Les deux faces d'une même pièce - Desmina

Traîté sur la conjuration d'entités démoniaques extra-plannaires, un ouvrage apparemment d'un autre temps, peut-être même d'un autre monde. Ses pages, poussiéreuses et jaunies par les très nombreuses années passées, dégageaient une odeur particulière, une fragrance qui n'était connue que des plus grands savants ou collectionneurs, les aromes d'une ère passée et révolue. Melluel en avait toujours pris grand soin, comme n'importe quel autre ouvrage en sa possession. Mais celui-ci était particulier, il semblait vivant. Bien qu'ancestral, les dorures de son épaisse couverture aux allures ésotériques n'avaient pas l'ombre d'un flétrissement ou d'une perte d'éclat. Bien que totalement sèches et sur le point de tomber en miettes au moindre contact, les pages pouvaient se vanter d'une certaine souplesse. Ce livre était ensorcelé, enchanté pour que le temps ne lui fasse pas défaut. Cela était sans doute la marque de son ancien propriétaire, ou même de son auteur. Quoi qu'il en soit, quelqu'un avait voulu préserver cet ouvrage, et le voilà aujourd'hui entre les mains de quelqu'un qui en prenait tout autant soin.

En le feuilletant des jours durant, Melluel avait assimilé les règles et conditions à rassembler pour procéder à l'invocation d'un démon. Là n'était pourtant que la surface de son labeur, puisque l'ange avait également travaillé sa phonétique pendant des semaines et même des mois, jusqu'à ce que chaque syllabe de l'incantation soit maîtrisée et prononcée à la perfection. Cette avancée majeure signait la résolution de ce rituel qui allait être effectué ce soir même. La déchue avait pris soin de fermer son échoppe à double-tour et d'indiquer qu'elle ne serait pas disponible pour les heures à venir. À présent dans son antre éclairée à la bougie et parfumée à l'encens, Melluel se saisit d'un morceau de craie et s'agenouilla au sol. Elle commença par tracer un cercle d'une circonférence plutôt importante, lequel fut secondé par un autre cercle d'envergure moins importante en son sein. Dans l'espace vide délimitant les deux cercles, l'alchimiste décrit des runes dont la signification ne lui était pas inconnue ; il s'agissait d'une formule, celle qui décrivait les propriétés du cercle. Enfin, l'intérieur fut complété non pas par le fameux pentacle mais plutôt par une étoile à huit branches, chacune d'entre elles représentant un cercle de l'Enfer, le neuvième étant symbolisé par le coeur de cette étoile.

L'ouvrage stipulait ensuite qu'il fallait attendre que les rayons de lune embrassent le cercle. Pour remplir cette condition, Melluel avait déménagé son mobilier de sorte à ce que rien ne fasse obstacle entre la lumière traversant la lucarne de la pièce principale et le cercle, dessiné volontairement à cet endroit afin de recevoir la bénédiction de la lune. Celle-ci fut naturellement accordée en temps et en heure mais ne laissait que quelques minutes pour procéder à la suite du rituel. Melluel empoigna un couteau aux allures particulières avec sa main directrice, la droite, et en serra la lame avec la gauche. C'était un ustensile rare, presque une oeuvre d'art, puisque la lame était en réalité forgée dans l'argent le plus pur qui soit. Naturellement, une plaie s'ouvrit et du sang s'en échappa. La déchue ressentit un léger malaise mais laissa le fluide écarlate se déverser au coeur de l'étoile. Puis, du silence le plus total, sa voix s'éleva. Profonde, puissante, résonnante, et pourtant basse. Elle fit écho dans la pièce alors que Melluel récitait les maximes qu'elle avait apprises à la perfection. Maîtresse de ses mots, elle empêcha sa langue de fourcher au moment le plus retors puisque cela aurait pu être désastreux. Au final, tout se déroula à la perfection. Des volutes de fumée obscure dissimulèrent bientôt le cercle et tout ce sang, se dressant ensuite pour former une silhouette encore imperceptible. L'air sembla plus chaud, une odeur de soufre envahit la pièce. Mais il n'y eût sans doute pas plus grande preuve du succès de ce rituel que le ressenti de Melluel. Même si déchue, elle ne put contenir cette chair de poule qui piqua ses bras, ses jambes, son dos... Cette chair de poule témoignait de la présence d'un démon, antithèse naturelle de l'ange.

Les lèvres de l'alchimiste s'élargirent en un sourire empli de fierté. Elle déposa son couteau d'argent sur le meuble le plus proche, à savoir une étagère surmontée de nombreux et précieux ouvrages, et ferma son poing ensanglanté qu'elle plaqua contre sa poitrine dans un grand geste théâtral.

- Mes excuses pour cette invocation somme toute archaïque, Ô Démon. Je n'avais qu'un traité des temps immémoriaux à disposition.

Un pas vers l'avant, puis deux, enfin trois, quatre... Melleul s'approcha prudemment de la créature encore fumante, manifestant son intérêt par des regards non-dissimulés. Lorsque la fumée se dissipa enfin, la déchue fut en mesure de discerner un corps tout aussi humanoïde que le sien, à la peau rougeoyante, aux iris flamboyants, aux cheveux incandescents, et à l'élégante et alléchante silhouette de femme. C'était ainsi une démone qui, caressée par la lumière lunaire, ne semblait que plus majestueuse.

