Au Village des Toiles, on perdait des gens plus qu’on n’en gagnait. La faute en venait principalement à son isolement. Un incendie avait jadis ravagé la majorité du village, et, depuis lors, le village n’était plus référencé sur aucune carte. Le nom qu’il portait avant n’était plus qu’un nom laissé aux oubliettes, et le village, par sa nature très particulière, avait acquis quelque chose de mythique. Le seigneur de la région, Sire Waleran, s’était également assuré que plus personne n’entende parler du Village des Toiles, et chaque villageois qui se risquait à sortir des environs du Village était traqué par les hommes de Waleran, soumis à la question, et finalement massacré. Car, entre Waleran et la Maîtresse de la Forêt des Toiles, un conflit larvé régnait. Si Waleran avait pu raser la Forêt, il l’aurait sans aucun doute fait depuis longtemps.
Le Village des Toiles, donc, était un village abandonné, dont on parlait dans les auberges, en indiquant qu’il était détenu par la terrible Élise, une femme arachnéenne cruelle et anthropophage. Elle était le croque-mitaine de cette région, celle qu’on invoquait pour faire peur aux enfants. Rentre te coucher, mon enfant, où la Reine des Toiles viendra te dévorer ! Avec ce genre d’histoires, nul n’avait spécialement envie de rejoindre le Village.
Pourtant... Pourtant, parfois, il y avait des gens qui se risquaient. Des croisés en quête de gloire, des paladins s’aventurant dans la forêt pour occire la Reine. Parfois, on les entendait hurler, et les villageois ne s’inquiétaient guère. Ceux qui n’étaient pas partis avaient fait le choix de rester. Et, parfois encore, de simples voyageurs arrivaient. Là encore, et de manière encore plus rare, ceux qui n’étaient pas rebutés par l’apparence austère et entoilée du Village choisissaient de s’aventurer vers l’auberge du coin.
On ne l’appelait pas « Village des Toiles » pour rien. Quand l’incendie avait tout ravagé, Élise avait utilisé ses araignées pour reconstruire, et les maisons du Village présentaient ainsi une architecture unique, mélange de bois, de paille, et de toiles d’araignées pour les consolider. Mine de rien, ceci en faisait des maisons extrêmement résistantes, car la soie d’araignée était un matériau aussi résistant de l’acier, l’un des matériaux organiques les plus durs qui existent. Ainsi, malgré cette apparence délabrée à voir toutes ces toiles recouvrir les murs et les toits, le Village était en réalité très bien bâti. Cependant, il était vrai que de nombreux quartiers étaient abandonnés. De cette manière, quand l’Usagi arriva, il y avait effectivement une maison à lui pourvoir.
L’annonce d’un nouvel arrivant fit grand bruit dans ce village, et l’information fut rapidement transmise à la Maîtresse des lieux. Le chef du village, l’aubergiste, n’était qu’un simple homme, qui n’avait de « chef » que le nom. Dans ce village hors-normes, atypique, seule Élise régnait.
Ainsi, quand la nuit s’abattit sur le Village, et que les habitants, soit allaient se coucher, soit se regroupaient ensemble autour d’un feu-de-camp au centre du village, quand ils n’étaient pas tous réunis à l’auberge, les arbres remuèrent, et les araignées annoncèrent son arrivée. Ses pieds se posèrent sur la branche d’un chêne surplombant le Village, et elle vit la maison allumée, dans un coin rempli de maisons vides.
*Le voilà donc...*
On ne s’installait pas par hasard au Village des Toiles. Était-il un espion de Waleran ? Élise en doutait, ce serait... Trop voyant. Mais, pour autant, elle devait bien se renseigner. La silhouette bondit depuis la branche, et atterrit devant la maison. C’était une sympathique chaumière, avec un étage, et le Terranide devait probablement être dans sa chambre, à l’étage.
*On m’a dit que c’est un Usagi... Curieux.*
Qu’est-ce qu’un Terranide-lapin viendrait faire ici ?
Élise était donc sur le palier de la porte, et, avisant une clochette, appuya dessus. C’était une clochette à l’ancienne, avec un levier à secouer pour faire du bruit, ce qu’elle fit donc.
Tout de même, on était civilisé ici, elle n’allait pas violer sa propriété...