I'm tickled pink,
That things are rosy,
And skies are blue once again.
La musique défilait agréablement depuis la radio, et la jeune femme,
Dominique Palmetti, l’écoutait tout en enfilant son uniforme bleu. Elle venait de sortir de la douche, et jeta un bref regard vers le radio-réveil. 7h45. Encore un peu, et elle serait en retard pour sa ronde ! Dominique avait encore un peu traîné dans le lit, et elle ne voulait pas rater, et ce sous aucun prétexte, les
bagels de Monsieur Cocker.
*
Il va falloir que j’apprenne à ne plus traîner au lit, moi !*
Let the bygones go bye-bye !
No more will I sigh or cry.
Elle enfila, l’un après l’autre, les boutons de sa chemise bleue. Elle l’avait repassé hier, et elle lui allait très bien, comme à chaque fois. La femme noua le dernier bouton, puis attrapa sa cravate. C’était un bon moyen d’atténuer un peu la taille très agréable de sa poitrine. Dominique n’était pas née en Italie pour rien, après tout, et ses formes faisaient d’elle le fantasme typique des Américains sur les Européennes, sa peau bronzée renforçant cette impression.
Et la radio, elle, continuait à chanter :
I'm tickled pink,
The moon is yellow,
And I'm your fellow tonight.
Dominique hochait lentement la tête en finissant d’enfiler la cravate. Dugan, le shérif, était assez clair là-dessus. Ce n’était pas nécessaire pour les femmes, mais, étant le plus jeune membre de l’équipe du shérif, Dominique savait qu’elle devait faire ses preuves. Elle était la «
cadette », celle à qui on ne refusait rien, parce que son sourire était magique, mais elle, elle ne voulait pas qu’on la prenne pour une gamine, justement. Elle était assermentée, elle avait eu tous les diplômes nécessaires. Dugan le savait, mais, comme il le disait lui-même avec philosophie, sa tasse de café chaud à la main, la beauté était un argument canonique imparable… Et Dominique était belle.
Si belle qu’elle avait gagné, il y a des années, le concours de Miss Pleasant, alors qu’elle était au lycée. On avait encore les photos d’elle, avec un grand sourire ravi, tandis qu’on l’applaudissait fiévreusement, et que les journalistes la photographiaient, dans le gymnase de l’école.
Soon we'll greet that red-letter day !
When I will pop the question,
And you say, "Ok !"
Say then we'll be married in the month of May !
Elle ajusta finalement son nœud de cravate, et s’inspecta dans le miroir, avant de sourire. Elle s’était mise juste une touche de maquillage, trois fois rien, car sa mère lui avait dit que ce genre de trucs, ça vous ruinait la peau. Elle se mettait surtout un léger rouge à lèvres, ainsi qu’un peu d’ombre à hauteur des paupières. S’estimant prête, elle enfila sa casquette, puis soupira lentement.
*
Allez, Dom’, au boulot !*
Elle attrapa son téléphone portable, et avertit Dugan qu’elle commençait sa ronde.
Le temps qu’elle rejoigne sa voiture, Jack Shaindlin avait fini de chanter son
I’m Tickled Pink, et elle démarra, quittant le quartier résidentiel, toutes vitres ouvertes en cette belle période estivale. Le ciel était d’un bleu magnifique, avec quelques légers nuages, et elle avança lentement, longeant les trottoirs, ses yeux disparaissant derrière des lunettes de soleil Ray-Ban, voyant les enfants marcher le long des trottoirs.
«
Bonjour, Madame Palmetti ! -
Bonjour, Madame-la-Policière ! -
Salut, les enfants ! Le chien de Tom ne fait plus de bruit la nuit, j’espère ? -
Nan, c’est bon ! Merci, Madame Palmetti ! -
Inutile de me remercier, les enfants, je ne fais que mon job ! Passez une bonne journée ! »
Elle accéléra un peu, afin de rejoindre le centre-ville.
Là où il y avait l’église. Le révérend, Thomas Goodwin, était en train de recevoir sa nouvelle cargaison de cierges. Elle s’approcha lentement, tandis que, depuis la radio, retransmise depuis les multiples hauts-parleurs, la radio locale se mettait à parler.