- Avant que nous ne commencions quoi que ce soit, sachez que je n'ai nullement l'intention de vous entraver. Mes desseins sont différents de ceux d'un mortel en quête de richesse ou de gloire, vous le comprendrez bien vite. Quant à mon identité, peut-être l'avez-vous déjà remarqué, mais je ne suis pas humaine. Mon nom est Melluel, ange déchu de son statut. Cela attise-t-il suffisamment votre curiosité ?

Un silence parfait régnait dans le luxueux manoir, la plus luxueuse bâtisse à ce niveau inférieur des Enfers, où habituellement ne résidait que des créatures faibles ou informes. Les deux derniers serviteurs, un démon masculin et l’autre féminin, s’occupaient de jeter les cadavres de leurs anciens collègues dans l’abime jouxtant la demeure. Le corps de l’ancien seigneur, qui déjà se consumait, suivit exactement la trajectoire, restes sans vie qui allaient se réincarner sous une forme plus faible dans un futur lointain.
Ainsi évoluait la hiérarchie aux Enfers. Le manoir était tombé aux mains d’une nouvelle propriétaire, et celle-ci n’avait conservé que les servants à la belle apparence, les seuls qui lui convenait. Naturellement, certains démons se montraient plus éclairés, moins violents, d’autres plus primitifs, et la lutte n’était pas si courante. Mais Desmina était un cas à part. La puissante démone aimait être à la fois cultivée, et intelligente, mais son caractère ne supportait pas la contradiction de ses pairs.
Aussi, lorsque le petit seigneur de ce manoir avait refusé de céder sa demeure à une démone inconnue, surgit des tréfonds des Enfers, sa tête avait immédiatement rebondit sur le dallage de marbre. On ne connaissait plus le nom de Desmina. On ne l’avait plus aperçu depuis des âges immémoriaux, et seuls les démons plus anciens, plus forts, pouvaient éventuellement s’en souvenir. Après tout, elle n’avait plus fait surface pendant très longtemps, et comme elle n’avait prêté allégeance à personne, la démone était passée inaperçue depuis bien des siècles.

« Plus vite le nettoyage. Je vois encore des tâches de graisse sur cette dalle, ne m’obligez pas à vous coller la tête dessus. » Dit-elle sèchement au serviteur.

La pauvre succube légèrement affolée se dépêcha d’apporter à sa nouvelle maitresse le grimoire exigé quelques instants plus tôt. Un ouvrage magique sur la hiérarchie des Enfers, constamment en évolution, mais que le livre était capable de mettre en jour au fil du temps. Desmina avait besoin de se mettre au courant. Elle congédia la servante d’une claque bien sentie sur son postérieur, et s’installa confortablement dans le grand fauteuil noir de l’ancien maitresse de maison.

*Au moins, cet idiot avait du goût, un véritable miracle. Il n’est rien de mieux qu’un peu de luxe pour savourer une tranquillité studieuse.*

Desmina réajusta sa toge noire, un vêtement certes antique mais qui découpait sa silhouette à la perfection, et commença à lire paisiblement. Une paix bien brève pourtant. La démone ressentit aussitôt ce picotement familier, cette légère douleur dans sa chair, comme des aiguilles qui étiraient sa peau. Elle lâcha son livre avec un brin d’agacement, et se concentra pour repousser cette agaçante invocation.

*Quelle plaie, comment est-ce possible qu’il existe encore des invocations à mon nom ? Et parfaitement exécutée avec ça…* Pensa-t-elle, de plus en plus agacée.

Cette invocation avait quelque chose d’étrange, elle le sentait bien. Les démons trop puissants sont rarement appelés, car la tâche est bien trop ardue pour un mortel, et les puissants sont capables de repousser ces formules. Pourtant, que ce soit la formule en elle-même, ou le talent de l’invocateur, Desmina ressentait cette force puissante qui la tirait vers le plan terrestre. Autant y répondre, et régler le problème, pensa-t-elle, ce sera bien plus rapide et moins douloureux.
Sa matérialisation était d’un grand classique. L’irruption d’un démon dans le monde des mortels se caractérisait de toute façon par un inévitable souffle de chaleur, de souffre et de fumée, plus importantes selon la puissance du démon. Autant dire que Desmina ne passait pas inaperçu. Son corps toujours drapé de cette toge fendue au niveau des jambes apparu au niveau d’un épais brouillard sulfureux, sa chevelure couleur lave flottant sous la lumière de la lune.
De prime abord, Desmina ne répondit rien. Elle chassa la fumée d’un geste de la main, notant toutefois la politesse judicieuse de son interlocutrice qui s’avançait pas à pas vers son cercle. La démone jeta un œil expert sur ledit cercle : celui-ci était parfaitement bien tracé, et lui interdisait toute sortie, servant aussi bien de point d’entée que de protection. Puis ses pupilles incandescentes se portèrent vers son invocatrice, et ses paroles éveillèrent une lueur d’intérêt dans ses yeux.

