Il existait, au Japon, une forme très particulière de société, qui était extrêmement influente. Avant la Seconde Guerre Mondiale, on les appelait les
zaibatsu, très proches du pouvoir militaire. Pendant la période d’occupation du Japon par les États-Unis, les
zaibatsu avaient été démantelées, et avaient resurgi sous une forme plus civile, et sous un nom différent : les
keiretsu. Ce terme, typiquement japonais, désignait une forme de conglomérat industriel, regroupement de multiples sociétés en une grosse entité, avec, au centre des liens financiers tissés entre ces sociétés, un établissement bancaire. Quand on savait que trois
keiretsu, seulement, détenaient 30% du PNB japonais, on comprenait tout le poids de ces structures dans l’économie japonaise.
Le rapport entre les
keiretsu et la mission de ce soir tenait en une banque, la Sayagochi Bank. Derrière ce nom, il y avait un épais building en plein centre-ville de Seikusu. La Sayagochi était une grosse banque japonaise, au cœur d’une
keiretsu tentaculaire, qu’on appelait juste «
Sayagochi », formant un montage financier très complexe, car la Sayagochi disposait de multiples entreprises et PME sous-traitant pour elle à l’international, ainsi que d’une ribambelle de
sōgō-shōsha, un terme désignant des sociétés commerciales faisant office d’intermédiaires entre les sociétés japonaises, dont elles étaient mandataires, et les marchés étrangers. Au centre de tout ce maillage, il y avait un homme travaillant au sein de la Sayagochi Bank, un comptable très influent, Amin Zokaku. Un métis qui avait fait de brillantes études à l’international, et avait été embauché par la Sayagochi Bank il y a des années. Amin disposait de beaucoup d’informations, notamment sur les mouvements financiers des capitaux de la
keiretsu.
Car toute cette structure servait en réalité de couverture pour le blanchiment de l’argent sale des Guramu. La Sayagochi Bank toute entière détenait presque exclusivement des fonds appartenant au plus redoutable clan yakuza de la ville, un clan présent dès les premiers jours de la ville. Et Zokaku était un individu éminemment méprisable, un être avare et pingre, qui faisait partie du service de blanchiment de la banque. Félicia l’avait réalisé en parvenant à subtiliser leur organigramme officiel, et leur organigramme officieux, lors d’une infiltration délicate dans les locaux de ce bâtiment haute-sécurité. En comparant les deux, elle avait découvert un service qui ne correspondait à rien, et en avait déduit que les individus travaillant dedans faisaient partie de l’équipe chargée de blanchir l’argent sale des Guramu. De manière générale, Félicia soupçonnait la Sayagochi toute entière de ne se livrer qu’à des activités criminelles, en utilisant ses filiales et ses sociétés sous-traitantes à l’étranger pour faciliter la circulation des capitaux. Les Guramu étaient un clan très tourné vers l’international, vendant leurs armes futuristes achetées auprès de trafiquants d’armes tekhans à quantité de groupuscules criminels étrangers, allant des simples gangs de Gotham City aux cartels sudaméricains, et aux seigneurs de guerre en Afrique subsaharienne. C’était tout un réseau, et, ce soir, Félicia partait pour deux choses :
- Premièrement, obtenir les informations confidentielles sur les multiples comptes bancaires que la Sayagochi détenait, afin de faciliter la traçabilité des capitaux des Guramu,
- Deuxièmement, faire un peu de « justice sociale ».
Amin vivait dans une immense villa au bord de la mer, bâtie à flanc de falaise, le long d’une route serpentée faisant penser aux rivages de Monaco. Isolée de la ville, la villa comprenait un héliport, et un escalier menant vers une petite crique privée, abritant une plage, et un ponton, d’où Amin faisait du
jetski, ou utilisait son hors-bord. La ville en elle-même était une épaisse demeure, avec une grande piscine extérieure, une vaste terrasse, et plusieurs étages, sans parler d’une foule de gardes et de tueurs.
*
Indéniablement, Monsieur Zokaku est loin du simple comptable en costume-cravate, avec la petite mallette à la main, qui rentre chez lui le Vendredi soir se mater un reportage télévisé avec son plateau-repas...*
Plutôt beau gosse, Zokaku était aussi un homme sexiste et brutal, qui avait été condamné à plusieurs reprises par la justice pour violences conjugales. Maintenant, il se défoulait sur des prostituées quand il allait dans les boîtes de nuit et les bordels appartenant aux Guramu. Félicia n’avait aucun respect pour lui, et, ce soir, elle comptait bien le voler un peu, et redistribuer l’argent ensuite... Tout en se conservant une bonne commission, bien sûr. Après tout, cambrioler un tel homme, ça demandait du boulot !
Félicia avait déjà fait du repérage il y a plusieurs jours, et, quand la nuit vint, la Chatte Noire s’approcha. Elle arrêta sa moto à bonne distance, et grimpa ensuite vers la villa. Cette dernière était entourée par un épais mur, bardé de caméras de sécurité, de capteurs thermiques, et de détecteurs de mouvement. La Chatte Noire planta ses griffes dans le mur, et l’enjamba rapidement, atterrissant dans un grand jardin zen, très bien entretenu, avec des carrés d’eau entourant une statue en marbre de Bouddha.