«
Debout les campeurs et haut-les-cœurs, n’oubliez pas vos lunettes parce que ça chauffe aujourd’hui ! Ça chauffe fort, et on est pas à Miami ici, c’est moi qui vous le dis… Alors, autant vous dire que, après les cous et le boulot, j’vous attends tous à Lake Hill, parce que, et croyez-moi, on va suer aujourd’hui ! La météo et les grands astres sont formels ; aujourd’hui, c’est jour de canicule ! Canicule, vous avez dit canicule ? Ohlàlà, quelle horreur ! Mais, hey, de quoi vous plaignez-vous ? Vous êtes pas comme le vieux Murray, dans sa tour, à vous parler du temps qu’il fait ! »
Dominique se rapprocha du square central, où tout le monde souriait et se saluait.
Et, pendant ce temps, Murray poursuivait :
«
Alors, les amis, laissez-moi vous dire que Stuart, notre boucher, reçoit aujourd’hui tout un arrivage de saucisses et de côtes de porc venant des frères Thawne. C’est l’heure des barbecues, c’est moi qui vous le dis, alors, p’tit message de prévention oblige, gare aux incendies de barbecue, allez pas vous ruiner la pelouse ! »
Dominique se rapprocha de la station-service Exxon, et salua de la main Lionel Thompson, le pompiste.
«
Bonjour, M’dame. Voilà mon rayon-de-soleil qui débarque ! Vous voulez que je vous fasse le plein ? -
Ça aurait été avec plaisir, Monsieur Thompson, mais le ventre de la bête est plein ! -
Vous me fendez le cœur ! »
Un sourire amusé traversa les lèvres de la femme, qui se gara ensuite devant le
Rosie's Diner, allant sur le parking à côté. Elle en sortit, coupant le moteur de sa voiture, laissa les vitres ouvertes, puis ouvrit la porte.
«
Si vous avez pas encore choisi vos costumes, Messieurs, pensez à y aller ! Madame Kingsley a reçu de nouveaux costumes, et vous propose une remise de 33% sur la plupart de ses articles ! Et, comme vous le savez, la Fête du Cerf est dans deux semaines. Alors, et je me répète encore, mais, vous savez comment on est à mon âge, on caquète et on répète beaucoup, mais l’école organise des cours de danse. Autant vous dire que, face à la gent féminine si agréable de Pleasant Hill, il est intolérable de ne pas savoir danser ! »
Dominique fila vers le comptoir.
«
Je vous offre votre bagel, Madame Palmetti ? demanda Jarvis, le vendeur.
-
Avec plaisir, Jarvis, mais n’allez pas moudre le grain de l’opposition municipale, je vous paierai. -
Allons, allons, un sourire de votre part me ravit amplement, ça vaut tous les dollars du monde ! »
Dominique ne put s’empêcher de rire.
«
Et vous venez de rire ! Ah, j’vous offre même le café, tiens ! »
Dominique sourit encore, puis se tourna vers Dugan, qui était là, assis face au comptoir, buvant son café en lisant le journal, lissant sa moustache rousse, son chapeau melon posé à côté de lui.
«
Oh, tu es ravissante aujourd’hui, Dominique… Tu as un rendez-vous galant ? -
Oh, pensez donc ! L’idée de rester la célibataire la plus séduisante de Pleasant Hill n’est pas pour me déplaire. -
Hum… C’est un bon argument. Honnêtement, si j’avais vingt ans de moins, et autant en kilos, je me serais bien laissé tenter. -
Oh, Shérif, voyons ! »
Murray poursuivit, de son côté, la radio défilant depuis des hauts-parleurs dans le
diner :
«
Mais, mais, je m’emballe, ah, excusez-moi, la vieillesse, vous savez ce que c’est ! Et puis, comme je suis d’humeur généreuse, et qu’il fait très beau, je pense qu’il est temps de laisser la parole à ce bon vieux Frank. Il a fait l’Amérique, après tout, et j’interdis quiconque de dire le contraire. Alors, sur ce, les enfants, rappelez-vous de ce que nous dit le Maire Hill… Pleasant Hill, une ville que vous n’avez jamais envie de quitter ! »
Sur ce, les accents de musique introduisirent
Beyond The Sea, de Frank Sinatra.
Somewhere beyond the sea
Somewhere waitin' for me
My lover stands on golden sand
And watches the ships that go sailin'
Dugan reposa sa tasse, et tourna la tête vers Dominique.
«
Nous avons un nouveau membre dans notre communauté, Dominique. -
Je sais. -
Elle sera paniquée, je compte sur vous pour la calmer. Au cas où, vous savez ce qu’il vous reste à faire. -
Il n’y a pas de problème, Shérif, je connais la procédure. »
La jeune femme laissa planer quelques secondes, avant de reprendre :
«
Tout se passera bien. Après tout, Pleasant Hill n’est-elle pas la plus belle et la plus paisible ville du monde ? »