La nuit tombée, les ruelles crasseuses de Nexus venaient de retrouver leur quiétude habituelle, et c’est avec un soulagement muet que j’accueillis ce silence soudain. Terminé l’angoisse du martèlement des savates sur les pavés extérieur, même si cela ne garantissait pas encore un abandon définitif de la chasse. Quant à l’intérieur de ma planque, parmi les toiles d’araignées et la moisissure, je m’enfonçai dans le canapé défoncé, confortablement installé pour instiller un peu de gêne à mon invité surprise.
*Chacun son tour mec, si t’es gêné c’est tant mieux. Moi c’était bien pire.*
Encore que, la faute à la maigre lumière dispensée par ma bougie, on ne voyait goutte au final. Mais tout de même, je veillai à le fixer délibérément, dans le seul but de lui rendre ne serait-ce qu’un soupçon de ma propre honte précédente. Quoique je ne comprenais pas vraiment l’origine de son embarras. Les hommes que je côtoyais, ici à Terra, des marins, des brutes et parfois des soldats ou même des mercenaires, tout ceux-là n’éprouvait pas la moindre gêne à se mettre torse nu.
C’était bien ce que faisait tous les garçons, non ? De mon point de vue, ça l’était en tout cas. Au moment de baisser les yeux, la vision de son ventre lisse me confirma immédiatement mon intuition première : ce n’était en rien une éraflure. Pour en avoir déjà vu moi-même, la quantité de sang répandu était digne d’un solide coup de lame, et nul doute qu’une personne normale en serait gravement blessée, si ce n’est morte.
Je fermai mon clapet le temps que ce Milano puisse terminer sa douche improvisée. Cependant, même scrutant méthodiquement chacun centimètre de son torse, le peu que je puisse en voir dans cette pénombre, rien ne m’informait d’une quelconque créature. L’arnaqueur semblait humain. Avec des pouvoirs de toute évidence, mais très certainement humain, à moins qu’il ne s’agisse d’un déguisement sophistiqué. J'en oubliais complètement d'évaluer son physique, ou même de le regarder sous un jour intime, comme une femme regarderait un homme se déshabiller, uniquement de la curiosité sur sa nature.
« Mouais. T’étais plus convaincant à l’auberge… Monsieur est pudique ? Et encore, j’suis sympa, pour être quitte tu devrais être en caleçon à ton tour. » Estimai-je en le regardant fermer son manteau.
Retour aux affaires, décidément il n’en démordait pas. Non sans étouffer un bâillement, je l’écoutai patiemment déballer ses promesses, et mijoter mentalement ma propre réponse. Tout cela pouvait être intéressant, mais tout cela pouvait être une arnaque de plus. Son spectacle dans l’auberge m’avait amplement démontré ses capacités en la matière et, entente ou confiance, rien ne me poussait à éprouver ni l’un ni l’autre. J’enroulai négligemment une mèche bleutée autour mon index, adoptant un ton plus franc que méfiant.
« Bon, écoute. J’dis pas que tu n’as rien d’intéressant à m’apporter, ok ? Mais j’vais te dire les choses clairement : on n’aura pas d’accord définitif ce soir, c’est sûr. » Lâchai-je en marquant une pause.
« Là, tu parles, tu parles… Mais tu crois que j’aurais monté mon affaire dans ce coupe-gorge en me fiant sur parole ? Si tu veux un accord, va falloir me montrer ce que t’es capable de passer. Soit tu m’apportes de la marchandise, soit tu me prouves tes contacts, peu importe tant que j’aurais la preuve de ce que t’avances. »
Je ménageai une nouvelle pause dans mon argumentaire, ne serait-ce que pour asséner plus profondément ce fait : je voulais du concret.
« On est d’accord, t’as du potentiel. Mais t’imagines pas que ça suffit. Tu peux tenter d’faire ton business, vas-y… Je m’en sortirai. Par contre, j’te conseille de pas froisser les autres, parce que crois-moi, j’suis pas la plus dangereuse loin de là, mais ça tu peux pas l’savoir sans mon aide. »
Moi, dangereuse ? En me connaissant, cela prêterait à rire. Personnellement, je me flattai de n’avoir jamais tabassé personne, encore moins tué. Par contre, les gangs de Nexus, et les mafias terrienne, c’était une autre fameuse paire de manches. L’image même de l’assurance, je le fixai effrontément, les bras de part et d’autre du dossier mité. Certes, sa collaboration pouvait se révéler très fructueuse, mais hors de question de lui faire bénéficier de mon business sans être certaine de sa fiabilité.
« Et fais pas la gueule. J’te propose une sorte d’accord : tu m’fais voir ta marchandise, et on pourra collaborer. J’peux même venir sur Terre, j’connais le chemin… Faut juste m'en mettre plein les yeux, et un autre strip-tease m’fera pas changer d’avis. » Précisai-je non sans ironie.