*C’était dont ça, cette puissance, une ange déchue. Ce sera certainement une première, même pour moi. Quoique cela peut rapidement devenir amusant.* Songea-t-elle en l’examinant de la tête aux pieds.

La démone déshabillait Melluel du regard, et ne s’en cachait nullement. Après tout, cela confirmait ses dires, une beauté immortelle se cachait véritablement sous ce visage splendide encadré d'une magnifique noire, couleur que Desmina appréciait particulièrement. Ses courbes affolantes se passaient de commentaire. Gardant le silence malgré tout, Desmina jeta un regard autour d’elle, sur cette boutique plongée dans la lumière lunaire, aux étagères bien remplies. L’ange doit sans doute vivre parmi les humains pour être ici, songea-t-elle.

« Je vois. » Commença-t-elle, sa voix mesurée et légèrement grave pour une femme résonnait dans la pièce. « Dans ce cas, vous allez pouvoir me faire sortir de ce cercle qui m’emprisonne. Ce sera sans doute mieux pour parler sur un pied d’égalité, n’est-ce pas ? »

Une requête qu’aucun invocateur mortel sain d’esprit n’aurait accepté. Après tout, briser le cercle d’invocation sans contrat ni pacte revenait à lâcher le démon dans la nature, et f sur la première personne qu’il trouverait en face de lui. A savoir, Melluel dans ce cas-ci, vers qui Desmina souriait énigmatiquement. Un sourire de confiance ? Il était très risqué de faire confiance à un démon, et surtout à elle qui était réputée imprévisible, mais l’ange ayant proposé un dialogue sans entrave…

« Sans entraves, cela veut dire sans cercle. Même si je sais combien les anges aiment revenir sur leurs paroles sous prétexte qu’ils font le bien. Je me demande si vous êtes différentes de vos semblables… »

Avec un sourire narquois, Desmina croisa ses bras sous sa poitrine. La toge laissait voir l’une de ses jambes décorée de ses magnifiques arabesques noirs, et sous cette lumière, elle avait vraiment l’air d’une créature aussi séduisante que dangereuse. Après tout, rien ne l’empêchait de se jeter sur Melluel, une fois libre, et qui pouvait prédire ses intentions dans pareil cas ?

Bien qu'il lui fallait à présent briser ce cercle si parfait, Melluel ne put s'empêcher d'être prise par l'orgueil et la fierté à chaque fois qu'elle baissait les yeux pour contempler son oeuvre. Captive, la démone ne semblait pas être en mesure de passer au travers. Cette éventualité fut confirmée par sa requête. Briser le cercle était donc nécessaire pour libérer le démon. Et bien que l'ouvrage antique déconseillait fortement de briser les chaînes d'une créature infernale convoquée avant d'avoir passé le moindre pacte avec, Melluel n'était ni effrayée ni hésitante. Au contraire, la simple idée de se trouver aux côtés d'un puissant démon et de lui faire la conversation, là où d'autres se seraient fait soumettre, était particulièrement alléchante. Confiante et droite, la déchue plongea son regard dans celui de la démone sans jamais s'en défaire. Elle en profitait. Après tout, les seuls démons rencontrés par le passé ne lui avaient pas tenu la conversation mais avaient plutôt tenté de se débarrasser d'elle. Un tel échange était inédit pour Melluel, si bien qu'elle aurait voulu qu'il soit éternel.

- Revenir sur ses mots, c'est admettre ses erreurs. Or, je ne fais pas d'erreurs. Je n'en fais aucune qui me causerait du tort sur le long-terme, en tous cas. Le court terme ? Je le sacrifie au profit de l'avenir.

Elle dériva finalement du regard, se perdant un peu partout jusqu'à ce qu'elle trouve l'objet de ses convoitises, soit la craie avec laquelle elle a tracé le cercle d'invocation. Melluel s'agenouilla ensuite devant la démone, non pas pour s'en remettre à elle mais bien pour dessiner quelque chose d'autre. C'était un nouveau cercle, bien plus petit et aux allures plus mathématiques qu'ésotériques ; un cercle alchimique. Elle disposa sa main intacte en son centre alors que des étincelles jaillirent aussitôt de ce cercle. Formule alchimique basique : réassemblage des mollécules. Le sol sembla se déformer sous les pieds de la démone. Les pierres qui le composaient passèrent brièvement d'un état solide à un état plus liquide et se durcirent quelques secondes après, une fois que les résidus de craie et de sang avaient été absorbés. Il n'y avait plus la moindre trace de quelque rituel que ce soit. Melluel se redressa doucement après cette courte démonstration alchimique, ne se privant pas pour toiser son invocation de bas en haut, et se recula de deux pas, non pas par sécurité mais pour laisser un peu d'espace à la démone.

- Est-ce que cela est une preuve suffisante, ou vous faut-il plus de ma part ? Tant que cela n'implique pas mon âme, je devrais pouvoir être en mesure de répondre à la plupart de vos attentes. En retour, je ne demande quelques réponses pour le moment.

