La nuit, la pluie, un clochard sous les eaux, et dans les quelques lumières de la ville, des gens qui couraient s'abriter, soit sous le couvert d'un parapluie en bon état, soit avec la protection désespérée d'un sac, ou d'un manteau un peu relevé, cherchant à couvrir une tête qui de toutes manières, dans sa course effrénée, récupérant l'intégralité des pleurs du ciel sur son visage. Il ne manquerait plus qu'il ai l'une de ces clopes bon marché au bec, et l'on pourrait se croire dans l'un de ces films tragiques de flic pouilleux prêt à tout pour se racheter d'une faute passée qu'il ne parviendrait à oublier, du moins le décor aurait été parfait pour cela, mais voilà, le vampiroïde, non content de ne pas être fumeur, n'avait rien du parangon de justice prêt à se damner pour une vieille faute morale. La réalité n'en avait que faire de cette dernière, il le savait bien, si bien même qu'il n'avait pas vraiment de raison de rester ainsi statique sous la pluie, de manière aussi dramatique, à part pour contempler tranquillement le reste des lieux tandis que le tenancier du fast-food dans son dos était en train de chercher un verre à lui offrir pour le bon service qu'il venait de lui rendre. Un café, ce n'est pas bien cher payé, mais dans le fond, cela lui suffit, il s'agissait après tout de la seule boisson qu'il parvenait encore à boire sans vomir, et si l'homme lui en offrait si gracieusement un, il ne se voyait pas vraiment dans la posture de refuser, lui que tout le monde connaissait comme étant le clochard le plus étrange de la ville. D'ailleurs, son ami venait tout juste de sortir, et c'est donc à pas lent que le vampire vint le rejoindre sous la toile bicolore, pour se voir offrir le mug plein du lourd liquide noir qui lui avait été promis.
« Tu devrais pas rester sous la pluie comme ça mon vieux, tu vas chopper la crève à ce rythme.
- Je m'en sors bien avec les maladies, ne t'en fais guère. Merci pour le café.
- Pas de soucis. La prochaine fois passes plus tôt, j'te présenterais la nouvelle serveuse. Un p'tit bout de femme, jolie comme un cœur.
- J'suis pas sur de c'que tu sous-entends, vint-il rétorquer, mimant l'habitude du tenancier à mâcher les mots.
- Bah déjà tu pourrais la raccompagner. C'est qu'tout les soirs elle rentre seule, la p'tite. Pis là, à c't'heure, y'a même plus d'bus.
- Je vois. Merci encore, je vais y aller, si ça ne te déranges pas.
- Naaaah ne t'en fais pas. Bon courage mon vieux.
Toujours étrange de se faire appeler mon vieux dans ce genre de situation, mais l'homme commençait à s'y faire, après tout il avait dépassé la trentaine, et ses nombreux voyages avaient eut le don d'aiguiser son visage sous les coups de couteau des intempéries, lui laissant cette expression naturellement dure, impitoyable, froide qui avait souvent tendance à le rendre un peu effrayant quand il était de mauvaise humeur. Et ce soir, il l'était, de mauvaise humeur. Comment cela pouvait-il être autrement, il était venu à Seïkusu pour se poser un petit peu, pour prendre le temps d'un petit tour dans un coin agréable, calme, et voilà que sans prévenir, des cordes commençaient à tomber du ciel, allant même pour inonder le lieu où il avait tendance à se réfugier pour se reposer. Toutefois, au moins, il venait d'entendre quelque chose d'intéressant, quelque chose de passablement alarmant aussi, car si en effet la petite serveuse dont parlait son ami venait à partir ainsi, seule, pour retourner chez elle, il était bien possible qu'elle vienne à avoir une mauvaise idée, une sotte pensée, et se décale un peu trop pour atteindre le quartier de la Toussaint, un lieu où, la nuit, il était plutôt déconseillé aux jolies étudiantes de faire une balade inopinée. Peut-être que ce soir encore, il allait devoir s'occuper d'un petit tour des lieux, et faire attention aux potentiels délinquants qui profitaient de la pénombre pour tomber sur les proies les plus faibles. En tout cas, il chercha à l'odeur une fragrance féminine, et parvint à en découvrir une légère, baignée dans l'odeur d'huile de friture et de mal-bouffe typique des fast-food de la ville nippone. Il avait sa piste !
