Mago vs Mécano [PV Edéline de Roncenoire]

Une fois n'est pas coutume, c'était la grand effervescence à l'atelier Chitsuki. Aya, mécanicienne de corps et d'âme, profitait de l'absence de clients pour se livrer à son activité favorite : le bricolage de machines en tout genre. Dieu sait si elle adorait ça. C'est bien simple, depuis qu'elle a reçu cet atelier de la part de sa famille, il ne s'est jamais passé une journée complète sans que la brunette bidouille, ajuste, ou teste une de ses machines faites main. Et là aussi, elle en avait beaucoup... C'est bien simple, elle avait du aménager sa cour arrière pour en faire une extension de son atelier, et tout cet espace était dédié au stockage de ses diverses machineries, des plus petites aux plus imposantes. C'était la caverne de l'Ali-Baba de la technologie, cela allait de petits objets partiellement customisés à des prototypes frôlant les deux mètres. Certains pourraient même potentiellement valoir un bon paquet de Yens si ils étaient proposés en brevet, mais Aya ne bricolait pas pour l'argent. Pour elle, achever une machine était une fin en soi. Je vous le disais, mécanicienne de corps et d'âme...

En l’occurrence, la brunette travaillait à la réalisation membre tubulaire souple motorisé, comprenez par là qu'elle essaye de réaliser un genre de tentacule robot. Une idée qui lui était venue en jouant avec sa lampe à tige souple. Elle en était ainsi venue à imaginer un porte-outils monté sur une tige de ce genre, ce qui pourrait considérablement améliorer le confort de travail. Imaginez, plus besoin d'aller se tordre le bars pour dévisser une vis coincée tout au milieu d'un ensemble, il suffit juste de plonger le membre robot, et tout est bon.
La première difficulté avait été de trouver assez de rotules motorisées pour un tel projet, heureusement Aya avait les contacts et les ressources. Ce qu'elle ne trouvait pas, elle le fabriquait elle-même. Puis était venu le temps de l'assemblage, et l'odeur caractéristique du fer à souder avait empli l'atelier alors qu'Aya fixait un à un les très nombreux câbles d'alimentation nécessaires au fonctionnement de chaque moteur. Le résultat final avait tout de même fière allure. Mesurant aisément trois mètres de long, constitué d'une bonne quarantaine de rotules, et parcouru de câbles de toutes couleurs, Aya l'estimait assez mobile pour s'enrouler une fois et demi sur lui même. À son extrémité, Aya avait réussi à y fixer un petit moteur de perceuse-visseuse, alors que la base massive contenait la batterie alimentant l'engin, ainsi que l'ordinateur de bord permettant le pilotage de l'engin. Car oui, Aya avait vu les choses en grand : les commandes dirigeaient la tête du bras, et les mouvements des rotules étaient calculées en fonction. Enfin, ça, s'était la théorie... La mécano était confiante en ses théories, et maintenant, venait l'heure de la pratique !

Toute fière de contempler le résultat de ses travaux, Aya n'entendit pas la petite sonnette qui se déclenchait quand un client passait par l'ouverture, actionnant un système de capteurs laser reliés à la-dite sonnette. Elle allait enclencher le démarreur de son nouveau modèle quand une voix la coupa dans son élan.

- Bonjour, je suis bien dans l’atelier qui résout tous les problèmes ? J’aurais besoin d’aide pour une préparation alchimique, heu chimique je voulais dire !

Intérieurement c'était la frustration. Mais la brunette restait pro : c'était les heures d'ouverture après tout. Elle se retourna donc, la catch-phrase de la pub qu'elle avait créé il y a quelques temps en tête.

" Atelier Chitsuki, voux avez un souci, nous avons les outils !
Oui, vous êtes au bon endroit. Je m'appelle Chitsuki Aya, à votre service. "

Aya avait répondu machinalement, mais maintenant qu'elle faisait face à la fille, elle du faire des efforts pour que sa surprise ne se voit pas sur son visage. La fille qui l'avait interpelée était accoutrée de la plus étrange façon qui soit. Elle portait un genre de corset rouge, fermé au niveau de la poitrine et qui donc lui laissait tout le ventre à l'air. Une courte jupe lui couvrait le haut des jambes, elle-même recouverte de grandes plumes de... Aya aurait été incapable d'identifier l'oiseau dont les plumes étaient originaires, elle doutait même qu'un oiseau sur Terre pouvait produire des plumes pareilles. Peut-être une autruche ou un condor des Andes... Pour pousser le bizarre encore plus loin, la demoiselle était coiffée d'un chapeau immense, à se demander comment son cou pouvait supporter une masse pareille. Jamais Aya n'avait vu une personne aussi excentrique. Mais bon, l’excentricité vestimentaire ne signifiait pas forcément que la personne était mauvaise, loin de là. La mécano reprit.

