La Geste de Lamnard [PV Krynyss]

Le mage zangabali sentit immédiatement la présence d'anomalies dans sa demeure. Il n'eut aucune difficulté à repérer le cadavre dans l'instant, et il appela son serviteur reptilien par un sort obscur, pour lui expliquer la chose et nettoyer comme il se devait. Mais il n'eut aucune réponse. Pris d'un pressentiment, il remarqua que la tapisserie cachant la porte de la cellule n'était pas placée comme convenu. Il la tira en hâte et se retrouva nez-à-nez avec la pièce vide, et le cadavre de son fidèle esclave squameux.

La fureur brilla dans ses yeux, tandis qu'il fouillait ses affaires à la recherche de ce dont il avait besoin pour débusquer les criminels ; à commencer par cette succube, avant qu'il ne soit trop tard.


Lamnard se tenait à côté d'Ingrid, interpellé par ses paroles, la peur semblant suinter dans sa voix, et, surtout, par sa soudaine tétanie.

" Il n'y a rien dans ce miroir. Tu as sûrement vu un reflet. Ingrid ? "

La jolie blonde ne répondait plus. Ses yeux ne clignaient plus, non plus. Le nordique se plaça entre elle et le miroir, pour briser le charme quelconque l'ayant frappé si tant était que cela soit possible. Il vit, dans sa pupille, brûler un feu dévorant, et il aperçut, brièvement, la silhouette d'une beauté brune et pulpeuse. Il sentit un pouvoir d'attraction phénoménale le river à cette apparition, mais elle sembla soudain gênée. Elle se tourna droit vers lui, et il fut brutalement projeté de côté. Le corps d'Ingrid se raidit tandis qu'elle semblait combattre une chose cherchant à prendre possession d'elle.

" Ingrid ! Bats-toi ! "


Dans l'étude souillée, Athmar Phong se figa. Il avait senti l'écho magique du miroir. Ses yeux trahirent une véritable inquiétude tandis qu'il invoquait une lame de fumée verdâtre maladive et acourait vers son laboratoire.

Ingrid ! Bats-toi !

L'appel de Lamnard sortit la succube de l'état de légère rêverie dans laquelle l'avait plongée la contemplation des sombres ténèbres du miroir.

- Euh, hein quoi ? s'écria-t-elle, légèrement surprise. Elle se frotta les yeux et se détourna du miroir, s'adressant au barbare à voix basse : il y a quelqu'un ou quelque chose dans ce verre obscur... Je ne sais pas trop ce que c'est mais il désire qu'on le libère...

Les sens aiguisés ainsi qu'une sorte d'instinct ou d'intuition lui indiquèrent qu'ils n'étaient plus seuls dans la demeure du mage. Elle sentit une aura de magie et comprit aussitôt que le maître des lieux venait d'enfin rentrer chez lui ! Il faut qu'on se casse d'ici et vite ! fit-elle d'une voix précipitée, prenant son compagnon par le bras. Au diable ce foutu miroir, laissons-le ici !

Elle se précipita la première vers la sortie du laboratoire au moment exact où Athmar Phong déboula dans la pièce, l'air paniqué. La succube et le sorcier entrèrent en collision et ce fut à peine si le second sentit le choc tant il était corpulent ; Karla/Ingrid, elle, fut rejetée en arrière, heurtant la grande table où se trouvait l'alambic, l'ébranlant légèrement.

- Un intrus dans ma demeure ! rugit le mage, jetant un regard furibond au jeune homme, la lueur de sa lame de fumée verdâtre se reflétant dans ses larges prunelles sombres. Tu pénètres dans ma demeure, tue mes serviteurs et tente de voler mes biens, y compris la jolie créature que je me réservais pour plus tard !

De sa main libre, il traça quelques gestes dans l'air tout en prononçant quelques paroles dans une langue étrange et inconnue. Tout au moins pour le barbare, car la succube reconnut ce dialecte et la signification exacte des paroles prononcée par Athmar Phong.

- Attention, il va balancer un sort de Projectiles Magiques ! hurla-t-elle. De chacun des doigts de l'homme jaillirent un rayon de couleur écarlate qui filèrent droit sur Lamnard. Saisie d'une impulsion subite, elle se jeta en travers des traits de lumière qui l'atteignirent sans lui causer du mal : pour une raison inconnue le corps de la belle avait en quelque sorte absorbé, faute d'autre mot mieux approprié, les rayons.

Le sorcier ouvrit de grands yeux, effaré par la tournure que prirent les évènements.

Phong ne fut pas le seul à avoir été fort surpris par la situation. Kystrejfter s'était rué sur Ingrid dès qu'il eut réalisé quelle folie elle avait accompli, le protégeant de son corps face à la magie exotique et puissante du mage zangabali. Mais il ne la rejoignit que pour constater qu'il ne trouverait rien des dégâts mortels escomptés. Par un miracle mystérieux, la femme, dont il ignorait la vraie nature, était indemne, à peine légèrement étourdie par son plongeon libre et la réception abrupte.

