L'armure du chevalier
ses idées reçues et sa réalité
Sur Terra, LGJ mélange les époques mais se présente surtout comme une terre médiévale tardive. Par sa technologie et ses institutions, la majeure partie de Terra ressemble davantage à ce que nous avions en Europe au XV
e siècle et au début de la Renaissance, armes à feu exclues.
Il est donc naturel de croiser les classiques du folklore médiéval et fantasy : les chevaliers en armures rutilantes, et les assassins encapuchonnés presque à poil.
Et on dit souvent que, des deux, l'assassin est de loin le plus rapide, le plus féroce et le plus dangereux des combattants. Mais les on-dit sont-ils justifiés ? Si c'était vrai, qu'est-ce qui poussait un chevalier à investir l'équivalent de millions de dollars actuels dans une prison d'acier encombrante ?
Premier objectif : survivreContrairement à certaines idées largement transmises par les films, la guerre médiévale n'était pas excessivement mortelle. Il y a plusieurs raisons à cela, à commencer par le fait que chaque chevalier était un noble, ayant voix au chapitre en tant que tacticien et refusant de se mettre en grand péril pour le bénéfice de ses pairs. Les chevaliers considéraient leurs vies et celles de leurs troupes comme des ressources inestimables, et évitaient de les engager n'importe comment. Quand venait le temps de combattre, cela dit, et le combat consistait souvent en courtes escarmouches de cavalerie, la promesse de rançons juteuses faisait que le vainqueur évitait de blesser gravement ses ennemis ou de maltraiter ses otages.
Attention, je ne dis pas que la guerre médiévale n'était pas sanglante, courante et cruelle, surtout pour les plus faibles ; mais le chevalier avait techniquement de bonnes chances de survivre à un engagement.
La manière idéale de s'assurer de sa survie, même dans le pire des cas, était d'être aussi difficile à blesser que possible, naturellement. A mesure de l'évolution des tactiques et des armes, l'armure du chevalier a évolué jusqu'à son irrémédiable obsolescence, passant de la maille croisée sur du cuir rembourré à de complexes assemblages articulés d'acier et de cuir bouilli, l'armure de plates. Les armures bavaroises et nord-italiennes du XV
e siècle,
l'amure gothique et
l'armure blanche, constituèrent le summum absolu de la conception d'armure de plates.
Concernant ces armures, les idées reçues sont légion, et alimentées par des récits biaisés ou faussés d'engagements célèbres comme la bataille d'Azincourt, donnant à tort à des armes comme le
longbow ou l'arbalète la capacité de blesser et tuer les puissants chevaliers français. Dans les faits, Azincourt s'est d'abord jouée sur les erreurs françaises et l'épuisement des troupes françaises en arrivant au contact avec les Anglais. Les spécialistes de la guerre médiévale tardive, dont le Dr Michel Kaplan, insistent d'ailleurs sur la nature très
rapprochée du combat à l'époque, archers et arbalétriers devant relâcher presque à bout portant pour espérer forcer un point faible d'une armure de plates.
Ci-après, l'exemple d'arbalètes contre diverses armures médiévales tardives.
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Deuxième objectif : bouger pour se battreSi l'on conçoit généralement le chevalier sur un destrier carapaçonné, et si la France a aligné des nombres de cavaliers lourds inégalés dans son Histoire, la plupart des combattants en armure, chevaliers, écuyers ou sergents, étaient à pieds. Le soucis de la mobilité et de l'agilité se posait alors pour pouvoir négocier le terrain, suivre la troupe, atteindre l'ennemi et, bien sûr, l'engager correctement. Même pour un chevalier monté, la question de la chute était prédominante dans la conception de l'armure. Contrairement à ce que son poids peut laisser penser, l'armure de plates était portée et conçue de manière à concentrer la charge autour du point de gravité de son porteur. Une armure sur mesure pouvait ainsi peser plus de 20kg sans gêner significativement son porteur, même pendant une session entière d'entraînement. L'entraînement faisait d'ailleurs du chevalier médiéval, couramment formé à l'athlétisme et aux armes dès l'âge de 7 ans (Ahou, ahou ?), un homme tout à fait à même de supporter ce type de charge.
