Après des semaines de démarches administratives en tout genre, maman avait enfin réussi à m'inscrire au lycée Mishima en tant que 1ère année. Même si j'avais déjà toutes les connaissances que je pourrais apprendre dans cet établissement, ou presque, il était important, selon elle, que je vive ma vie sur Terre comme n'importe quelle autre jeune fille, en attendant que mes pouvoirs soient complètement éveillés et que je ne devienne une gardienne de la nature, une enfant de la grande déesse Gaïa.
Mon premier jour fut une source de multiples inquiétudes pour moi. Dès le matin, les ennuis commencèrent avec
mon uniforme. Je n'étais toujours pas habituée au fait de porter des vêtements, leur préférant de loin l'élégance et le confort de ma nudité, mais je ne pouvais décemment pas sortir dans la rue sans rien sur le dos. Du moins, pas si je voulais m'intégrer parmi les humains. Je fus donc obligée de mettre une culotte et un soutien-gorge avant d'enfiler mon uniforme. C'est là que maman s'aperçut que la jupe de mon uniforme avait été taillée un peu trop court, et qu'elle avait sous-estimé l'espace à réserver à ma poitrine. Du coup, il suffisait du moindre coup de vent pour que le haut se serre contre mes seins et que le bas dévoile ma culotte. Personnellement, ça ne me faisait ni chaud ni froid car je ne comprenais pas la portée sociologique du port de vêtements, mais Ivy me mit en garde de faire très attention si jamais le vent se levait ; garder les mains sur ma jupe pour qu'elle ne s'envole pas, et éviter de me tenir face à la brise.
Le deuxième problème arriva lors de ma présentation devant toute la classe. Plongée dans l'inconnu de plein fouet, je m'embrouillai plusieurs fois et j'hésitai en parlant. Et pire encore, une rafale de vent s'engouffra par une fenêtre mal fermée, et ma culotte se retrouva à la vue de tous pendant deux secondes. Comme meilleure impression, on faisait mieux. Heureusement, à l'heure de la pause-déjeuner, un groupe d'élèves de la classe, composé de deux filles et un garçon, vinrent me voir pour me proposer de manger avec eux. J'acceptai la proposition avec plaisir, heureuse de voir que mon discours tremblotant et mon exposition involontaire ne m'avait pas condamnée pour le reste de l'année. Nous échangeâmes des portions de nos repas respectifs, nous discutâmes de sujets divers et variés, je faisais de mon mieux pour donner l'illusion que j'étais une adolescente ordinaire, et ça passait plutôt bien. Durant le reste de la journée, j'eus droit à quelques moqueries à cause de mon introduction, mais rien qui pouvait m'atteindre. Et si jamais ça allait trop loin, je savais comment y mettre un frein grâce à mes pouvoirs.
Le troisième et dernier problème eut lieu à la sortie des cours quand, manquant de vigilance, je percutai une élève au détour d'un couloir. Embarrassée, je me dépêchai de l'aider à se relever mais, alors que je m'attendais à l'entendre s'énerver, elle resta assez amicale, même enjouée. Elle marcha avec moi durant une partie du chemin du retour, ma parlant comme si nous nous connaissions depuis des années. J'enviais son aisance dans la communication et son comportement joyeux. Elle me donna même son nom : Hairi Kanzaki. Et ainsi, une rencontre qui aurait pu se finir en prise de bec forma ce qui pourrait être le début d'une amitié. Mais les choses se complexifièrent le lendemain quand, arrivant aux toilettes en prenant bien garde de ne pas avoir été suivi par un garçon entreprenant qui, sous prétexte qu'il a vu ma culotte la veille, pouvait croire qu'il avait une chance avec moi, je tombai sur Hairi en train de serrer ses mains autour de la gorge d'une autre fille. J'essayai de l'en empêcher par la seule force de mes bars, mais elle s'avéra plus coriace que je le pensai, et je dus faire appel à mes pouvoirs pour la calmer en lui injectant un tranquillisant végétal dans les veines. Tandis que je regardai son corps évanoui, je ne pouvais pas croire que c'était bien la fille avec qui j'avais parlé la veille. Il fallait que je comprenne. Préférant écouter mon instinct plutôt que mon bon sens, j'utilisai mes phéromones pour m'assurer que la fille agressée ne se souvienne de rien, et j'amenai Hairi à l'infirmerie avant de repartir aux toilettes pour faire ce que j'étais venue faire un peu plus tôt parce que, mine de rien, ça urgeait.
Durant les semaines qui suivirent, je faisais tout ce que je pouvais pour me rapprocher d'Hairi, mais je sentais bien qu'une distance s'était installée entre nous depuis cet incident. Malgré tout, ça ne nous empêchait pas de devenir peu à peu amies. J'appris à la connaître plus en détails, en particulier sur ses troubles psychologiques. Elle pouvait changer de comportement du tout au tout en un éclair, et son traitement ne faisait presque pas d'effet. C'était à la fois une fille gentille, passionnée et ouverte au contact humain, et une furie imprévisible, violente et sourde à toute parole. Je comprenais bien qu'on puisse être rebutée au premier abord par un tel comportement, mais je voulais vraiment devenir l'amie de cette jeune fille, peu importe ce qu'il me faudrait braver. D'abord parce que sa gentillesse lors de mon premier jour au lycée avait apaisé mon esprit de tout ce qui m'était arrivé, et aussi parce qu'elle me rappelait un peu ma tata Harley, une amie proche de ma maman. Avec un peu de temps, peut-être pourrions nous devenir la nouvelle génération ce duo légendaire. Hairi et moi devenions peu à peu inséparables, même si je ne lui avais pas révélé ma nature d'Alraune. On s'amusait ensemble, on étudiait ensemble, elle me faisait découvrir ce qu'était la vie d'une adolescente humaine ordinaire, et je l'aidai à gérer ses crises en lui offrant mon amitié, mon épaule et mon oreille. Nous étions des amies comme on en voit rarement.
Un soir, alors que je rentrai à la maison après avoir passé le début de la soirée chez une autre amie, courant sous la pluie pour arriver au plus vite, quel ne fut pas ma surprise de tomber sur Hairi, trempée et visiblement énervée, même si elle semblait se calmer rien qu'en me voyant.
« Hairi-chan ? Est ce que ça va ? Pourquoi tu n'as pas de parapluie ? Tu vas attraper froid. »