" Vous avez dit une préparation chimique ? D'ordinaire je traite d'avantage de problèmes techniques ou mécaniques, mais je vais voir ce que je peux faire avec ce que j'ai. Si vous voulez bien me suivre je vous prie... "

Aya entraina cette cliente décidément bien particulière vers son bureau. Intérieurement elle se demandait quelle préparation chimique elle lui demanderait de réaliser, et surtout pourquoi c'était-elle orientée vers un garage ? La mécano avait certes des connaissances en chimie, mais ce n'était pas son domaine de prédilection. Et puis, la plupart des produits chimiques présents dans son atelier étaient présents pour leur usage, pas pour les molécules qu'ils contenaient. Bizarre bizarre...

Plus le temps passait et plus Aya avait du mal à cacher son étonnement. Elle ignorait d'où venait cette fille, mais soit elle était très originale et excentrique, soit elle lui jouait un tour à la façon caméra cachée. Déjà, le nom : Edélinu de Roncenuaru ? Étrangement la tonalité lui rappelait une langue occidentale, le français si elle se souvenait bien. Était-elle étrangère ? Tout à fait possible, ses traits n'étaient pas asiatiques, et sa couleur de cheveux n'était pas la plus courante sur une tête japonaise. Mais passons, voyons plutôt cette liste...

Aya lut le papier que la demoiselle lui présenta, et cette fois ne put cacher sa surprise. La brunette se gratta la tête, perplexe.
En soi, que les ingrédients soient dosés en pourcentage n'avait rien de bien étrange. C'était une façon de noter la composition d'un mélange qui permettait à celui qui voulait le réaliser de pouvoir facilement adapter la quantité d'ingrédients nécessaire en fonction de la quantité de produit voulue. En revanche, les ingrédients en eux-même étaient surprenants. Il s'agissait tout simplement de noms de médicaments !

- Je suis au bon endroit ? C’est que quand j’ai lu atelier j’ai pensé à alchimie directement...

Aya n'avait pas réagit la première fois, mais cette fois son cerveau le lui spécifia clairement. "Alchimie" ? Pour ce que la mécano savait, l'alchimie est un ancien nom pour chimie, à l'époque de la pierre philosophale et de la transmutation du plomb en or. Quel rapport avec des médicaments disponibles en pharmacie ?

" Et bien... "

Que répondre ?

Puis Aya se remémora une chose qu'on lui avait enseignée quand elle a commencé à servir d'assistante au lycée. Un trouble mental appelé Chuunibyou. Très présent chez les ados, ce trouble se caractérise par une tendance à se croire dans un univers fantastique. Finalement, cela correspondait avec cette cliente. Entre son habit et ses demandes en rapport avec "l'achimie", elle devait être en pleine crise de Chuunibyou. La mécano décida que le plus simple serait encore d'entrer dans son jeu.

" Ces produits ne sont pas vendus ici, mais l'apothicaire au coin de la rue devrait les avoir dans son inventaire. "

Aya souriait, et intérieurement se mit une claque mentale. Etait-elle obligée d'utiliser le terme "apothicaire" ?

Bon, visiblement "apothicaire" était définitivement un mauvais choix. Par contre, qu'est-ce que cette fille voulait dire par "de nos jours" ? Pour peu, on entendrait une grand-mère parler. Comme si elle avait connu une époque où les apothicaires existaient. Ce qui ne coulait pas du tout avec son age apparent. Aya n'était pas une pro à ce niveau, mais lui donnait à peine plus qu'elle en terme d'age. Tout cela commençait à sérieusement perturber la brunette, qui ne savait plus trop sur quel pied danser. Heureusement sa "cliente lui offrit une porte de sortie.

- Au fait, vous faites quoi ici ? C’est quoi, toutes ces... choses ?

Au moins un sujet sur laquelle la mécano pouvait répondre sans s’emmêler. Sauvée !

" Officiellement je suis mécanicienne et garagiste. Mon métier, c'est réparer ce que les gens m'apportent. Parfois, certains me demandent des modifications, alors je les rajoute. Sinon, je suis passionnée par tout ce qui est machinerie. Je bricole souvent, parfois invente certaines choses. "

Aya se demandait comment sa réponse allait être prise. Voir une femme dans un garage avait, et à plusieurs reprises, surprit les visiteurs. Sans parler du fait que la brunette soit une véritable accro à tout ce qui touchait à la mécanique. Il lui était parfois arrivé d'être considérée comme une excentrique, quelquefois un peu fofolle. De fait, elle n'avait pas beaucoup d'amis réels, la plupart des gens l'appréciant pour sa sympathie mais étant mal à l'aise face à ses tendances techno-maniaques...

