Bonus « In Darkest Seas » : Harald E. Askeladden_________ Harald _________
-Je peux voir le capitaine ?
-Bien sûr... KAPTEIN !
-Ja !?
-Noen vil gjerne møte deg !
-J'arrive...
Un homme à la barbe fournie saute du haut de son conteneur, abandonnant le tirage de corde qu'il effectuait à l'un de ses subordonnées. Au passage, il lui fallait reprendre l'épais manteau de fourrure abandonné sur une caisse. Se calant devant l'officiel en costume et beau pardessus rembourré, il s'agenouillait. Signe d'allégeance ? Que nenni. Il refaisait l'un de ses lacets, à trois mètres de lui.
-Allez-y, parlez, je vous écoute.
-Ah, hm. On peut entrer au chaud ?
-Personne du gouvernement ne met un pied sur mon bateau, normalement. Vous êtes déjà allé trop loin en dépassant la passerelle. Vous êtes du gouvernement, hein ? Soyez heureux que je ne vous dégage pas de mon pont. Qu'est-ce qu'il vous faut ?
Lorsqu'il se redresse de toute sa hauteur pour s'approcher enfin, l'officiel se rend compte de son gabarit. Un beau morceau qui faisait presque ses deux mètres, et dont les nombreuses couches de vêtements rendaient sa stature bien trop imposante. Ses cheveux épais, blonds cendrés, tirés en arrière, tranchaient avec sa barbe plus foncée, tirant vers le roux ; parmi cet amas pileux fourni se trouvait des petits yeux perçants, plus sévère que sournois. Ajoutons à cela le pic à glace qu'il venait de prendre, comme une menace envers son interlocuteur, qui avait un bref mouvement de recul.
-Je... comment dire... vous partez ?
-J'appareille, oui. Une livraison pour Sao Paulo.
-Les autorités de Wells ont interdit tout départ ce soir. Ordre du gouverneur du Maine.
-Dites à votre gouverneur de se foutre son ordre au cul. J'appareille, j'ai dit.
-Une amende vous sera infligée, monsieur.
-Est-ce que j'ai l'air d'en avoir quelque chose à foutre ?Ils se toisaient un instant, avant qu'un matelot n'arrive avec un cageot plein de glace qui venait d'être grattée des cheminées. Il devait jeter le tout à l'eau, mais avait finalement décidé de le déverser aux pieds de l'officiel, qui sursaute alors, puis recule.
-Bien. Je reviens.
-Vous allez chercher les flics ?L'encostardé interrompt instamment le demi-tour amorcé, pour regarder le capitaine.
-C'est la procédure standard. Je n'ai pas le choix. Ce ne sera qu'une inspection... de routine. Ne vous en faites pas, je...Il arrête ses balbutiements malhabiles lorsque le barbu s'approche d'un pas lent, agitant doucement le pic à glace dans sa main, comme s'il s'apprêtait à frapper avec.
-Dites à vos flics de venir armés. Dites-leur bien. Armés et casqués. Parce que je vise la tête. Chacun de mes hommes vise la tête. Et vous êtes sur une propriété privée. Le flic qui pose le pied ici sans un papier signé d'un putain de juge devra subir le déluge de balle que mérite tout représentant de l'Etat violant un droit fondamental. Et si je vous retrouve... Je vous arrache le cœur et plante votre corps à l'avant de mon vaisseau en guise de gallionsfigur !L'autre ne sait pas vraiment ce qu'était un gallionsfigur, mais le devinera aisément, et s'éloignera dès la fin de la menace, et il ne le reverra pas. Pas même de policier, non plus. Le capitaine, suivi par d'autres matelots, l'aura insulté de huglausi lors de sa fuite. Il n'aura pas cherché à savoir ce que c'est, non plus.
L'heure suivante, après avoir hurlé gloire à Njörd et Wotan, le bateau se mettait en route malgré les vents puissants, et la mer déchaînée. Ils n'allaient pas du tout à Sao Paulo ; Bien au contraire avaient-ils pour destination l'Islande, plus particulièrement un phare à quelques kilomètres de ses côtes.
_________ Williams _________
La profession de
détective privé subissait son inexorable déclin.