Elle s’avança le long du jardin, jusqu’à s’arrêter contre une statue, en voyant un petit ruisseau, surplombé par un pont en bois, où un Yakuza avec des Ray-Ban bleues était occupé à fumer. Sans rien dire, Félicia s’avança à quatre pattes, étouffant le bruit de ses pas, sa combinaison noire l’absorbant dans la nuit, et, quand elle ne fut plus qu’à quelques mètres, elle bondit brusquement en avant, détendant ses muscles, et frappa le Yakuza, lui faisant passer la balustrade, et l’envoya s’écraser dans l’eau, son hurlement s’étouffant contre l’eau.
S’affalant dans le ruisseau, le Yakuza grogna, se débattant, remuant des jambes et des bras, parvenant à donner un coup à la tête de Félicia, qui grogna, et le frappa au visage, lui brisant le nez, et l’assommant pour le compte. Soupirant, elle se releva ensuite, secoua la tête et son corps, faisant virevolter l’eau, puis sortit du ruisseau, traînant le corps, et le dissimula dans le jardin.
*
Hum... Il avait une bonne droite...*
Félicia avait mal à la joue, et détendit son cou pendant quelques secondes, avant de quitter le jardin, rejoignant la grande piscine, qui était un peu surélevée, avec une vue sur la mer. En tournant la tête sur sa gauche, la Chatte Noire vit, au loin, les lumières de la ville, puis se concentra ensuite à nouveau.
La villa comprenait plusieurs dépendances, dont une salle de sport, et se composait, ; en son centre, d’une grande baie vitrée transparente donnant sur un immense salon en forme de duplex, avec deux escaliers en colimaçon en verre. Il y avait un écran géant dans un coin, et Félicia s’approcha discrètement, évitant les caméras de sécurité, et regarda à travers. Il y avait de la lumière, et elle put voir de multiples gardes, qui étaient, soit occupés à manger des pizzas, soit s’affairaient devant la télévision, jouant à
Pro Evolution Soccer. Devant tout ce propos, Félicia de passer par une entrée latérale, et ouvrit une porte dans un coin, débarquant dans une longue cuisine, vide, avec une odeur de grillade.
Elle avançait discrètement, laissant quelques traînées d’eau sur le sol. Son court séjour dans le ruisseau avait moulé davantage sa seyante combinaison, et elle s’arrêta à l’angle de la cuisine, débarquant devant un couloir qui menait droit à la salle centrale. Devant elle, il y avait une porte entrouverte d’où un rai de lumière s’échappait, et elle entendait un lit craquer.
«
Haaa... Haaaaa... -
Hmmmm... Ouais, putain, hmmmm... !! »
Félicia s’approcha, curieuse, et vit deux Yakuzas, occupés à prendre en sandwich une prostituée, l’un dans son dos, enfonçant sa verge dans ses fesses, l’autre couché sur le lit, lui palpant les cuisses. Là encore, la Chatte Noire choisit de se promener, et s’éloigna de ce beau monde, grimpant un escalier, puis se promena ensuite. Elle recherchait le centre de sécurité, et s’arrêta en voyant, au fond d’un couloir, une épaisse porte blindée.
*
Hum...*
Elle se rapprocha de cette dernière, et força l’accès. La Chatte Noire était une cambrioleuse hors pair, et ouvrit le boîtier de commande, apercevant un code digital à rentrer. Elle posa une petite puce dessus, fournie par le S.H.I.E.L.D., et la puce se mit rapidement en marche, puis énuméra toutes les possibilités de codes, jusqu’à provoquer un déclic, déverrouillant la porte.
«
Que... ?! » s’exclama le Yakuza situé à l’intérieur en se retournant.
Ce fut tout ce qu’il eut le temps de dire. Dès que la porte s’ouvrit, Félicia bondit, et son pied prit appui sur le mur, puis elle en profita pour rebondir, et logea son autre pied dans son visage, l’envoyant s’écraser contre le mur, avant de terminer mollement sa course sur le sol.
*
Voilà !*
Ici, elle obtiendrait sûrement des informations sur le reste de la maison, et pensa à fermer la porte, puis se plongea dans l’observation de la villa... Et remarqua alors qu’il y avait, dans la cuisine, un Yakuza à terre, probablement avoir été récupérer de la nourriture dans un frigo’.
*
Mais que... ?!*
Troublée, Félicia cligna des yeux, et entendit soudain la porte s’ouvrir. Elle se retourna alors... Et écarquilla les yeux en voyant une sorte de
curieuse créature noirâtre émerger, des tentacules le long de son corps, étonnamment sexy et...
Symbiotique.
«
La vache, t’es quoi, toi ? Un trip’ fétichiste ?! »
Ce fut la première chose que Félicia arriva à sortir, tout en ayant un affreux pressentiment au sujet de cette créature...