Comme si la situation actuelle n'était pas tendue, Melluel tourna le dos à son interlocutrice et fit quelques pas en direction d'une table ronde en bois de bonne facture autour de laquelle était disposée trois chaises. Pourquoi deux et non trois ? Ses clients comportaient parfois des couples. Elle devait donc être en mesure de les accueillir ensembles. Dans le cas actuel, cela ne ferait qu'une place vacante et aucunement gênante. Melluel invita donc la démone d'un simple geste du bras et s'assit elle-même sur l'une des chaises à dispositions.

Elle posa ses coudes sur la table, croisa ses doigts en hauteur et posa son menton sur ces mêmes doigts entremêlés. Ses pupilles ambres suivirent attentivement le moindre mouvement de la démone alors qu'un sourire non dissimulé continuait d'étirer ses lèvres. Après tout, qui ne serait pas curieux quant à la réaction d'une telle entité dans un contexte pareil ? Les conjurateurs ne devaient probablement pas libérer un démon de façon si précipitée, encore moins sur un caprice personnel. L'invoquée sera-t-elle du genre à profiter de l'absence d'entrave pour imposer ses règles ou collaborera-t-elle ? Rien que de l'imaginer, Melluel en avait des frissons. Au delà de ça, il était tout aussi excitant de vivre ce ressenti étrange, cette adrénaline procurée par le danger. C'était grisant, sans parler du fait que cette compagnie oppressante changeait radicalement de celle des anges.

- Tant que j'y repense, ne me considérez pas comme un ange à part entière. Je ne veux pas que l'on me confonde avec eux. Si je fréquente aujourd'hui des démons, ce n'est pas par crise futile et sans intérêt, mais bien parce que j'ai quelques comptes à régler avec ces incapables de prétendus bienfaiteurs. Mais assez parlé de moi pour le moment. Quel est votre nom, ravissante créature des enfers ? Il serait déplacé que je commence à vous poser des questions plus ou moins indiscrètes sans même vous connaître.

En ces siècles d’existence, rares étaient mes invocations n’ayant pas mal tourné, pour les mortels, bien entendu. A des degrés divers, ils s’étaient montrés trop faibles, stupides ou imprudents, et surtout, je les avais maint fois dupés au niveau des termes du contrat. C’était le plus amusant. Briser le cercle par la force était bien plus courant, mais à mes yeux, il n’y avait rien de plus satisfaisant que de voir un invocateur paniquer en comprenant que les termes du pacte se retournaient contre lui.
C’est pour ses raisons que l’on m’invoquait rarement. Après tout ce temps, les ouvrages me mentionnant étaient non seulement rares, mais leurs auteurs se montraient très prudents, mettant en garde contre mes méthodes. Alors cette ange-ci, saisissait-elle le risque encouru ? Manifestement, je n’en étais pas certaine puisque cette Melluel ne se débinait pas, ayant vraiment l’intention de me libérer séance tenante.

*Ah, tu ne fais donc pas d’erreurs ? Nous allons rapidement voir ça…*

Dans un silence complet, et une immobilité de marbre, j’attendis qu’elle fasse la démonstration de ses affirmations. Ce qu’elle fit ! Honnêtement, cette attitude me prit légèrement de cours, car jamais on ne m’avait libéré sur une impulsion confiante, si bien que je n’avais pas encore décidé du comportement à adopter. Je haussai un sourcil curieux en voyant le cercle d’invocation disparaitre dans une démonstration alchimique maitrisée, et constatai qu’effectivement, toute barrière avait disparu désormais.
Ni prison pour moi, ni protection pour elle. Quelle fierté contenait ce regard, et ce déhanchement tandis que Melluel se trouvait suffisamment sûre d'elle pour me tourner le dos. Confiante, ou imbus d’elle-même ? Cela était souvent le cas avec les anges, et à vrai dire, une telle attitude me donnait davantage envie de la tourmenter. Un légère accès de colère me gagna, comme un furieux besoin de la mettre à genoux, de la souffrir, de me supplier et de chasser ce sourire orgueilleux de son joli minois.
Je ne lui répondis rien. Parce qu’il n’y avait rien à dire, et parce que je devais contenir cet accès de violence en moi. Ce serait trop précipité. Malgré mon âge, jamais je n’avais encore été appelé par une ange déchue, ce serait bien trop dommage de gâcher cette occasion par la précipitation. Melluel s’assit paisiblement à la table où elle m’invita, mais j’étais occupée à déambuler en silence dans cette pièce, une boutique fournie dans un style très humain. Je braquai soudainement mon regard vers elle, sans la moindre amicalité, laissant flotter un soupçon de danger.

« Desmina. » Déclarai-je de but en blanc.