Williams a eu ses heures de gloire. Des jours où les romans et les films noirs donnaient la part belle à ces ersatz de flics travaillant dans l'ombre, il a su se créer un réel prestige. Mais les années ont passé, la plaque en bronze sur l'immeuble a vieilli ; on ne voit plus les détectives privés comme des héros de l'ombre, mais comme de véritables fouineurs, raclant la merde au fond des poubelles en échange du moindre denier.
Oh, il ne se plaint pas, il a su économiser. Pas assez, cela dit. Manque de nez creux : investissements pour moderniser son commerce, et échec. Ce n'était pas qu'une question de moyen, c'est l'ensemble du corps professionnel qui devait s'adapter et changer. Il ne l'a compris que trop tard. Ses méthodes à l'ancienne valaient très peu désormais. Alors il comptait sur ses sous mis de côté pour survivre le plus longtemps possible.
Il avait bien sûr des commandes, encore, mais bien moins qu'avant. Et plus de veuve éplorée en bas-résilles (il n'a pas le souvenir d'en avoir déjà vu une dans son bureau de toute façon), mais beaucoup de vieux clients, la fidélité fait presque tout, et l'infidélité fait le reste. Un petit chèque contre une preuve que Monsieur ou Madame trempe son biscuit ou se fait ramoner la craquette, et un léger bonus, parfois, grâce au divorce qui en résultera.
C'est passé les quarante balais qu'il avait commencé à changer, en tant qu'homme. Avant baroudeur sombre qui écumait les ruelles avec rien que sa débrouillardise et son flingue, comme dans les fictions, il avait profité de l'ennui résultant des désertions de sa clientèle pour arrêter de fumer, lire à foison, s'investir dans la communauté : L'association St. Paul de lutte contre les maladies comptait beaucoup sur son soutien ! Ses membres distribuaient des tracts, organisaient des réunions, frappaient aux portes des quartiers les moins aisés de Chicago pour les informer de leurs droits, de leurs possibilités, des différents tarifs, et pour rappeler que même indigent, les affections n'étaient pas des fatalités.
C'était donc un jour normal. Il n'ouvrait plus dès 14h jusque très tard le soir, comme le voulait l'obscure tradition : Désormais, c'était 9h – 19h, sauf s'il y avait du travail à l'extérieur. Le voilà donc, vers 11h30, beau soleil au-dehors, il est sur un recueil de nouvelles ayant pour thème la vie après la mort. Du fantastique. Et on frappe à la porte.
Une belle femme. Elle avait une jupe très courte et serrée, et des bas, dont il devinait la dentelle par la fente du vêtement sur le côté de sa jambe ; satin, pas résilles, mais ça fera l'affaire. Son fantasme de détective privé venait d'entrer, et avec la larme à l’œil je vous prie. Elle s'assied sur son invitation, regardera longtemps l'horloge, puis baissera la tête.
-Mon mari a disparu. J'aimerais que vous le retrouviez.Et c'est comme ça que je me suis retrouvé – enfin, Williams – sur l'histoire la plus barrée de ma vie.
_________ Harald _________
-Navire en vue, Kaptein !
-Préparez le canon.
Les escouades Kvöl et Thurs se préparaient au combat : Chacun de ses membres enfilait sa tenue de choc, prenait son fusil et ses munitions, répétait avec les autres un mantra guerrier. Au poste de communications, Harald demandait à ce que soit transmis le message d'assaut traditionnel :
« La liberté vient reprendre ce que la tyrannie a volé. Nous prenons d'assaut votre navire. Toute résistance sera punie de mort. Ceux qui ne s'opposeront pas à nous auront la vie sauve. Si l'assaut est impossible, votre bateau sera coulé, purement et simplement. Aucun secours ne pourra rien pour vous. Abandonnez-nous votre cargaison. »
Passé en boucle, il était censé faciliter l'attaque. Quatre transports à moteur finissaient à l'eau, avec ses mercenaires lourdement armés à leur bord. Ils approchaient de leur cible, grimpaient aux échelles et harponnaient le pont en divers endroits pour monter un à un. Les marins n'étaient pas des combattants, juste des petits employés, et ne résistaient généralement pas à la vie des pirates aux airs de forces spéciales qui les menaçaient. Certains d'eux inspectaient la cargaison des conteneurs, tandis que les autres gardaient leurs otages à vue. Le navire d'Harald s'approchait le plus possible, pour que d'immenses câbles d'aciers soient tirés, permettant à de grosses nacelles mécanisées de faire des allers-retours entre les deux ponts, et ramener, pendant une bonne demie-heure, de grande quantités de marchandises qu'ils volaient impunément.