Par quelle magie pouvait-elle encore être en vie ? Le guerrier se le demandait bien, mais il n'eut pas le loisir d'explorer les possibilités. Athmar Phong était déjà sur eux, son épée magique empoisonnée s'abattait sur eux.

" Qu'importe ! Ma lame vous tuera aussi bien qu'une autre ! "
" Non !! "

Il brandit une hache sur la trajectoire de l'apparition magique, et la lame de ténèbres pénétra l'acier, se bloquant à mi-chemin, le corps piégé dans le métal qui avait rougi sous la force du choc.
Les deux hommes cherchèrent à se dégager, leurs armes bloquées, en venant aux bras pour tenter de dominer l'autre. Mais Lamnard était trop robuste, et l'énorme mage était bien campé sur ses appuis. La lutte tourna à l'épreuve de force sans issue.

" Ingrid! Si tu as d'autres surprises, c'est maintenant ou jamais !"

Courageusement, Lamnard s'était précipité vers Ingrid/Krynyss pour la sauver des rayons, la plaquant au sol. Peine perdue car les Projectiles Magiques du sort éponyme étaient en quelque sorte "à tête chercheuse" : une fois que la cible était visualisée, le sortilège, une fois lancé, se dirigeait droit vers elle, la suivant à la trace. La seule manière d'échapper aux rayons était de se mettre complètement à couvert.

Bien entendu le géant blond ne pouvait pas savoir que Krynyss, en tant que Succube, était dotée d'une résistance à la magie naturelle. Il fallait des sorts puissants ou un magicien particulièrement doué pour outrepasser cette protection.

- Qu'importe ! Ma lame vous tuera aussi bien qu'une autre ! hurla le magicien, les yeux fous, brandissant sa lame qui brillait d'un curieux éclat verdâtre. Lamnard s'interposa, brandissant quant à lui sa hache. Les deux fers s'entrechoquèrent avec fracas et restèrent coincées : l'épée d'Athmar Phong avait ébréché l'acier de l'arme du viking, s'y encastrant. Le guerrier fit appel à sa force, pourtant prodigieuse, pour faire reculer son adversaire mais ce dernier était des plus corpulents.

*Il doit avoir un objet magique renforçant sa force...* pensa la Succube qui se releva, n'attendant pas l'appel de Lamnard pour agir. Saisissant, le premier objet qui lui tomba sous la main, un gros chandelier en argent, elle l'abattit sur le crâne chauve et luisant de sueur du magicien qui, sous le choc, s'affaissa au sol avec un bruit mou.

- Et dire que ce gros porc libidineux voulait me faire plier à tous ses caprices lubriques ! cracha-t-elle, regardant avec dégoût la masse corpulente du nécromant qui évoquait une méduse échouée sur la plage. Sans attendre, elle le fouilla, subtilisant son épée, quelques bijoux qu'elle sentait chargés de magie puis elle se retourna vers le jeune homme : filons d'ici, on a que trop trainé dans cet endroit !

Avant de quitter la pièce, elle regarda le miroir de verre noir et l'embarqua également, le fourrant dans un grand sac, avec le reste du butin.

Lamnard resta un bref instant au sol une fois le combat terminé, laissant Ingrid régler ses comptes personnels avec le sinistre sorcier tandis qu'il recouvrait ses forces et ses esprits. Elle fut prompte à se préparer à quitter les lieux. Il ne saurait l'en blâmer, avec le temps qu'elle avait passé ici et l'épreuve qu'avait dû être la seule perspective de sa soumission à ce semblant d'homme. Tandis qu'elle allait le laisser ainsi, dépouillé et évanoui, mais en vie, le nordique ne montra pas tant de magnanimité. Il lui planta son stylet dans la nuque. Ses vertèbres claquèrent dans un bruit sec et la lame rencontra la carotide sur son trajet. C'était net, précis. S'emparant des bijoux que la succube incognito avait ignoré, il repéra une lueur dans la bouche du zangabali et ricana en trouvant une dent d'or incrustée d'un gros diamant. Il arracha le trésor d'une main experte et l'emporta avec le reste des effets. Il voulut aider Ingrid avec le miroir, mais pour une raison inconnue elle avait développé une attraction surnaturelle pour cet objet et ne le laissa pas faire.

Les deux fugitifs quittèrent la demeure du mage malsain sous le couvert de la nuit encore noire, et trouvèrent bien vite refuge contre la devanture verrouillée d'un commerce dans une ruelle plusieurs patés de maisons plus loin. Ils purent ainsi reprendre leur souffle -surtout Ingrid, qui s'était bien chargée.

" Je ne suis pas prêt d'oublier cette cité. Merci de m'avoir secouru. Par contre, qu'est-ce qui s'est passé avec ce miroir, tout à l'heure, et pourquoi est-ce que tu tiens tant à le prendre avec toi ? "

Il n'y avait pas de trace de soupçon ou de reproche dans la voix de l'homme. Il était sincèrement étonné vis-à-vis de toutes les bizarreries magiques dont il avait été le témoin, et le miroir de verre noir n'avait pas été la moindre des curiosités dans ce palais des horreurs.