Ah, je comprends désormais, son livre n’était pas exhaustif. Sûrement un de ces ouvrages trop anciens, invoquant les démons sans connaitre leurs noms, une méthode puissante mais hasardeuse. Et que me voulait cet être ? Me ranger à sa cause ? Ce serait simplement hilarant. Je la toisai de toute ma hauteur, m’approchant d’un pas lent mais affirmé, imaginant mille et une choses que je pourrais lui faire.
La chaleur monta d’un cran dans la pièce, et l’expression de mon visage n’avait rien d’amical tandis que mes pas me rapprochaient inexorablement de Melluel. Au lieu de m’asseoir à sa table, je m’arrêtai juste devant elle, fixant cette chair si humaine, semblant si fragile… Les relents de l’immortalité semblaient émaner d’elle, mais je sentais comme une faiblesse toute humaine. Ma main se posa brusquement sur la table, provoquant un bruit sourd tandis que je me penchai vers l’ange, nos visage très près l’un de l’autre.

« Et comment dois-je vous considérer ? Comme une créature brisée, pathétiquement humaine ? Comme une proie avec qui jouer ? »

L’index de ma main gauche trouva le chemin de son cou, retraçant la ligne de sa gorge du bout de l’ongle, d’un geste à la fois sensuelle et dangereux. Mon souffle bouillant effleurait son visage, et je plongeai délibérément mon regard dans ses pupilles d'ambre.

« Je me demande ce qui se produirait si, par un caprice, je déchirai ce joli cou. Serait-ce douloureux ? Ou êtes-vous tombée aussi bas que la mortalité ? » L’interrogeai-je.

Ce serait vraiment dommage d’abimer ce beau visage, cela dit. Sans attendre de réponse, je me redressai sans crier gare, reculant de quelques pas pour prendre place dans l’une de ses chaises. Je croisai lascivement les jambes, et lui offris un parfait sourire satisfait. Autant jouer à son petit jeu, au moins jusqu’à ce que je sois entièrement lassée d’elle.

« Alors Melluel, que me vaut le plaisir d’être arrachée à mon confortable palace et d’être amenée de force dans cette boutique poussiéreuse ? » Lâchai-je, adoptant cette fois une attitude bien plus détendue et moins menaçante.

Pas une seule fois. Melluel ne remit pas une seule fois en question ce que les autres appeleraient un acte inconsidéré. Comme elle l'avait dit, sacrifier le court-terme était nécessaire pour achever de plus grands desseins à l'avenir. Faisant preuve d'une foi inébranlable en ce crédo, la déchue s'était déjà préparée à possible regretter ses choix dans l'instant présent. Motivée par sa vengeance, elle s'estimait capable de surmonter toute forme de douleur et effaçait ainsi toute trace de peur, quitte à passer pour une personne imprudente voire totalement inconsciente. Cette fois l'aida à conserver son sourire, cela en dépit du ton de la démone qui se voulait probablement menaçant. Le fait que ces créatures infernales tentaient d'emblée d'imposer leur domination n'était pas une légende, et cela avait été prouve à maintes reprises au cours de l'histoire, au grand dam de ceux en ayant fait les frais. Cependant, Melluel ne se laisserait pas faire et était d'ores et déjà prête à faire une démonstration de ce que "volonté de fer" voulait véritablement dire.

L'exilée leva les yeux vers la démone lorsque cette dernière s'approcha. Pourquoi ne s'asseyait-elle pas tout simplement ? Elle allait tenter quelque chose. Pourtant, le sourire de Melluel ne s'effaça à aucun moment. Elle ne dériva pas non plus du regard et se contenta même de pencher la tête sur le côté lorsque l'ongle de la démone vînt provoquer le cou de l'alchimiste. Rien n'intimida l'inconsciente, que ce soit ce fracas d'une main ferme contre le bois de sa table, ce geste menaçant à proximité de sa gorge, ou même cette proximité étouffante. Elle entrouvrit ses lèvres, desquelles s'échappèrent quelques mots prononcés avec légèreté et douceur.

- Même si je n'avais été qu'une pathétique humaine, ma chère, je me serais davantage épanouie dans ce rôle que dans celui d'un ange au sens moral défaillant. Malheureusement, je semble être une sorte de mélange bâtard entre l'ange et l'humain, à la fois immortelle et désincarnée. Si votre but est de me faire souffrir, allez-y, puisque c'est tout ce que je suis en mesure de ressentir aujourd'hui. Ce n'est cependant pas cette façon que vous me briserez.

Malgré les propos qu'elle tenait, Melluel eût plus de difficulté à respirer normalement. C'était comme si se tenir si proche de cette démone provoquait la même sensation que se retrouver au milieu d'un incendie. Était-ce du fait de son aura ? Ou d'un simple résidu d'essence angélique ? Quelle qu'en soit la réponse, cette sensation oppressante s'estompa une fois que la démone prit ses distances pour aller s'installer sur l'une des chaises. Elle sembla même coopérative, mais pour combien de temps ?

- Comme je l'ai dit plus tôt, j'aimerais que vous répondiez à quelques questions. Actuellement, j'en ai beaucoup qui me viennent à l'esprit. Je doute cependant que vous ayez la patience ou même l'intérêt suffisamment attisé pour vous contenter de me répondre des heures durant, Desmina. Comme je sais qu'il est coutume chez les démons de demander une compensation en échange de services, pourquoi ne pas définir les termes du contrat avant toute chose ? J'ai beau vous avoir libérée de vos entraves, j'émets toujours quelques doutes quant à votre volonté de ne pas m'arracher subtilement mon âme. Ma première question concerne donc le prix à payer pour votre parole.