Sur les bons de commande qu'Harald était venu chercher en personne, il trouvait en effet des tampons du gouvernement brésilien.
-Tu parles anglais ?
-Évidemment.
-Tu comprends pourquoi nous faisons ça ?
-Vous êtes des pirates.
-Mieux que ça : Des pirates avec un but.Le capitaine basané craignait pour sa vie. À trois portes de là se trouvait sa cabine, où il aurait dû prendre son arme s'il en avait eu le courage. Il regrette. Il a envie de courir. Il a peur de la mort.
-Ta cargaison va au gouvernement brésilien. Elle est payée avec l'argent du peuple brésilien, pour satisfaire les intérêts de l'Etat.
-Je ne suis qu'un transporteur. Je ne m'occupe pas de ces détails.
-Je sais. C'est bien pour ça que je ne touche pas à l'intégrité de tes hommes, ni la tienne.
-Et vous allez rendre ces marchandises au peuple ?Harald sourit sous sa barbe, puis s'éloigne vers la sortie, retrouver l'air libre.
-Vous n'êtes que des pirates alors. Des voleurs. Le morceau de bravoure n'atteindra pas le norvégien, qui parvient à ses hommes pour leur demander d'accélérer le mouvement, car ils partent bientôt. Il monte d'ailleurs dans l'une des nacelles pour retourner sur son propre bateau.
Comme promis, ils ne feront pas de mal à l'équipage. Ils se contenteront de jeter tout ce dont ils ne veulent pas à l'eau, déversant des centaines de kilos de marchandises. Lorsqu'ils ne peuvent pas transporter le contenu d'une caisse dans l'eau, de par son poids trop imposant, ils posent des petits pains d'explosifs pour en endommager assez la substance. Une fois la basse besogne terminée, la frégate lourde disparaît au loin, laissant le cargo brésilien dans une étrange stupeur.
_________ Williams _________
L'arme privilégiée du détective, c'était la patience. D'accord, c'était un lieu commun, mais un détective n'a pas à être original. J'étais seul, sur ce foutu banc en métal. L'administration faisait des pieds et des mains pour que ses locaux paraissent peu accueillants, et je suis sûr que c'était fait exprès : On n'a pas envie de voir ses administrés. Quand ils viennent, c'est qu'ils ont un problème, et fatalement, s'occuper des problèmes des autres coûte des sous.
Cependant, j'ai toujours trouvé étrange que les employés des administrations soient désagréables : Que leur boulot soit merdique n'empêche pas qu'ils ont tout intérêt à voir la « clientèle » revenir, puisque sans elle, le bureau ferme, et ils n'ont plus de salaire. Sans doute doivent-ils considérer que de toute façon, gueule renfrognée ou sourire jovial, l'administré reviendra, parce qu'il aura toujours des problèmes – l'administration a fait en sorte qu'il soit paralysé s'il ne règle pas ses affaires au plus vite.
Gwladys était une jolie fille, que la vieillesse commençait sérieusement à atteindre. Ca et ses deux gosses. Moi, j'ai pas de gosse. Elle ne voulait pas lâcher ce que je lui demandais.
-C'est juste un papier cette fois. Une photocopie. Ça reste entre nous, comme d'habitude.Obligé d'allonger les billets pour qu'elle lâche ce que je lui demande. Heureusement, l'hôtesse d'accueil payée 1,57 dollars de l'heure n'est pas chère à soudoyer. L'opération est notée dans mon carnet de frais, noir sur blanc, sera facturée à la jolie cliente. Après une bonne heure à attendre que Gwladys puisse subtiliser le document demandé et m'en faire un double, je repartais avec six pages d'un registre de disparitions récentes.
C'est que les disparus dans le coin, on doit leur annuler quelques papiers, quelque fois que ceux-ci se retrouvent dans de mauvaises mains. Comme il est compliqué de corrompre les flics (non pas qu'ils soient difficiles à corrompre, mais ils ont la frousse de se faire choper plus que d'autres), je fais généralement le tour des services de permis de conduire, des bureaux d'enregistrement de comptes bancaires, et toutes les possibilités que m'offraient les Etats où je devais enquêter.
