La fumée de la plantation incendiée avait disparu à l'horizon. A bord du grand drakkar de Kystrejfter, le butin, une vie d'économies d'un esclavagiste, avait été réparti entre l'équipage, Lamnard conservant un cinquième, selon la coutume, pour ses frais de chef et l'avantage de sa position. Après quoi, on avait groupé ce qui avait été saisi des réserves de la villa du maître : vins et bières, charcuteries fumées, bocaux de fruits confits et poisson salé. Une partie fut dédiée à la cale, tandis que le reste restait sur le pont, prêt à être consommé pour les festivités.
Les morts avaient été peu nombreux, mais difficiles, comme toujours. Chacun avait reçu les honneurs selon ses coutumes. Comme les affranchis composant presque essentiellement l'équipage venaient parfois de contrées et de peuples très différents, les cérémonies et les arrêts pour crémation ou enterrement prirent l'essentiel du reste de la journée.
A cette heure, l'alerte n'avait pas encore été donnée à Nexus. La plantation était plutôt distante de la première ville, et il faudrait sûrement attendre plusieurs jours avant qu'on reconnaisse un affranchi vagabondant ou qu'un convoi constate la désolation de l'affaire autrefois florissante. L'équipage de pillards était donc confiant et calme, et il était désireux de s'arrêter pour faire la fête. Dans l'attente, ils accueillaient et formaient ceux des affranchis qui avaient désiré les rejoindre, et avaient été accepté à bord. Plusieurs gaillards et une jeune femme robuste les rejoignait. Leurs bras ne manquaient pas de puissance, mais la grâce leur manquait terriblement. Kyst avait observé avec amusement. Leur entraînement serait long, mais ils deviendraient de bons éléments si les dieux leur en donnaient le temps.
Le Soleil déclinait sur les régions frontalières de Nexus quand le navire arriva à un village qu'il avait choisi comme escale à plus d'une reprise. Les gens d'ici n'avaient pas d'esclaves. Ils étaient bien trop modestes pour en avoir, et luttaient pour survivre pour la plupart. Quand Lamnard et son équipage arrivaient après un pillage, ils faisaient volontiers peu de cas de leur métier sanglant et de leurs actes contre leur propre pays, accueillaient avec grand plaisir l'or qu'on leur dispensait et la fête souvent faste à laquelle ils étaient, bien sûr, invités.
Les premiers villageois ne manquèrent pas d'arriver à peine le bateau tiré sur la berge. Ils accueillirent les pirates affranchis avec des embrassades et de la joie, et les femmes ne tardèrent pas à se passer le mot pour que chacune décore la place du village de fleurs et de rubans colorés pour la fête. On sortit de grandes tables de la salle commune et les locaux sortirent leurs instruments de musique. Les hommes de Lamnard, eux, montaient bouteilles, tonneaux, caisses de victuailles et diverses décorations jusqu'à la place, et certains portaient avec eux les instruments de leurs propres contrées : lyres, tambours, flutes ... C'est dans la fête que le caractère cosmopolite de l'équipage sortait le plus.
Naturellement, cette agitation inattendue ne manqua pas d'attirer l'attention de la seule étrangère à s'être jusque là arrêtée par ce petit village sans nom ...