Sur ces mots, Melluel se leva de sa chaise et contourna la table d'un pas lent, tout en caressant la table du bout de ses doigts au gré de son avancée. Elle s'arrêta près de Desmina et recréa cette proximité perdue il y a peu. Mais contrairement à la démone, la déchue n'avait pas pour but de se montrer menaçante. Elle souleva une de ses jambes et s'assit sur la table tout en toisant inlassablement l'invoquée.

- Je devrais être en mesure de vous fournir à un peu près n'importe quoi, à défaut de vous céder mon âme. Il se pourrait même que, dans le cas où vous teniez à satisfaire votre faim fiélone, je sois en mesure de leurrer quelques brebis pour les faire dériver des voies du seigneur en faveur des vôtres. Quel que soit le péché, je suis déjà prête à l'embrasser. Quel que soit le prix, je suis toute aussi prête à le payer. La connaissance n'a pas de prix, et je n'ai besoin que de mon âme pour l'exploiter.

Melluel porta sa main ayant cessé de caresser la table au menton de la démone pour lui relever suffisamment la tête. Suite à cela, elle s'approcha toujours plus et feinta le désir de l'embrasser pour se détourner d'elle au dernier moment et porter ses lèvres à l'une des oreilles de la créature à la peau cramoisie.

- Songez-y. Même sans céder mon âme, je suis prête à sacrifier plus qu'il n'y paraît, preuve étant que je n'ai pas hésité à vous libérer pour attiser votre curiosité à mes risques et périls.

Bien des démons auraient été ravis de cet entretien surprise avec une ange, du moins une ange déchue, et en auraient profité pour laisser libre cours à leurs fantaisies. Pour ma part, je sentais mon intérêt décroitre. Assise confortablement dans ce siège, j’écoutai distraitement ces paroles audacieuses en ayant la désagréable impression que nous tournions en rond. Pourquoi restais-je seulement ici ? Melluel venait de me libérer de son cercle d’invocation, et rien, absolument rien au monde ne pouvait m’empêcher de partir et de faire ce que bon me semblait.
Cette ange me semblait réellement frustrée d’avoir été bannie par ses pairs, et son orgueil supportait mal d’avoir été roulé dans la boue terrestre. A mes yeux, elle n’était qu’un cas de vengeance supplémentaire qui cherchait désespérément de l’aide dans ses projets, et elle n’avait rien trouvé de mieux que l’autre camp. Moi en l’occurrence. La pauvre Melluel avait vraiment choisi le mauvais démon pour son projet, car je ne ressentais aucun désir de l’aider dans sa pathétique vengeance.

*Ma pauvre ange, plus tu m’en dis, moins je m’intéresse.* Pensai-je lorsqu’elle s’approcha de moi.

Le voilà le fameux marché, la fameuse tentative de séduction tandis que la déchue s’assit sensuellement sur la table, posant littéralement sa longue jambe sous mon nez. Très franchement, je ne pouvais pas lui en vouloir, dans la mesure où la plupart des démons auraient été ravis de lui arracher ses vêtements et de posséder une ange déchue sur le champ. Mais j’étais libre. Tout ce que Melluel me proposait, j’étais littéralement libre de le clamer, y compris son corps et toute ses possessions.
Je devais bien lui accorder que son charme fut réel. Un frisson parcouru ma peau lorsque le parfum de ses lèvres flatta mes narines, et que son souffle angélique caressa mon visage. Même si cette proximité était alléchante, je ne pus me contenir. J’éclatai de rire sous son nez, un véritable rire moqueur tandis que je la repoussai en posant mon index sur ses lèvres. Contenant mon hilarité après un petit instant, je penchai la tête en regardant Melluel, un sourire narquois peint sur mes lèvres.

« Tu n’as donc pas compris ton erreur ? » J’étais lassée de la vouvoyer, elle ne le méritait pas à mes yeux. « Tu m’as libéré dans ce monde, tout ce que tu me proposes, je peux le prendre quand je le désire. C’est un paiement qui n’a aucune valeur. »

La violence physique ne fonctionnait pas avec elle, au moins jusqu’à un certain point, ce qui me semblait être une perte de temps en tout cas. Il me restait à toucher son ego. Sans me départir de mon sourire moqueur, j’enchainai sur un ton amusé.

« La vérité c’est que tu es faible. Tu es une petite ange qui brandit fièrement ses pêchés comme un étendard, et fais de petites bêtises pour attirer l’attention de ses semblables, alors que tu es incapable d’aller jusqu’au fond des choses. Tu te crois unique et au-dessus du lot ? Ah, tu ne veux pas vendre ton âme au diable ? Comme si tu en valais la peine ! Tu t’imagines être le centre du monde ? C’est pathétique, tu es juste un résidu d’ange laissé à l’abandon chez les hommes. »

En réalité, je préférai la méchanceté du verbe. Le comportement de Melluel me semblait plus proche de celui d’un démon, et ceux-ci supportaient très mal les attaques sur leur fierté personnelle. A mon grand regret, cela m’arrivait bien trop souvent. Peut-être n’allait-elle pas se vexer, et peut-être pourrait-elle me surprendre ? Ce serait sans doute une bien meilleure issue, car pour l’instant, ma curiosité n’était nullement attisée.

