le cou pour se délecter, puis le battre juste après, et le jeter dans un des cachots ou elle abritait sa charmante famille, qui se délectait aussitôt d'un si bon repas. Les hommes élégants avaient droit à un peu de plaisir, avant de périr dans les antres des nobles transformés en bêtes assoiffées de sang par leur propre descendante. Ainsi, Scarlet aurait pu être calmée de ce côté-là.
Mais elle avait des traces de sang de succube, en elle. La succube qui l'avait mise au monde avait encrée dans la chair de sa fille la profondeur de l'envie. Sexuellement parlant, celle-ci n'était donc jamais satisfaite. Au sens propre du terme.
Cet homme étant plutôt empreint d'un charme qui plaisait bien à la Maîtresse de maison, il n'y échapperait pas. Scarlet traîna le corps inerte devant la cheminée, et retourna s'asseoir dans son fauteuil, appréciant à peine les contours du velours, à force de l'habitude.
Et finalement, il se réveilla, et il parla. Plus à lui-même qu'à quelqu'un d'autre. C'était le problème avec les hommes : ils étaient longs à la détente... les femmes étaient plus subtiles. La vampire soupira et se pencha lentement vers la future proie, observant au passage son cou, à la peau désinvolte et découverte, en hâte d'être transpercée de ses crocs. Avec un sourire bien à elle, assez effrayant pour préciser, Scarlet prit le menton de Robin entre deux doigts effroyablement pâles, pour lui lancer d'un ton enfantin :
« Coucou~ »
Elle savait faire l'enfant, quand elle s'y mettait. Mais le décolleté que Robin avait pratiquement sous les yeux trahissait un certain mensonge.