La longue caravane marchande avait finalement fait halte en fin d’après-midi. La lumière du jour commençait à peine de décliner, les ombres des arbres s’étirant lentement sur la route de poussière sèche, lorsqu’ils avaient tous décidé d’un commun accord de s’établir ici. Ce n’était pas réellement un hasard. La clairière choisie était un bel emplacement à proximité de la route, non loin du bois où cascadait un torrent d’eau claire jusqu’à un petit lac caché.
Un véritable petit paradis, calme et paisible, situé tout près du village d’elfes où la plupart des artisans allaient pouvoir y faire affaire. Même si les elfes n’étaient pas toujours friands des marchandises étrangères, ils s’en trouvaient toujours suffisamment pour acheter quelques babioles simplement pour le frisson de l’exotisme. Bien assez pour les affaires en tout cas, et l’endroit était si agréable que personne n’y trouvait rien à redire.
La plupart des commerçants de la caravane étaient des humains, même s’il arrivait qu’une exotique créature se joigne à eux. Artisans, artistes, revendeurs, comme en témoignait la vaste file de chariots, les clients n’avaient que l’embarras du choix : un vrai petit village sur roues ! Ce jour-ci, malgré la fin de soirée et le crépuscule approchant, chacun se dépêcha de ranger son propre chariot, de monter les grandes tentes, presque de petites maisons de tissu.
Et voilà un océan de petits ilots blancs, perdus dans ce morceau de clairière verdoyante, qui se dressa soudainement, bruissant d’activité. Il était trop tard pour commercer, et à cette heure-ci, le village elfique n’était plus visible par delà la forêt, si bien que chacun s’installa aussi confortablement que possible. Une délicieuse odeur de feu de bois et de grillades s’élevait, les premières rires et discussions conviviales s’élevant dans l’air rafraichi du crépuscule.
Morgan adorait déjà cet endroit. Toute la soirée, il avait monté sa tente tout seul, pris d’une fébrilité enthousiaste. C’était la première fois qu’il venait ici, après avoir vendu la boutique de son défunt père pour se lancer sur un coup de tête parmi ces gens, cette caravane de commerçants où il exerçait à son compte désormais. Le jeune homme possédait un joli talent pour le travail du cuir. Il vendait très bien ses créations, que ce soit sur commande ou les classiques chaussures prêtes à porter, et il comptait bien se faire connaitre sur ce marché-ci.
Le lendemain, les premiers rayons du soleil filtrant à travers le tissu de sa grande tente le réveillèrent de bonne heure, caressant son visage androgyne et ses cheveux longs. Il s’étira longuement dans sa couche, laissant le soleil réchauffer son torse glabre alors qu’il ne portait absolument rien sous les draps. Sous la lumière matinale, Morgan était la parfaite illusion, celle d’une jolie nymphe s’éveillant doucement, ronronnant encore sous la couette alors que sa poitrine plate et le sexe qui reposait entre ses jambes disent le contraire.
Et pour cause, la quasi-totalité de la troupe le prenait pour une jeune femme ! Avec ses longs cheveux soyeux d’un noir de jais, son visage bien dessiné et ses courbes fines, Morgan était, d’un point de vue extérieur, une jolie fille. Il le savait. Il en jouait, et assumait parfaitement. Sa voix douce, calme et fluette n'était pas en reste. Il signait toujours du nom de Morgane, jouant délibérément de la dualité de son propre nom, et n’hésitait pas à se maquiller tous les jours.
Cette journée-ci ne faisait pas exception. Sur une impulsion, Morgan se leva d’un bond, revêtant une simple serviette et des sandales pour descendre chercher de l’eau à la rivière. Le jeune homme avait laissé sa tente un peu à l’écart du reste, ne recherchant pas plus la compagnie que cela. Non pas qu’il soit d’un naturel timide, au contraire très franc et ouvert, mais il appréciait sa tranquillité, et la possibilité de se concentrer sur ses créations ou son petit commerce.
Du reste, personne n’avait capté son intérêt dans cette caravane. Les marchants et leurs familles s’entraidaient naturellement, et Morgan, d’un naturel sociable et à l’aise était souvent sollicité. Malgré son jeune âge, on l’appréciait, et beaucoup étaient positivement impressionnés par son succès, une preuve de son talent. Cela même s’il ne s’attachait fondamentalement à personne. Au final, il se plaisait énormément ici, et pas une fois il n’avait regretté sa décision de quitter la ville.
« Hé, salut ! » Fit-il à son voisin de tente, le fils d’un forgeron qui le salua timidement.
Le pauvre, pensa-t-il, si j’avais su qu’ils s’étaient mis juste à côté… Ce n’était pas le premier homme à avoir le béguin pour lui, et ceux vraiment savoir son identité réelle. Morgan s’en amusa, et continua jusqu’à la rivière en sandale et serviette noué autour du buste, en sentant le regard du voisin braqué sur lui. Il fit plusieurs allers-retours pour remplir son bain. Le jeune homme lava avec soin ses magnifiques cheveux, se baignant longuement, puis termina avec un maquillage autour de ses yeux et de ses cils, ce qui renforçait l’illusion de féminité.
Les vêtements d’homme ne lui allaient pas, son corps était trop fin pour cela. De toute manière, il les faisait fabriquer par un tailleur de la caravane, et celui-ci le prenant pour une femme, on lui avait cousu de beaux habits, très coquets. Morgan s’habilla rapidement d’un pantalon moulant plutôt bien ses formes, et d’une chemise de femme, légèrement ouverte au niveau col avant de prendre un bon petit déjeuner. Un joli collier de perles et un pendentif argenté vinrent embellir sa nuque, et il termina en ajoutant de petites boucles d’oreilles discrètes.
La matinée commençait tout juste, et Morgan désirait mettre son stand rapidement en place avant que les clients matinaux n’arrivent. Les premiers jours, les gens venaient d’eux-mêmes voir la caravane, ne serait-ce que par curiosité, et il n’avait pas encore besoin de prospecter directement au village. Il se brossa les dents, rajouta un subtil parfum à ses cheveux souples qu’il laissa retomber librement sur ses épaules, et installa son étal en y disposant ses meilleures créations.
*Hmm… Avec les ventes du mois dernier, je dois être large. Autant profiter du coin et voir à quoi ressemble un elfe.*
Morgan était prêt. Maquillé, parfumé, joliment habillé, sa peau douce brillant au soleil, il avait l’air d’une parfaite jeune femme devant son étal de splendides créations. Ses bottes cirés remuaient nerveusement, impatient et curieux comme un enfant de découvrir ces nouveaux et exotiques clients.