« Tu n’es ni ange, ni mortel. Tu n’es rien du tout, et ça ne mérite même pas mon attention. Tout ce qu’il te reste à faire pour m’empêcher de partir sur le champ, c’est me supplier à genoux que je t’aide et me lécher les pieds comme une bonne petite déchue obéissante. » Lâchai-je sèchement.

Ah, Melluel. Il existe mille et une manière de faire chuter une âme. Prends garde de ne pas la perdre sans t’en rendre compte, pensai-je, tu es déjà tellement au bord du gouffre. Je croisai les bras, comme une parfaite statue de beauté et de flamme, m’interrogeant sur la réaction à venir. Serait-ce une triste et prévisible colère, ou bien ma première surprise de la soirée ?

Loin de se laisser faire, la démone éclata tout d'abord de rire, sous l'oeil inquisiteur de Melluel qui tenta de trouver une justification à cette expressivité si soudaine. À en juger par l'attitude de son interlocutrice, Melluel en conclut que ce n'était que le fruit des prises d'aises de Desmina. Voilà ce qu'on obtenait à force de défier autrui sans poser de réglementation quelconque. Pourtant, ce n'était pas quelque chose qui dérangeait l'exilée. Elle resta sereine et en pleine possession de ses moyens, au moins jusqu'à ce que la démone change d'attitude et ne décide plutôt de la provoquer. Les mots sont de véritables poignards. L'ego blessé, Melluel ressentit l'envie soudaine de se rebeller et la faire se taire par la force. Elle aurait d'ailleurs cédé à cette pulsion sans plus de réflexions si elle avait été certaine que son alchimie soit en mesure de défaire Desmina. Or, elle n'en avait aucune certitude et dû ainsi prendre sur elle. En réponse, sa respiration devînt plus lourde. Ses narines, tout comme sa poitrine, se gonflèrent et dégonflèrent au gré de ses inspirations et expirations. La déchue n'avait pas projet de dissimuler quoi que ce soit, encore moins quelque chose qui la rapprochait davantage du stade d'humain voire de démon que celui d'ange.

- Vous avez raison. Et alors ? Je ne leur ferai certainement pas le plaisir d'accepter cette condition misérable sans broncher.

La conversation dériva ensuite vers des menaces. Desmina allait-elle vraiment partir ? Melluel ne pouvait pas en avoir la certitude mais estimait néanmoins que ce risque n'était pas à prendre. Il était hors de question de laisser une invocation et dur labeur de plusieurs mois d'apprentissage s'en aller dans la nature pour ne plus jamais revenir. Pour empêcher cela, l'invoquée avait laissé une seule alternative possible. Était-ce vraiment ce qu'elle attendait, ou se laissait-elle juste submerger par les idées démoniaques que son esprit pouvait élaborer à la seconde ? Quoi que ce soit, Melluel y vit un message, une opportunité, et n'avait de toute façon pas la moindre envie de se débiner. Même si cela pouvait paraître dégrandant ou humiliant, l'exilée n'en avait cure. Après tout, ce à quoi elle tenait le plus lui avait déjà été retiré.

Une nouvelle étincelle de résolution naquît dans le regard de Melluel. Son sourire refit lui aussi une apparition soudaine avant que l'ange ne quitte sa position actuelle pour se dresser directement en face de Desmina. Elle se permit de poser une main sur une des cuisses de la démone et commença par s'accroupir avant de plonger ses iris dans ceux de sa commanditaire.

- J'espère que vous ne pensiez pas me blesser avec de tels ordres, Desmina.

Sans plus de cérémonies, elle passa d'une position debout à accroupie, puis finalement à genoux. Encaissant la simple et petite douleur de ses jambes quasi nues sur le sol de pierre sans broncher ou grimacer, Melluel activa une de ses mains et se saisit d'une des pieds de la démone par le talon. D'un geste tout aussi délicat, elle le souleva et courba encore plus l'échine, jusqu'à ce qu'elle soit en mesure d'embrasser le dos de ce pied. Le couvrant de baisers d'apparence attentionnés, elle remonta doucement ses lèvres le long de l'élégante jambe jusqu'à éventuellement atteindre le genoux de la démone. De sa main libre, Melluel tira délicatement sur la toge noire de Desmina pour l'écarter de son chemin et s'apprêtait déjà à couvrir la cuisse dégagée d'attentions aussi douces. Mais avant de s'aventurer en terrain si sensible, l'alchimiste se rapprocha pour créer plus d'intimité, plaqua la partie de la jambe dont elle s'était déjà occupée contre son buste, puis releva les yeux en direction de la créature autoritaire.