La vidéo ci-dessous aborde la question de l'entraînement et du mouvement à partir d'un livre rédigé sur un champion de tournoi.
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Concernant le combat en lui-même, il est assez loin du type d'absurdités qu'on voit souvent dans les films. En établissant la vérité sur la solidité de ces armures, vous avez sûrement déjà commencé à réaliser que taper très fort ou essayer de couper l'armure n'allait pas mener bien loin, d'autant que les épées de l'époque sont plus légères et fines que vous pourriez peut-être l'imaginer. Un combat en armure peut durer très longtemps si les adversaires s'égalent en compétence et en endurance. Malgré tous ses défauts, le duel de
Narnia 2 est peut-être un des plus convaincants du cinéma grand public en matière de difficulté à vaincre et de coût physique d'un tel affrontement.
Le chevalier en armure restait cependant vulnérable par quelques endroits difficiles à atteindre, mais exploitables par un adversaire entraîné. La vidéo ci-dessous explique comment l'engagement se focalisait sur une fin rapide par l'exploitation de ces points faibles. On y voit aussi un complément au test de l'arbalète, cette fois à l'estramaçon.
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Supplément : la préparation d'un chevalierBeaucoup d'idées reçues circulent sur le temps nécessaire pour préparer un chevalier en armure de plates, sur le temps nécessaire pour le dégager de sa cuirasse, ou encore sur le temps passé en armure. Le temps passé en armure variait bien sûr selon les conditions, mais un chevalier pouvait passer la journée entière en armure si nécessaire. Le temps de préparation est, quant à lui, bien plus court qu'on l'imagine. En estimant que le chevalier porte déjà son gambison en arrivant pour être apprêté, l'enfilage de l'armure pouvait durer moins de dix minutes. Considérant la vitesse des armées de l'époque et leur profondeur de frappe, c'était très rapide et largement suffisant pour répondre vite à une menace. Enlever une armure en bon état prenait, en outre, moins de cinq minutes.
Supplément supplémentaire : Deadliest warriorUn débat classique est de comparer les chevaliers aux
samurai nippons. Selon les cas, les arguments vont privilégier une comparaison strictement chronologique ou une comparaison " au sommet de l'art ". Les
otaku, c'est cadeau !
Pour faire court : samurai et chevalier ont leurs propres forces et faiblesses. Si le samurai a généralement un léger avantage quant à la mobilité, son armure étant globalement plus légère que celle du chevalier européen, le chevalier compense par une armure plus complète, moins facile à pénétrer. L'étude des disciplines à l'épée des deux célèbres combattants-type révèle, en outre, leurs similitudes et, malgré quelques différences résultant du poids et du profil de l'arme, contrairement aux idées-reçues, le samurai n'était pas plus précis ou plus technique ; peut-être un peu plus rapide, comme dit, mais certainement pas supérieur au chevalier européen.
Ci-dessous, deux pratiquants de
hema t de
kenjutsu comparent leurs styles respectifs et examinent leurs forces et faiblesses réciproques, ainsi que ce qui distingue et rejoint les deux disciplines.
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Conclusion : c'était le must, mais en son tempsLe chevalier médiéval souffre d'idées reçues fausses multiples à son encontre, et il suffit en fait de quelques mises en situation pour réaliser comment son armure faisait en fait de lui le maître du champ de bataille en son temps. Bien sûr, l'Homme étant très doué pour développer des façons de tuer ses semblables, l'armure de mailles, puis l'armure de plates, n'ont fait que leur temps.
On doit le déclin du chevalier en armure complète au développement de nouvelles tactiques au début de la Renaissance et jusqu'au XVIII
e siècle, comme le
deucio espagnol et la généralisation des piquiers, puis le
tercio et son addition d'arquebusiers. L'amélioration des tactiques anti-cavalerie et des armes à feu ont été deux facteurs synchrones et complémentaires transformant la cavalerie et son rôle au combat, tandis que l'aristocrate s'éloignait des armes ennemies pour commander de plus en plus souvent depuis l'arrière.