L’esclavage était légal à Tekhos. On pouvait s’en offusquer, ou pousser des cris d’orfraie, mais le fait est qu’il s’agissait d’une pratique tolérée, mais néanmoins réglementée. Le Sénat avait voté des lois sur l’esclavage, imposant certaines restrictions et conditions pour pratiquer le traite d’êtres humains. Il y avait essentiellement des règles consuméristes et fiscales. Par exemple, un esclavagiste se devait d’avoir des locaux respectant les normes en matière d’hygiène et de sécurité pour stocker ses «
biens » (les esclaves), non seulement pour la propre santé desdits biens, mais aussi pour éviter tout risque d’infection, ou de maladie envers les potentiels clients. Autrement dit, un esclavagiste vendeur devait s’assurer que les esclaves soient bien traités, qu’ils soient soignés, non exempts de vices cachés (comme des maladies). Légalement, on disait que l’esclavagiste était tenu à une « obligation de délivrance conforme », c’est-à-dire à l’obligation de délivrer un bien qui doit être conforme aux attentes du client. Cette règle avait été dégagée initialement par les juges tekhans, afin de lutter contre l’inflation anormale du contentieux entre vendeurs esclavagistes et clients, les deuxièmes reprochant aux premiers de leur fournir des biens défectueux, affectés de vices les rendant impropres à l’usage qui leur était convenu.
Le Sénat avait fini par consacrer cette jurisprudence, et, preuve de l’importance que les Tekhanes accordaient à l’esclavage, avait assorti cette obligation de délivrance de conforme (désormais appelée « garantie de conformité ») de sanctions pénales. Les associations et autres groupes en faveur de l’amélioration de la condition des esclaves y avaient vu un premier progrès, puisque, désormais, les esclavagistes devaient s’assurer du respect de normes d’hygiène, et, surtout, avoir des agréments administratifs et se soumettre à des visites d’inspecteurs pour s’assurer que leurs locaux soient en conformité avec les dispositions légales. Et, quand un esclavagiste se livrait à de la traite sans les agréments, il était possible de saisir la police pour qu’elle diligente une enquête pouvant conduire à la fermeture du centre, et à l’arrestation des trafiquants, qui étaient alors assimilés à des faussaires.
En l’occurrence, Sarah était sur la piste d’un réseau esclavagiste qui vendait des esclaves frauduleusement. Le réseau était dirigé par un certain
Max Gallio, et Gallio était soupçonné d’utiliser ce réseau pour financer des activités tout autant illégales, comme le terrorisme. Il était en effet accusé d’être proche d’une milice rebelle,
Son Of Men, abrégée SoM, qui militait officiellement pour la reconnaissance des droits masculins, et n’hésitait pas à attaquer les mégacorporations ou les infrastructures publiques. Gallio était un gros poisson, et, sur ce coup, Sarah faisait partie d’un groupe d’enquête, qui avait prévu, ce soir, une descente dans le repaire du réseau d’esclavagistes. La police l’avait découvert en menant une longue enquête, qui avait commencé par recueillir les auditions des quelques clients qui avaient été surpris par l’autorité administrative pour détenir des agréments administratifs factices. Ces gens avaient été poursuivis en justice, et, par l’intermédiaire de leurs avocats, avaient exercé des recours récursoires contre leurs vendeurs.
C’était à partir de là que de simples affaires civiles avaient pris un aspect pénal. Les différents vendeurs avaient posté leurs annonces sur des sites de vente entre particuliers. Or, là aussi, il existait une règlementation stricte, qui interdisait à un professionnel de passer par ce genre de plateformes, pour éviter de créer de la confusion dans l’esprit d’un client. Or, quand les différents clients s’étaient retournés contre leurs vendeurs, les mêmes noms avaient rejailli. De là, les avocats avaient estimé utile de porter plaintes, en soutenant que leurs différents clients avaient tous été victimes d’une arnaque. Les policiers avaient recueilli leurs auditions, et, à partir des profils des vendeurs figurant sur le site de vente entre particuliers, avaient retrouvé des noms, et remonté la filière.
En définitive, cette enquête avait permis de faire émerger le réseau de Max Gallio. Autrement dit, ce qui avait commencé comme une simple enquête pour escroquerie sur Internet avait évolué pour aboutir au démantèlement d’une organisation criminelle liée à une milice terroriste.
Et Sarah était au cœur de cette enquête, car elle avait été présente à la base, quand une femme était venue la voir pour déposer plainte contre son vendeur. C’était elle qui avait remonté la filière, avait fait la planque devant le repaire des contrebandiers, photographiant ceux qui en sortaient, jusqu’à photographier Max Gallio. Autant dire que ses chefs s’étaient empressées de se ruer sur cette affaire.
*
Et me voilà...*
Ce soir, Max Gallio était censé être dans le repaire, mais, avant d’intervenir, la police tenait à s’en assurer. On avait donc décidé d’envoyer Pez’ en couverture. Le repaire de Max Gallio était situé dans l’un des ghettos de Tekhos, c’est-à-dire un quartier regroupant presque exclusivement une population masculine, et dont les gens n’aimaient guère les femmes de Tekhos. Les ghettos étaient des quartiers dangereux, mal famés, mais où Pez’ avait l’habitude de se rendre, car c’était souvent ici que les criminels se réfugiaient. Le repaire de Gallio, donc, était dissimulé dans un club de prostitution.
Sarah toqua à la porte, et vit un panneau s’ouvrir, révélant une paire d’yeux.
«
’Vou... »
L’homme, qui avait commencé à parler, se tut en observant la
sublime créature plantée devant lui. Pez’ avait opté pour sa robe rouge moulante en latex, une tenue qui faisait fureur auprès des hommes, et qui devrait lui garantir sans problème d’entrer dans le club.
«
Je cherche à travailler, et j’ai cru comprendre que vous abritiez un petit club très sélect ici, recherchant des dames en freelance pour soulager les ardeurs de quelques hommes. »
C’était bien le plan de Pez’ : se jeter dans la gueule du loup, en savoir plus sur les esclaves se trouvant ici, et appeler ensuite la cavalerie pour qu’elle débarque.
Facile, non ?