Aya ouvrait des yeux ronds comme des billes. On lui avait déjà demandé, sur le ton de la rigolade, si elle fabriquait des robots, des cyborgs, ou des mechas. Mais des monstres, c'était inédit. La mécano ne voyait pas comment on pouvait croire qu'elle fabrique des monstres. Des machines monstrueuses, ça pouvait encore avoir un sens, mais là elle était perdue. Et puis son tentacule... En quoi pouvait-il être "vicieux" ? C'était juste un bout de métal inerte !

" Euh... Non, c'est une machine... Ça n'a rien de vicieux... Je veux dire, tant qu'il n'est pas allumé, aucune chance qu'il bouge. "

Aya s'approcha de son bras articulé, et tapa du poing dessus, faisant sonner le métal mais sans autres effets.

" Vous voyez ? c'est inerte. Et quand bien même, ça ne bouge qu'en fonction des commandes de la console. "

Aya joignit le geste à la parole et alluma la console. Le transformateur commença à émettre un bourdonnement, signe que l'électricité affluait. La brunette prit en main le joystick qui lui servait à orienter la tête et le bascula en arrière. Immédiatement, la tête du bras se redressa sur la table et commença à s'enrouler sur lui-même. Aya bougea encore un peu le bras dans différentes directions, en profitant ainsi pour tester l'efficacité de son appareil, puis se retourna vers la fille.

" Vous voyez, il n'a rien de sorcier là-dedans, c'est juste une bête machine télécommandée. "

Plus le temps passait et plus Aya avait l'impression d'avoir à faire à une folle. Oui, elle avait fait tombé quelque-chose, qui c'était cassé. Mais tout de même, tout ce cirque pour une simple ampoule néon ? La brunette les achetait par cartons entiers chez ses fournisseurs, à l'unité ça ne lui coutait presque rien ! Ou alors c'était une caméra cachée, mais vu qu'elles étaient passées de l'atelier à l'accueil, puis retournées à l'atelier, ça ne tenait pas trop debout. La caméra n'aurait pas pu les suivre sans qu'Aya ne la remarque. Cette fille se payait-elle sa tête ? La mécano n'était pas une pro en la matière, mais elle sentait tout de même que ce n'était pas le cas.

Elle hésitait. Que dire ? C'était juste une ampoule de rien du tout, pas de quoi en faire une montagne. Pourtant, la rouquine semblait totalement désemparée. Une idée germa dans la tête de la mécano. Et pourquoi ne pas lui jouer un petit tour ? Aya prit un air paniqué.

" Aïe aïe aïe, c'était un produit rare ! Peu sont fabriqués, ça coute une petite fortune à manufacturer, et une autre à acheter ! "

C'était un énorme mensonge, bien sur. Pour une poignée de Yens, on en trouve autant qu'on veut au combini du coin. Alors pourquoi s'embêter avec un mensonge aussi éhonté ? Tout simplement pour piéger la fille, quand Aya lui révélera l'arnaque.

Aya se demandait si elle n'aurait pas mieux fait de dire la vérité tout de suite. La pauvre petite semblait totalement désemparée, elle cherchait un moyen de régler ce qu'elle avait cassé. La mécano ne se sentait pas très fière d'elle. Elle allait avouer la vérité, quand il se passa quelque-chose d'inattendu, quelque-chose de dingue. Dans sa panique, la rouquine fit tomber un grimoire de son sac. Rien d'anormal jusque là, sauf qu'au lieu de tomber au sol comme le ferait un objet normal, ce grimoire ralentit sa chute, jusqu'à flotter en lévitation au dessus du sol. Puis il remonta s'accrocher à la ceinture de sa propriétaire, l'air de rien. Aya était soufflée. Elle n'écoutait plus ce que lui disait son interlocutrice, et ne fit pas attention quand elle s'agenouilla devant elle. À la place, elle s'agenouilla elle aussi, et attrapa la rousse par les épaules.

