- Ce lieu etait un refuge pour les terranides.une sorte de porte entre les deux mondes. C'est compliqué à expliquer mais cette ville a des entrées sur des mondes inconnus de l'humain. Je ne suis pas au fait de tout cela, je pourrai vous présenter des personnes qui le sont. Mais en gros cela veut dire que votre histoire a un lien avec des choses qui dépassent l'entendement humain.
- ...Est-ce que vous vous foutez de ma gueule, là ? Difficile pour Jessandra de comprendre ce que Quentin venait de lui dire, et même difficile de l'imaginer. Chavez était une personne très terre-à-terre, catholique convaincue de surcroît. Pour elle, la possibilité d'éventuels "autres mondes" se résumait au Paradis et à l'Enfer -qu'elle ne désirait pas rejoindre de sitôt par ailleurs. Mais Quentin avait parlé d'un passage, de réalités inconnues et de paranormal... Merde ! Pour Jessandra, le paranormal se résumait aux quelques apparitions de la Vierge et autres images christiques à travers le Brésil et dans le reste du monde. Et voilà que cet inspecteur lui lâchait, sans trembler des genoux en plus, qu'il y avait d'autres possibilités. La combattante le considéra, poings serrés et mâchoire fermée. Si il se moquait d'elle, il le sentirait passer !
Pourtant, Quentin ne cilla pas. De deux choses l'une : soit il était doué pour la comédie et ne présentait même pas l'esquisse d'un rictus devant sa tête éberluée, soit il était tout à fait convaincu de la véracité de ses propos, tout aussi abracadabrants qu'ils fussent. Jessandra, incapable de trancher, se détendit. Son partenaire quant à lui continuait avec application sa visite du taudis, rapidement rejoint par sa patronne dont la curiosité était malgré tout titillée.
Le reste de la baraque était tout aussi peu hospitalier que les premières pièces et il ne faisait aucun doute que ça se vérifierait certainement de la cave au grenier. Tout était triste, tout suintait l'abandon et le squat. L'odeur de vieille pisse emplissait le nez, mêlée aux relents d'humidité et de poussière. Les chaussures écrasaient des cadavres de capotes usagées et crissaient sous les seringues cassées. Les meubles restant avaient été depuis longtemps désossés. Jessandra contemplait le triste spectacle quand Quentin cria. Surprise mais vive, la brésilienne se rua sur lui et posa ses mains sur ses épaules, lui demandant si ça allait. En regardant par-dessus l'épaule du détective, elle découvrit
le médaillon que tenait l'homme, qui lui sembla luire étrangement une seconde. Jessandra secoua la tête pour elle-même, lâchant Quentin une fois assurée qu'il était en bonne santé.
Pour le détective, c'était clair : le bijou était la clé de la porte qui s'ouvrait sur un autre monde, porte qui gisait patiemment quelque part dans la maison.
- Vous n'avez jamais eu ce type de médaillon plus jeune ? Ou quelque chose qu'on vous aurait toujours dit de garder coûte que coûte ?
- Je... non, non. Ma mère m'a dit qu'il n'y avait que le papier que je vous ai copié et qui comportait donc l'adresse de l'endroit où nous nous trouvons. Jessandra fronça les sourcils.
Ceci dit, elle me demandait de faire très attention au chapelet qu'elle m'avait fabriqué elle-même. Il doit être chez moi. Enfin, là où je vis à Seikusu, je veux dire.
Elle expliqua ensuite que Soeur Edilène, sa mère adoptive, lui avait sculpté un petit crucifix dans un morceau de bois lorsqu'elle était très jeune. Ce n'était pas très évocateur d'une situation particulière, mais Jessandra finit par avouer qu'il lui était arrivé de voir la petite croix luire d'un léger éclat bleuté, comme l'avait fait le médaillon lorsqu'elle avait posé les yeux dessus à l'instant. La combattante avait des souvenirs très clairs de ces minuscules événements et ne pouvait pas les ignorer. De là à dire que c'était lié... à demi-mots, elle confessa à Quentin qu'elle avait toujours voulu voir dans les petits phénomènes de son crucifix de bois la main du Seigneur qui veillait sur elle. Elle se mordit la lèvre inférieure ensuite, ayant l'impression de maintenant blasphémer. Alors, tout ça n'avait rien à voir avec le Tout-Puissant ? La guerrière urbaine ne savait plus trop que croire.
- Essayez de prendre ce médaillon.
Ses grands yeux bleus se posèrent sur Quentin, l'interrogeant en silence. Nul doute que le charmant détective était des plus sérieux dans sa proposition, lui tendant doucement le bijou qui reposait dans la paume de sa main. Jessandra tendit la sienne au-dessus mais, au dernier moment, se ravisa. Du bout de la langue, elle s'humecta les lèvres, signe chez elle d'une pointe de stress.
- Vous... vous êtes sûr ? Question purement rhétorique. Quentin ne lui aurait pas proposé innocemment de faire ça après les révélations sur le chapelet. Elle pensait commencer à le connaître un peu à présent et estimait que c'était un homme fiable, qui savait en général ce qu'il faisait et qui n'agissait pas en pure perte. Grâce à lui, elle avait découvert tout ça, même si le mystère autour de ses origines ne faisait que s'épaissir d'une bien curieuse façon.
Détaillant l'homme, elle hocha la tête pour elle-même. Jessandra Chavez n'allait certainement pas reculer. C'était une battante, une forte tête. Se laisser impressionner par un pauvre bijou alors qu'elle avait affronté et vaincu des types de trois fois sa taille et son poids en tête à tête ? Ah ! Jamais ! D'un coup, sa main se referma sur le médaillon et resta au contact de celle de Quentin. Eeeeeeet... rien ne se passa. Absolument rien.
- Je me doutais que c'était stupide. Désolé, vous aviez l'air si convai...D'entre ses doigts fermés, des rais de lumière bleuté jaillirent alors, inondant la pièce d'un bel azur. De là, tout s'emballa. Le phénomène remonta le bras de Jessandra alors que le sol se mit à trembler légèrement. Les meubles fracassés à terre s'agitèrent, comme fous, tandis que les murs se lézardaient et que la jeune femme semblait irradier de lumière. Ici et là, quelques papiers s'enflammèrent spontanément. Dans les murs, quelques vieilles canalisations claquèrent et l'eau qui suinta se mit à léviter en petites gouttelettes, comme si l'endroit avait perdu juste pour elle toute gravité. Le spectacle avait quelque chose d'aussi catastrophique qu'irréel, étonnante fantaisie dans des lieux si pitoyables.
Elle cria. Jessandra Chavez, totalement dépassée par les événements qui s’enchaînaient, criait. Elle qui mettait un point d'honneur à ne jamais exprimer trop clairement douleur et fatigue se retrouvait dans un état qui avait fait voler en éclats sa volonté. Un hurlement étrangement lointain, qui mêlait la peur à une intonation plus suave et plus inattendue. Il y avait là, dans les fonds de sa voix, quelque chose qui s'apparentait à une forme de plaisir.
Toutefois, il fallait que Quentin lui vienne bel et bien en aide. Les effets autour du duo s'amplifiaient à mesure que Jessandra gardait le médaillon en main. Et malgré le cri, la jeune femme conservait le poing fermement clos sur l'étrange artefact...