Le centre commercial. La nuit. Vide... Habituellement, ce genre d'endroit est bondé, à tel point qu'on ne voit pas devant soi. La foule est si dense, si compacte, qu'on a l'impression de ne faire qu'un avec cette file sans fin d'êtres qui se dirige vers tel ou tel endroit. Et quand on en sort, ça nous dégoûte. On en sort poisseux, gluant, et couvert de sueur...
Mais là, personne, pas un chat. A tel point qu'on se demande bien si on est dans le même endroit... Les boutiques, les cafés grillagés, ainsi que les panneaux " -50% " ne laissent pourtant pas le moindre doute. C'est bel et bien un centre commercial. Et on se dit, avec le contraste, que le voir vide ainsi, c'est presque triste... Trop calme, trop silencieux...
" Rhaaaagrou, bordel de bite à cul, y a pas idée de cracher autant de chewing-gum par terre! Quels porcs ces humains! "
Le centre commercial. La nuit. Vide... Enfin presque... Comme cette exclamation laisse témoigner, Roger venait de glisser sur un chewing gum, et celui-ci s'était collé à la chair visqueuse du tentacule. Chaque fois, c'était toujours aussi horripilant, et c'était un enfer à enlever. Pourquoi les êtres humaines devaient-ils être si sales, et si négligents pour ne pas penser aux tentacules violeurs et rampants qui pourraient passer là après eux... Décidément.
Mais tout cela ne nous dit pas ce que Roger venait faire ici. Et bien la réponse est toute simple.
Roger, lui, sa passion, c'est de lire. Kant, Nietzsche, Baudelaire, Voltaire, Rimbaud, Werber, Freud, toute lecture assez captivante et intelligente pour plaire au tentacule, et il restait des heures entières à dévorer, les uns après les autres, les ouvrages qui lui tombaient dans le creux de la main. Mais ici, sur terre, les tentacules ne sont pas légions. Et il faut de l'argent pour s'acheter des livres, ce qui peut vite devenir problématique... Aussi, pour garnir sa collection, dans son petit chez soi, Roger était venu faire une tournée nocturne, histoire de trouver de quoi mettre chez lui.
Il n'avait pas encore trouvé la librairie, combattant déjà contre les détritus de l'entrée. Une peau de banane mal placée le fit se cogner contre un bac d'eau savonneuse, que des techniciens de surface avaient du oublier ici, renversant son contenu sur le sol, juste à l'entrée d'un magasin de vêtements. Entrée qui, d'ailleurs, semblait avoir été forcée... Mais ça, il n'eut pas le temps de s'en préoccuper, car le parterre glissant et humide l'avait lancé sur la serpillère, qui elle même, par un jeu de levier, l'avait propulsé dans les airs, à l'intérieur du magasin, où sa dernière vision fut d'apercevoir une silhouette. Il n'était donc pas seul ici, et vu sa trajectoire, il allait atterrir sur cet autre visiteur nocturne. Le choc fut violent, et renversa la personne au sol, sur les fesses, tandis que lui, Roger, avait heurté son visage, et s'était enroulé autour de son cou, sonné et désorienté.