Son voyage avait commencé voilà des années. Trois, pour être précis. Et aujourd'hui, elle n'était plus la naïve jeune femme qui s'enfuyait pour découvrir le monde. Elle était devenu bien plus encore, Cassia. Bien plus belle, bien plus avide de découvertes, bien plus féroce, bien plus forte aussi. Elle avait vu de tout, et croyait cerner la nature humaine. Elle n'avait pas peur des hommes, ni des monstres. Elle n'avait pas peur des démons ou des dieux. Elle traitait avec chacun selon un principe : Elle jugeait sur les actes, et pas sur les dénominations ou sur les rumeurs, pas sur les races ou les sexes.
Elle en était venue, à ce point de son voyage, à découvre les cultures de Nexus et de ses alentours, et se dirigeait maintenant vers Ashnard. La grande dictature, avait-elle appris. Mais, ça ne lui coûtait rien d'aller voir. Elle était là pour ça, après tout. Pour découvrir le vaste monde. Pour s'en faire sa propre idée. Oh, elle ne reniait pas les conditions qui avaient conduit son peuple à se réfugié sous le Tibre, non, bien sûr que non. Mais de l'eau avait coulé sous les ponts depuis, et l'évolution avait fait son office. Pourquoi refuser d'aller explorer, quitte à revenir sagement ensuite ?
Même si pour le moment, Cassia n'était pas décidée à rentrer, sait-on jamais. Après une vie à découvrir le vaste monde, elle aurait sûrement envie d'aller mourir chez elle. Bon, elle n'en était cependant pas encore là. A l'orée de ses vingt-trois ans, il y avait plus à faire que de penser à la mort. D'ailleurs, un sourire malicieux se nicha sur ses lèvres alors qu'elle songeait à cela. Marchant d'un bon pas vers Ashnard, Cassia ignorait si elle en était proche ou pas. Elle n'était pas très douée avec les cartes, avec les distances et avec la mémoire de son chemin. Elle saurait sûrement rentrer chez elle sans problème, après tout, elle était née là-bas, mais pour aller ailleurs, c'était une autre paire de manche.
En fin de journée, elle arriva dans un petit village pittoresque, à l'instar de ceux qu'elle avait croisé un peu plus tôt. Enfin, pittoresque, c'était son appréciation. Il faut dire qu'elle n'en avait pas croisé souvent des comme celui-ci. Un peu à Nexus, mais pas du tout de là où elle venait. Elle observa avec curiosité ces grands châteaux qui se dressaient sur l'horizon, ces maisons mêlant bois et argile, et ces champs dont les cultivateurs rentraient quand le soleil baissait dans le ciel. Elle admira un instant le couchant, et les lueurs chaleureuses qu'il conférait à l'ensemble, avant de se rendre compte que le village où elle venait d'arriver était plus grand que les précédents. Peut-être était-elle rendue dans une sorte de capitale. Elle reprit sa route en haussant les épaules, indifférentes aux regards qu'on lui lançait, et décida d'aller se renseigner à la taverne. Une fois qu'elle l'aurait trouvé, en tout cas. Mais ça ne devrait pas être bien difficile. Il n'y avait qu'à suivre les rires et la musique, non ?
Et c'est ce qu'elle fit. Elle entra d'un pas léger, ignorant les conversations qui s'assourdissaient un moment, le temps de la dévisager (et de la reluquer comme il le fallait), avançant vers le bar. Elle y commanda une bière, que forte heureusement ils avaient, et laissa une pièce d'argent sur le comptoir. Sûrement assez pour la bière. Elle n'avait pas une grande notion de l'argent selon les contrées, ou de l'or, ou du cuivre. Ouais, elle s'en fichait, en fait. Elle pouvait en trouver facilement, elle n'était pas magicienne pour rien.
Restant au comptoir, elle prit son temps pour boire sa bière, mais elle n'engagea pas la conversation avec ses voisins. Elle préférait observer les autres, tant et si bien qu'elle ne vit pas les deux hommes se rapprocher fort peu insidieusement, comme des grosses brutes en fait, jusqu'à se saisir de ses bras. Elle leur jeta un regard curieux, pas effrayée pour un sou. Elle ne s'effrayait, à vrai dire, pas facilement, et sa conscience du danger était à peu près nulle. Elle faisait trop confiance à ses pouvoirs pour craindre quoi que ce soit. C'était ce qu'on lui avait seriné toute sa jeunesse, après tout.
« Vous désirez quelque chose ? Lança-t-elle avec l'innocence qui la caractérisait.
- Ouais, ton cul, répondit l'un, sans innocence du tout. »
Haussant un sourcil d'un air stupéfait, Cassia secoua la tête.
« Je ne crois pas que vous en ayez gagné le droit, chéris.
- Mais on te demande pas ton avis ni rien. T'es qu'une catin, vu comment t'es habillée. On va pas s'gêner d'en profiter.
- Vous pouvez toujours essayer, souffla-t-elle avec malice, avant de claquer des doigts. »
Les mains qui la tenaient relâchèrent leur emprise, comme si elles s'étaient brûlées. C'était une illusion, implantée directement dans l'esprit des deux hommes. Le genre de tour qu'elle avait appris assez jeune. Elle les reluqua un instant, moqueuse, en recoiffant ses boucles brunes dans son dos. Mais, contrairement à ses espérances, les deux hommes n'arrêtèrent pas là, et personne dans la taverne ne semblait vouloir intervenir. Cassia utilisa ses connaissances pour se défendre, avec et sans magie, et après une dizaine de minute d'âpre lutte, les deux hommes finirent étalés au sol. Vivants, mais inconscients.
« Quelqu'un d'autre souhaite m'agacer ce soir, ou je peux boire en paix ? Lança-t-elle finalement à la cantonade, l'air à peine essoufflée. »