- Suis-je suffisamment basse à votre goût ? Je pourrais l'être davantage, mais qu'est-ce que cela vous apportera ? Je ne me sens pas humiliée, mais plutôt honorée que vous cherchiez à tirer profit de la situation plutôt que de vous en aller sans prévenir.

Les mots empoisonnés avaient fait mouche. Une exquise fureur se dessina sur le visage angélique de Melluel, la plus parfaite expression de colère que je n’espérai plus. Avait-elle compris que j’avais parfaitement perçu cette vive émotion ? Bien entendu, comment en aurait-il pu en être autrement, quand on possède les sens aiguisés des êtres supérieurs, démoniaques ou angéliques. Le pli de ses lèvres, le soulèvement de ses narines, ces petits détails faisaient mon bonheur.
Pendant un instant, je crus même que cette ange aux ailes brisés allait me gifler. Ah, le merveilleux orgueil de cette créature était un point faible idéal pour mes piques. Cependant, Melluel avait au moins le mérite de ne se faire aucune illusion sur sa condition, encore moins espérer l’aide ses anciens congénères.  Ce qui prouvait au moins sa jugeote, un excellent point. Peut-être bien digne de mon attention finalement. Elle me paraissait encore plus belle ainsi, plus attirante à mes yeux en tout cas.

*Il me reste à déterminer ce qui est le plus fort chez toi, l’orgueil ou l’ambition...*

Une excellente question ! Qu’est-ce qui lui importait davantage, sa vengeance contre les anges, ou bien la préservation de son orgueil ? Quoique, avec cette pathétique condition, elle avait probablement perdue ses objets de fierté, alors que ses semblables l’avaient trainé dans la boue. Melluel devait se plier à ma requête puérile. Jamais un ange n’aurait accepté ce geste pour obtenir mon aide, cela aurait été considéré comme une humiliation sans précédent pour ces êtres.
Mais une ange déchue ? Elle n’avait plus rien, plus aucun allié, un pauvre être coincé entre deux états. Cela aurait été simplement une fierté mal placée, ce qui m’aurait grandement déçue de sa part. Quelque part, j’attendais mieux de Melluel, peut-être était-ce là un signe que cet être avait piqué ma curiosité… Quoiqu’il en soit, c’est avec une attention particulièrement soutenue que je suivis ces gestes, alors qu’elle descendit de la table en souriant, s’abaissant devant moi.

« Hmm. Qui sait ce que je cherche à faire ? » Lui répondis-je évasivement, conservant une posture nonchalante.

Douce et chaud, sa main descendit le long de ma cuisse et m’arracha un imperceptible frisson. Ah, elle allait s’exécuter ! Quand bien même mon visage ne trahissait rien de mes pensées, j’étais extrêmement satisfaite de sa décision. L’ambition, cela je pouvais le comprendre. Quelle douce chute de s’absorber dans la vengeance, la colère et le sang… Finalement, je pourrais peut-être faire quelque chose de Melluel.
L’empreinte délicate de ses lèvres sur ma jambe, son souffle parfumé sur ma chair, ses suaves baisers provoquaient d’onctueux frissons le long de mon échine. Ma chevelure crépita légèrement. Je ne pouvais pas rester complètement insensible à son charme après tout. Melluel avait toujours cette beauté angélique, et j’étais toujours attirée par ce côté-là, comme si nos existences opposées s’attiraient. La voilà qui s’arrêta judicieusement, car je ne comptais pas lui donner accès à des endroits plus intimes, et elle pressa alors ma jambe contre sa jolie poitrine. Ah, délicieuse créature, je m’occuperai de toi en temps voulu, pensai-je.

« Tu es très bien ainsi, Melluel, ne bouge plus. »

Cette fois-ci, cette créature déchue avait toute mon attention, et je comptais bien tirer profit de cette soirée. Pendant que Melluel restait immobile, je lui confisquai ma jambe pour pouvoir me pencher, et soulever son menton du bout de l’index, redressant son visage comme elle l’avait fait auparavant avec moi. Contre toute attente, je pressai mes lèvres contre les siennes, en un baiser brûlant mais étrangement chaste et plutôt bref.

« J’aime ton ambition. Alors, va t’asseoir et expose-moi tes questions, tu as mon attention pour le moment. Que veux-tu savoir, petite ange ? » Lui confiai-je en abandonnant lentement ses lèvres.

A nouveau, je croisai les jambes, remettant ma toge en place, pour éviter qu’elle ne saisisse l’occasion d’aller plus loin. Les choses se dérouleraient à ma manière. Melluel était déjà attirante à mes yeux, mais au-delà du physique, j’étais curieuse de voir son esprit, de savoir quel genre de projet cette déchue mijotait. Un esprit aiguisé pouvait encore davantage me séduire. Confortablement installée dans mon siège, les mains entrelacées sur mes cuisses, je méditai sur mon prochain vilain tour, en plongeant mon regard dans ses beaux yeux d’ambre.

« Néanmoins, je vais poser une condition. Pour chaque question, en paiement, je te demanderai de me donner quelque chose. Sans quoi la discussion sera terminée. Mais je n’exigerai pas ton âme, rassure-toi. Cela te convient-il, ma jolie curiosité du soir ? »