" Attends, attends, c'était quoi ça ? J'ai tout vu, ton grimoire qui lévite et se remet à ta ceinture ! C'est quoi comme machinerie ? Certainement pas de la lévitation par supra-conduction électro-magnétique... Plutôt coussin d'air, non ? Convecteurs de pression, guidage magnétique ou optique pour la ceinture ? "

Là, Aya était lancée à pleine vitesse. Quand il est question de nouveautés en mécanique, la brunette en devient limite hystérique. Il y aurait de quoi plaindre la fille...

la fille ne jouait pas cartes sur table... Elle évinça la question d'Aya par un simple déni, avant de vouloir prendre la tangente. Elle fouilla dans son sac et glissa dans la main de la mécano une poignée de billets, puis commença à s'éloigner. La brunette regarda les billets dans sa main, et fut étonnée de voir qu'elle ne les reconnaissait pas du tout. C'était de toute évidence de la monnaie étrangère, mais alors, de quel pays ? En tout cas, Aya n'avait pas eu sa réponse, et cela la frustrait. Elle s'élança à la suite de la belle rousse et l'attrapa par l'épaule.

" Stop, jeune fille. Cette monnaie est de toute évidence tout sauf des Yens, et je ne peux rien en faire. Je ne sais même pas si je pourrais la changer, et quand bien même je la change, qui me dit que c'est assez ? "

Aya eu un petit sourire. Elle venait d'avoir une idée, qui lui permettrait à la fois de se sortir de cette mauvaise blague sans avoir à révéler le pot aux roses, et d'obtenir les informations qu'elle veut.

" Mais, je suis prête à oublier cette histoire... Si tu acceptes de m'expliquer par quel procédé ton grimoire fonctionne. "

La rouquine finit par accéder aux désirs de la mécano, qui bouillait d'en savoir plus. Aya rêvait de plonger ses doigts à l'intérieur des systèmes qui alimentaient ce livre, et peut-être apprendre des choses... Voire les reproduire, qui sait ? Elle écouta donc religieusement Edéline lui énoncer ce que son grimoire faisait.
Et elle ne fut pas déçue. Commande vocale, lévitation sur place, déplacement dans l'espace, et apparemment acquisition de données ! Pour un techno-maniaque comme Aya, c'était carrément le Saint-Graal de la nanotechnologie. La brunette n'arrivait pas à croire qu'une telle chose puisse exister, considérant les moyens actuels qu'elle connaissait, mais elle devait bien admettre ce qu'elle voyait.

"C'est.... Tout simplement incroyable ! Je n'ai jamais entendu parler d'une technologie aussi avancée ! C'est quoi, un genre de projet top-secret de l'armée ?"

Plus elle y pensait, et plus Aya était convaincue de cette idée. L'armée avait toujours été le précurseur en terme d'avancées technologiques. Le GPS n'est qu'un exemple parmi tant d'autres. Ce livre devait sûrement renfermer des technologies de pointe, des prototypes pas encore prêts à être dévoilés sur le terrain. La mécano etait toute émoustillée, au point de ne pas se rendre compte des deux grosses failles dans son idée : pourquoi un prototype top-secret serait dévoilé dans son atelier, et ne risquait pas-t'elle gros en apprenant son existance ?

Bon, à croire la réponse, non, ce n'était pas l'armée... Quelle idiote Aya faisait, bien sur que ça n'était pas l'armée, comme si un membre d'un projet top-secret allait négligemment laisser trainer un prototype de haute technologie sous le nez d'une simple civile ! Mais que voulez-vous, on se se refait pas... Et la mécano n'était toujours pas redescendue de son petit nuage, celui sur lequel elle monte chaque fois qu'elle découvre quelque-chose de nouveau en rapport avec son centre d'intérêt qu'est la mécanique. Ainsi, la brunette contempla le grimoire voleter tranquillement dans son atelier. De temps en temps, il s’arrêtait ça et là, surement pour collecter des informations, si c'était ce dont il était capable...

"Aucune idée, normalement les projets top-secrets ne sont pas sensés être révélés..."

Ce n'est qu'en le disant à voix haute qu'Aya réalisa l'erreur qu'elle avait faite en s'emportant trop tôt. Bien sur que ça ne pouvait pas être un projet militaire ultra-avancé ! Mais alors, qu'est-ce que cela pouvait bien être ? Elle se mit à réfléchir, et une remarque prononcée par la rousse plus tôt lui revint. Elle avait parlé de... "mana" et "sorts". De la magie ? Non, c'est impossible ! Et pourtant...

"Excuse-moi, tout à l'heure tu as dit qu'il stockait du... mana et des sorts, c'est bien ça ? Tu pourrais l'en dire plus ?"

Un énorme doute venait de poindre dans l'esprit de la mécano, quelque-chose qu'elle pensait absurde... Mais qu'un grimoire volant rendait probable.