97 jours.
97 jours que Grayle avançait, seul et solitaire, poussé par son irrépressible instinct d'explorateur et d'aventure. Il n'y a rien là bas qu'on lui avait dit. Rien au delà des canyons, des marais et des montagnes. Personne n'y était revenu, et si des gens s'y trouvaient, aucun n'était jamais arrivé à la civilisation. Des centaines de kilomètres de rien, de nature intouchée et pure.
Foutaises. Après plus de 400 ans à arpenter des dizaines de planètes, l'immortel savait une chose. La nature a horreur du vide. Des contrées de "rien", ça n'existe pas. Il y avait toujours quelque chose, une tribu, ou au moins ses restes, même en plein milieu des plus chauds déserts.
Traverser les canyons avaient été une partie de plaisir. La vue était infinie, et il évitait toute attaque surprise d'un prédateur quelconque. Peu affecté par la chaleur et la brume, il avait progressé avec une vitesse effarante, silhouette isolée sur la roche brûlante.
La forêt n'avait pas été un vrai obstacle. Les marais par contre... comprenait pourquoi personne n'était allé plus loin. S’étendant sur une surface suffisamment grande pour recouvrir un pays, ils étaient poisseux, pleins d'animaux horribles et de bestioles puantes. De gros lézards cracheurs de feu, des moustiques aussi gros que des chats et d'immenses araignées peuplaient les marais, calme champ de bataille et de carnage perpétuelle entre une faune hostile et une flore indifférente. Une armée entière n'aurait pas pu traverser cet immense terrain d'horreur, de maladie et de sang.
Distance de vue avec le brouillard de pestilence ? 10 mètres.
Temps de traversée pour Grayle ? 32 jours. Innarêtable, le jeune homme avait tracé tout droit devant, évitant et échappant à tous les dangers. Toujours droit devant ! Immunisé face aux maladies, doué de centaines d'années d'expérience et d'instinct, la proie s'était jouée des prédateurs, laissant derrière elle des créatures rageuses et affamées, faisant de ce terrain impossible à franchir, un simple désagrément, un terrain de jeu, dompté avec une grossière facilité.
Dernier obstacle, la montagne. Grayle n'aimait pas la montagne. La nature et le temps se dressaient spécifiquement contre vous. Le froid, le vent, une seule erreur, et c'était la mort, et retour à la case départ. Heureusement, il était bien équipé, et commenca l'ascension. Heureusement, les monts, bien que hauts, n'avaient pas de particularité les rendant trop dangereux, et, bien qu'ennuyante, elle ne fut guère difficile. L'absence de neige, grâce à la saison chaude et aux températures agréables de la région, y étaient pour beaucoup.
Tout au long de son voyage, le pérégrin continuait d'écrire des notes sur ce qu'il avait traversé, avec dessins, croquis et remarques. Il savait que personne n'allait jamais lire son huitième livres, mais tant pis ! Il fallait bien que tous ces voyages soient utiles. La montagne franchie, c'était une autre forêt qui s'était présentée à lui.
Il avait trouvé un passage à mi-chemin de la montagne et s'était ensuite mis en quête d'un point avancé.
" Pas question de me retaper la descente. " Comme à chaque fois qu'il se trouvait seul pendant un long moment, Grayle se mettait en mode pilote automatique, ses pensées uniquement focalisées sur le principe simple d'avancer droit devant, peu importe l'obstacle. Ses rares réflexions étaient à haute voix, comme pour se rassurer de son état. Celui d'être vivant. Avisant un a-pic, il s'y dirigea, alors que le soleil se levait. Emmitouflé dans une tenue d'hiver et des lunettes anti-neige modernes, il n'avait, au début, rien remarqué du spectacle qui se présentait à ses yeux.
C'est lorsque la lumière matinale illumina l'horizon qu'il la vit alors. Pas l'immense étendue de roche, ni la grande forêt en contrebas, non. Du moins, pas seulement. Mais la ville. Une grande, immense ville, qui s'étendait sur des centaines de mètres, voir des kilomètres, en contrebas, à dos d'une autre montagne qui lui faisait face.
Il fouilla dans son sac, et en sorti une paire de jumelles. Oui, c'était bien une ville ! En pierre blanche et ornée. Du marbre ? Quoi qu'il en soit, il savait désormais ou aller. Il continua de fixer l'étendue en contrebas, à la recherche d'un autre signe de civilisation et d'une présence humaine. Hélas, pas grand chose... ses jumelles n'étaient pas assez précises et ne portaient pas assez loin.
Autour de lui, la chaine de montagnes continuait. Hum. Donc, cette vallée, en dessous de lui, était cernée par les montagnes... si civilisation il y avait, elle devait être relativement bien isolée, et méfiante. Une route de pierre serpentait vers sa montagne.
Ignorant le froid, il se défit de ses affaires, et rangea tout son barda d'alpinisme dans son sac, avant de se saisir... d'une combinaison de vol ailé. Wing-suit, comme ils disaient sur Terre.
" Bon... atterrir près des ruines serait un poil dangereux... alors... si je trouve une clairière... Bah, au pire. Je ne risque pas de mourrir... "Puis, comme un suicidaire, laissant son sac derrière lui, il sauta... et, porté par le vent, se mit à voler.
Il descendait à toute vitesse, le vent fouettant ses oreilles, alors que le terrain défilait de plus en plus vite. Il évita de se fracasser contre "sa" montagne, avant de se diriger vers la vallée. Un grand sourire sur ses lèvres, il s'orienta un peu plus près du sol, cherchant le frisson du danger. Lancé comme une flèche, le jeune homme n'était plus qu'à quelques dizaines de mètres au dessus du sol... il dérivait légèrement sur la droite, corrigeant son vol lorsque nécessaire, et se mit à survoler la forêt, puis, lorsqu'il vit une ouverture, à voler au niveau des arbres, zigzaguant entre le relief et les arbres, suivant une rivière descendant de la montagne.
" Youhouuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuu ! " dit-il, effrayant un vol d'oiseaux bleus vifs, qui piaillèrent d'effroi dans sa direction
Puis, lorsqu'il n'était plus qu'à quelques centaines de mètres de la ville, et de ses hauts remparts blancs, il activa son parachute. Brusquement dans le ciel, une boule de tissu rouge éclata, et le vol du pérégrin prit fin. Doucement, il descendait vers les arbres... ou plutot, vers une des clairières en pente qu'il avait repéré.
Le tout n'avait pris qu'une petite minute...
Avec expertise, il arriva en douceur sur le sol, détachant son parachute, qui s'écrasa doucement derrière lui. Il se retourna, et regarda la montagne d'où il avait sauté. Il avait parcouru en une minute ce qui aurait prit plusieurs heures, voir une demi-journée pour beaucoup.
" 10/10 Grayle. T'es vraiment le meilleur. "Se défaisant de sa combinaison, il se prépara à ranger ses affaires, se rhabiller, et se diriger vers la ville... en supposant qu'il n'avait pas déjà été repéré. Et si les habitants étaient dangereux ? Bah ! Il avait vu pire. A moitié candide et blasé, Grayle n'était guère effrayé de ce sur quoi il allait tomber.
A tort ou à raison ?