Le guerrier nordique ne fut pas aussi clément qu'Ingrid/Krynyss : d'un geste rapide et précis il planta un stylet dans la nuque du mage, le tuant net sur le coup. Au moins sa mort fut indolore...

Le duo quitta la demeure d'Athmar Phong sans rencontrer de résistance : rares étaient les mages - les mages puissants bien entendu - à s'encombrer d'une garde personnelle composée d'humains ; ils avaient plus confiance dans leurs propres pouvoirs magiques ainsi que dans les serviteurs surnaturels qu'ils convoquaient afin de protéger leurs personnes ou leurs demeures.

Ils s'arrêtèrent au bout de plusieurs minutes, devant une boutique fermée à clef - il faisait encore nuit et le soleil ne se lèverait pas avant quelques heures - afin de reprendre leur souffle et se remettre de leurs émotions.

-Je ne suis pas prêt d'oublier cette cité. Merci de m'avoir secouru. Par contre, qu'est-ce qui s'est passé avec ce miroir, tout à l'heure, et pourquoi est-ce que tu tiens tant à le prendre avec toi ?
- C'est plutôt moi qui te remercie : sans toi, j'aurais fini par servir de jouet à ce porc immonde ! Je ne suis pourtant pas difficile en matière d'hommes mais il y a des limites tout de même...

Elle s'arrêta un moment, son regard s'attardant sur le sac contenant le miroir :

- Quant à ce miroir... Eh bien, comme je l'avais dit tout à l'heure, j'ai l'impression que quelqu'un ou quelque chose est enfermé dans ce verre noir et il veut recouvrer sa liberté...

Elle n'ajouta pas qu'elle éprouvait une sensation de familiarité envers l'objet, ou tout au moins envers l'entité qui y était emprisonnée.

- Mais c'est pas le meilleur endroit pour discuter de tout ça ! On devrait se trouver une bonne auberge pour fêter dignement notre euh... opération. J'ai grand faim !

oOo

Une demi-heure plus tard, Lamnard et Ingrid étaient assis devant une table garnie de victuailles et d'un pichet de vin. Le Tapis Soyeux était l'une des auberges les plus réputées de Zangabal et fournissait à leurs clients un gîte des plus confortables et un couvert des plus agréables, apte à satisfaire les palais les plus délicats. Cela supposait, bien entendu, d'avoir une bourse bien garnie.

Ce qui était le cas de nos deux compagnons. Ordinairement, l'établissement exigeait également un minimum de correction dans la tenue mais la carrure du guerrier nordique et les courbes affriolantes de la succube, mises en valeur par l'extravagante tenue trouvée chez le mage défunt, avaient incité les deux solides videurs à ne pas leur barrer le passage.

- Encore un peu de vin ? demanda Ingrid/Krynyss à Lamnard.

   La vie d’un guerrier, qu’il soit un soldat tout à fait normal ou un affranchi révolté comme Lamnard, n’était pas une vie tranquille. Le vieux dicton, « qui vit par l’épée périt par l’épée », était une réalité on ne peut plus cruelle. Beaucoup d’histoires circulaient même sur des soldats ayant  vu le bout de leur service, après de longues campagnes, rentrant chez eux travailler leur terre, seulement pour subir un accident fatal à cause d’une vieille blessure de guerre. La Mort était une compagne familière du guerrier. Dans la culture de l’ancien esclave, l’importance du combat et de la mort était primordiale, ce qui l’aidait à accueillir la mort de ses compagnons, comme la perspective de sa propre mort, avec un certain détachement mêlé de fatalisme.

   Venir s’installer au Tapis Soyeux était une excellente idée pour faire passer l’amertume des idées noires et couper court à l’introspection. Kystrejfter comme Ingrid avaient bien mangé et bien bu. Le pirate célébrait le départ de son ami et le remède au risque de scorbut, un mal qui planait toujours au-dessus du marin aventureux, en se délectant avec appétit des divers délices que l’établissement offrait à sa clientèle. Il tendit sa coupe avec un sourire paisible quand la succube lui proposa un peu plus de vin, laissant le récipient se remplir avant de le porter à son nez. Les Zangabalis semblaient assaisonner leur vin de divers épices exotiques qui plaisaient au Nordique, comme elles préparaient son palais aux mets à leur disposition.

« J’ai perdu un ami et j’en ai trouvé un autre aujourd’hui ! », lança-t-il tout en se tournant dans les coussins mous et volumineux vers la belle jeune femme qui l’accompagnait. « A une belle femme et à une vraie guerrière ! Ingrid, tu m’as sans doute sauvé la vie ce soir, et tu peux me demander ce que tu veux. »

   Tandis qu’il prononçait ces mots, avec une sincérité manifeste et presque touchante, il parvenait à trouver son assise en s’approchant d’elle, leurs corps se faisant proches et son bras libre traînant derrière elle sans pour autant la toucher. Sous l’effet de l’alcool et maintenant que l’action était passée, il prenait le temps d’admirer les arguments qui avaient poussé feu Athmar Phong à capturer cette jolie fleur pour lui seul, délicieusement mis en valeur par la robe avec laquelle elle avait choisi de fuir de la demeure de l’ignoble individu.