Nexus était une ville colossale, très grande. On pouvait mettre la journée entière à la traverser d’un bout à l’autre, et on pouvait passer sa vie à vouloir en explorer chaque recoin. Une véritable cité-État, qui accueillait un nombre très élevé d’étrangers. Une ville cosmopolite, carrefour mondial de flux économiques mondiaux, fournissant en matières premières les grosses usines énergétiques tekhanes, commerçant avec l’ensemble du monde civilisé. Le siège d’une immense flotte, aussi bien marchande que militaire. Nexus, ville millénaire, siège historique de la plus vieille monarchie de Terra, à en croire les légendes. Une ville revendiquée par les elfes, qui accusaient les humains de leur avoir volé cette cité magnifique, recélant des trésors architecturaux. Une ville d’artistes, une ville de poètes, une ville au rayonnement culturel central, qui se targuait d’être le phare des Contrées du Chaos, dardant de ses lumières éclairées des landes sauvages et païennes, ravagées par les attaques de monstres, les guerres, la tyrannie, et la pauvreté.
Mais Nexus était aussi une ville fragile. Sous les lumières de sa splendeur, les ombres s’étiraient, noircissant les rues et les ruelles étroites de la ville. Avant-hier, le royaume millénaire avait tremblé sur ses fondations en étant décapité. La hache du bourreau avait sectionné le cou de l’État ancestral, arraché peau, tendons, et os, ne laissant qu’une mince veine, un filament très fin, qu’on aurait pu couper d’une pichenette, une brindille qui avait réussi à pousser, et à revenir à la maison. Aujourd’hui, la Reine était de retour, et sa protection était une raison d’État. Une question centrale, car sa survie était la seule barrière empêchant Nexus de sombrer dans une querelle qui ruinerait et dévasterait le pays.
Quand la tempête avait emporté les parents d’Elena, ses oncles, ses cousins, ses grands-parents, et les autres membres de sa fratrie, de nombreuses maisons avaient vu leurs vieilles ambitions resurgir, plus vivaces que jamais. Depuis aussi longtemps qu’historiens et scribes le relataient, les Ivory avaient toujours régné sur Nexus. Une dynastie royale légendaire, qui avait durablement marqué l’Histoire de Nexus, à tel point que toute autre famille avait oublié à jamais l’idée de régner sur cet État. Et puis, après le cyclone, des pensées nouvelles étaient venues. Nexus avait déjà connu des tentatives de putsch, la volonté de certaines familles nobles de vouloir renverser les Ivory. Ces pensées avaient fleuri assez rapidement, et, quand la confirmation de la survie d’Elena avait été produite par le Grand Confesseur de l’Ordre Immaculé, les ambitions nouvellement naissantes avaient dû s’éteindre tout aussi rapidement… Mais, une fois l’ambition naissante, elle ne s’éteignait jamais vraiment.
Pour toutes ces raisons,
Ronald « Scar » Langley n’avait jamais cessé de veiller sur la protection d’Elena Ivory. Cet homme au visage scarifié n’était pas n’importe qui. Il était le Commandant de la Garde d’Ivoire, et avait été chargé par Liam Ivory, feu le père d’Elena Ivory, d’assurer sa protection. Lui et Lima furent d’anciens camarades, des Paladins formés à Haven, qui avaient guerroyé et combattu ensemble. Le Lion de Nexus avait toujours eu une profonde confiance en Langley, et avait donc, dans son testament, chargé Langley de veiller sur Elena. Et il n’était pas exagéré de dire que Langley était paranoïaque. Il avait remanié en profondeur le personnel du Palais d’Ivoire, diligentant sur chaque membre du personnel, gardes, pages, cuisiniers, des enquêtes poussées, cherchant les traîtres potentiels. Il avait entrepris de verrouiller l’essentiel des nombreux passages secrets du Palais d’Ivoire, et sécurisé lourdement l’ensemble.
C’était pour ça que Ronald se tenait là, dans une élégante maison. Il était assis dans un bureau, une tasse de café devant lui, et observait les courriers qu’il avait reçu, ainsi que les rapports de ses espions. L’Horlogère était arrivée… Il connaissait cet ordre. Les Horlogers… Un nom bien particulier, quand on y pensait bien, et assez ingrat. Car ces maîtres-artisans ne se spécialisaient pas que dans l’horlogerie. Ils étaient des maîtres en matière de fonctionnement mécanique, et, en l’état, ce qui intéressait surtout Ronald, c’était leurs capacités de serrurerie. Il avait été très mystérieux dans sa missive, évitant de trop en dire, conscient que des espions se tenaient à l’affût. Ou peut-être était-il juste paranoïaque.
*
Je ne dois jamais oublier que nos ennemis, quels qu’ils soient, ont pu aller jusqu’à empoisonner Nöly pendant sa grossesse, l’empêchant de procréer.*
Nexus était immense, les ennemis étaient là. Hier encore, une vaste conspiration avait été découverte, une énorme usine morbide utilisant la chair humaine et le sang pour créer des monstruosités porcines et ouvrir un Portail destiné à libérer un Grand Ancien*… Là, sous leur nez ! Ronald n’avait pas cru qu’une telle chose pouvait être possible, et pourtant… Cette actualité brûlante avait conduit Ronald à se rapprocher de cette organisation. Il n’était pas sûr de pouvoir se fier entièrement à eux, et s’était donc adressé à Raito Oshiba, Maître-Horloger en qui il avait une confiance relative… Ce qui n’était pas peu dire, émanant de Ronald Langley.
On toqua à sa porte. Un homme entra, l’un de ses agents.
«
Votre invitée est là, Messire. »
Ronald hocha imperceptiblement la tête, et reposa sa tasse.
«
Faites-là entrer. »
L’homme acquiesça, et se retourna, puis rejoignit le hall d’entrée. La jeune femme était là, telle une petite souris devant ce vaste hall. Le manoir semblait être en plein déménagement. Les meubles étaient recouverts de draps blancs, comme pour les protéger de la poussière. En réalité, la propriétaire de la maison était morte de syphilis. Elle laissait derrière elle plusieurs héritiers qui se partageaient la part du gâteau. La Couronne avait des parts là-dedans, et le litige était actuellement porté devant les juridictions civiles. Dans cette attente, la Couronne, pour éviter des dégradations ou des vols de la part de tel ou tel héritier, avait réquisitionné l’immeuble, une ordonnance judiciaire ayant autorisé cette prise de contrôle provisoire.
Ronald s’en servait comme couverture. L’endroit était inhabituellement vide. De fait, il ne semblait y avoir personne ici, à l’exception de Ronald et de son second. Il faisait froid, l’immeuble n’étant pas occupé.
«
Venez, Madame » l’invita l’homme.
Il retourna sur ses pas, jusqu’à rejoindre la porte du bureau de Ronald, et l’ouvrit, faisant signe à la femme de passer. Ronald, assis sur son fauteuil, la jaugea rapidement du regard, et se leva poliment, tendant sa main vers elle.
«
Bonjour, Madame Kato. Bienvenue à Nexus. »
Il se rassit ensuite, et attrapa sa cafetière.
«
Un peu de café, peut-être ? Je m’appelle Ronald Langley. C’est la première fois que vous venez à Nexus ? »
* :
Cf. RP « A Machine For Pigs ».