Calme, ne se pressant pas, et n'ayant de toutes manières pas l'envie de courir sous cette pluie battante, il préféra se concentrer sur l'odeur qu'il percevait, la suivant à la trace tandis qu'il se laissait lentement bifurquer d'une rue à une autre, ses pas se faisant parfaitement automatique sur l'asphalte détrempé des lieux. En revanche, il ne put que froncer ses sourcils quand il put remarquer un brusque changement de cap dans les déplacements de la demoiselle qu'il pistait, et que cette soudaine indécision l'avait menée directement dans une direction qui ne lui plaisait aucunement, car devant lui se trouvait les rues plus exiguës et inquiétante du fameux quartier criminel de Seïkusu. Bon sang, si il devait gagner une pièce à chaque fois qu'il avait aider quelqu'un en ces lieux, cela ferait longtemps qu'il aurait put se payer un appartement, mais faisant vite l'impasse sur son exécrable humeur, il pressa le pas, sentant que les choses n'avaient pas dut se dérouler comme prévu, et s'engouffra sans attendre dans cette partie si peu appréciable de la ville, se préparant déjà à fondre sur le premier signe d'opposition à son vif déplacement. Par chance d'ailleurs sûrement pour les autochtones, mais personne n'osa bloquer son passage, sa présence étant de plus en plus perçus comme un signe de danger, et tandis qu'il accomplissait de larges enjambées pour rapidement atteindre la source de la senteur qu'il poursuivait depuis un petit temps maintenant, il détendit ses mains, désormais fin prêt à faire goûter au moindre ressortissant immoral la délectable sensation d'un coup bien placé. Et justement, le tout se révéla particulièrement fondé quand il vint dépasser le dernier coin de rue, tombant devant le spectacle d'une charmante jeune femme, en train de lutter contre une armoire à glace, et trois de ses sous-fifres.
« Pas grand chose de bien là d'dans...un téléphone et un peu de fric. Tu te fous de not' gueule ? On va pas repartir avec un si petit butin ma belle !
- S'il vous plaît...partez, laissez moi... »
Comme s'ils allaient le faire. La jeune femme ne semblait pas particulièrement intimidante pour le coup, et ces mecs n'étaient pas vraiment de ceux qui pensent qu'un non veut dire non, étant donné que Darthestar peut tabler sur le fait qu'une grande majorité des habitants du quartier ont la malheureuse tare d'être des abrutis finis sans la moindre once de réflexion. Mais bon, au moins il va pouvoir ainsi se permettre un bien léger défoulement, dont il ressent le besoin depuis maintenant plusieurs heures d'ailleurs, et surtout il va encore pouvoir apprendre à quatre personnes qu'en cette ville, si il existe facilement une criminalité dix fois supérieur à la norme, il y a en contre-partie des gens dix fois supérieur à la norme pour ré-équilibrer un peu la balance. Ses pas se font silencieux, son mouvement sinueux, et les trois clampins qui se trouvent dans le dos du buffle humain n'ont même pas le temps de se rendre compte de sa présence quand l'un vole en arrière, puis que les deux autre passent par-dessus le duo principal de l'allée, finissant par s'écraser douloureusement au fond de l'impasse, avec de longues plaintes de douleurs. Le dernier encore debout n'a qu'à se retourner pour contempler la forme du clochard dont le visage n'est point visible sous le chapeau, mais dont le regard est actuellement posé sur la jeune fille, la vue désormais sans barrière du vampire ayant capturé la forme féline de ses pupilles, et elle ayant sûrement l'occasion de capter la lueur rouge des siennes. Une non-humaine ? Peut-être, mais il n'a pas le temps de vérifier, étant donné que le plus massif du quatuor vient de se jeter sur lui, couteau à cran dans la main :
« J'vais t'vider pôv'con, ç't'apprendras à tenter d'faire le beau devant les p'tites canons.
- Désole, je ne suis pas d'humeur. »
Ce qui vient suivre est un claquement sec, brutal, qui se répercute dans les murs des lieux pour finalement se perdre lentement dans le clapotis méthodique de la pluie, tandis que la forme de l'agresseur et du vampiroïde sont parfaitement immobile, comme d'un coup gelés dans le temps, sans la moindre raison. Les secondes ne reprennent finalement court qu'à partir de l'instant où l'homme au chapeau relâche enfin le visage du loubard, ses deux mains s'éloignant lentement du crâne de son triste adversaire, qui lui ne vient qu'alors s'effondre mollement au sol, l'esprit déjà partie depuis longtemps dans une sorte de doux rêve où la pluie ne vient même pas le ramener à la triste réalité. Bien sur, il n'a pas forcé. Bien sur, l'homme n'est que modérément blessé, et risque de mettre un bon moment avant de se réveiller, de se lever, et même de pouvoir marcher convenablement après l'impact qu'il vient de provoquer, mais cela aura au moins le don de lui rappeler que ses actions ne peuvent que mal se terminer. En revanche, les trois autres se sont relevés entre temps, mais bien loin de vouloir poursuivre une bataille déjà perdue, ils quittent rapidement la rue, de manière assez empressée, ne laissant finalement que Darthestar en compagnie de la jeune femme encore en tenue de travail, et détrempée désormais. Se sentant déjà mieux, le vampiroïde ne tarde pas d'ailleurs à se tourner vers elle, et à enlever le chapeau du sommet de sa tête, avant de le placer tranquillement sur son torse, de manière bien solennelle, afin de la saluer d'une manière qui paraît sûrement particulièrement cliché à Seïkusu, mais dont le vampire apprécie toujours l'usage, y trouvant une forme de respect.
« Bonsoir. Je m'excuse de leur comportement, il n'est pas normal de porter ainsi atteinte à une jeune femme. Toutefois vous n'avez pas vraiment de raisons de vous trouver ici, le quartier n'est pas sûre. Permettez moi de vous accompagner vers la sortie la plus proche des lieux, histoire que ces événements ne se reproduisent pas. »