Parce que mon type, là, avait vraiment disparu : Plus aucune trace, d'aucune sorte. Volatilisé du jour au lendemain. Aucun de ses proches ne l'a revu, toutes ses affaires sont restées intactes, ses comptes ne sont plus utilisés que par sa femme. Je n'ai rien remarqué d'étrange dans ses mouvements d'argent sur les six années précédant sa disparition. Je ne pense pas qu'il ait mis du pognon de côté pour disparaître. On privilégie donc dans ces cas-là, et les flics l'ont fait avant moi, l'hypothèse criminelle. Du coup, je me retrouve à éplucher la liste des disparus du coin pour espérer retrouver une similarité, quelque chose de commun entre tous, qui me permettrait de dégager une piste. Une entreprise vaine d'avance, mais je suivais les habitudes standards.
J'aime bien les habitudes.
_________ Harald _________
Dans une petite rade, au sud de Dakhla, le navire principal d'Harald et l'un de ses bateaux annexes avaient appareillé. Le Sahara Occidental avait l'avantage d'être plongé dans un chaos conséquent depuis que les espagnols étaient partis : Deux pays en revendiquaient l'appartenance, militairement ou diplomatiquement, et une guérilla d'indépendance lutte pour que le pays soit libre. « Libre »... Pour des bâtards de rouge, grogne le pirate, c'est une ironie sans nom.
L'avantage des lieux à gouvernement fluctuent, c'est qu'il était aisé d'y écouler sa marchandise au noir. Harald y était donc souvent passé, ces dernières semaines, afin de lâcher tout ce qu'il avait pillé dans les mers plus au nord. Des acheteurs au gros se feraient un plaisir de revendre tout ce qu'il leur livrait. La clientèle grossissait à chaque débarquement. Mais aujourd'hui, tout ne se passerait pas comme d'habitude... Alors que les transactions allaient bon train, et qu'au milieu du navire d'Harald, les différents partenaires étaient réunis pour discuter des prix tandis que les employés du port et les marins déchargeaient la cargaison, quelques jeeps armées approchaient.
-C'est quoi, ça ?Un lieutenant du norvégien avait déjà empoigné ses jumelles.
-Des Sarhaouis. Les chiens Polisario.
-Fais chier !Ils débarquaient sur la rade à une vitesse impressionnante, commençaient à déployer leurs armes autour des travailleurs pour leur ordonner d'arrêter. Ils demandent à qui sont ces nombreuses caisses, veulent inspecter les papiers.
-Ils vont saisir...
-Ou taxer. Dans les deux cas, ils n'auront rien. Toutes les unités en position de combat. Vous vous déployez à mon signal. Il fait signe à quatre de ses hommes de l'accompagner, empoigne un fusil d'assaut qu'il range à son dos, et plonge torse nu du côté mer, bientôt suivi par sa troupe. Ils nageront ainsi jusqu'à côté du port afin de prendre les envahisseurs par-derrière. En approchant, il constate que ses marins se sont déjà regroupés en deux équipes, le pistolet en main, baissés, prêts à en découdre face aux socialistes en uniforme, armés de AK, qui ordonnent qu'on leur amène un responsable. Le second du capitaine est venu parlementer, arguant simplement en anglais qu'ils n'ont rien à faire ici. Ils doivent leur laissent faire leur business tranquille. Un gueulard du Polisario leur dit que tout leur trafic est illégal, et qu'ils doivent se tirer maintenant en abandonnant tout.
-J'abandonnerais rien.À distance respectable, Harald et ses quatre pirates se sont terrés au coin d'un bâtiment. Le norvégien laisse dépasser la moitié de son corps, juste de quoi parlementer.
-Vous allez vous tirer, vous. Ou nous vous massacrons. Il n'y a pas d'alternative.Une trentaine d'hommes armés de fusils d'assaut soviétiques, tous en grappe, ne devraient pas faire le poids face aux mercenaires surentraînés du nordique. Néanmoins, il craint les mitrailleuses lourdes montées en tourelle sur leurs transports.
-Vous êtes qui ?
-Le chef de ces bateaux, et propriétaire de ces marchandises. Je vends. Vous n'avez rien à me dire.
-Vous êtes sur notre territoire. Vous vendez sans autorisation.Putain de socialistes, pestait-il, avant de sortir de sa cachette, H&K directement vers eux. Il murmure au type derrière lui de se déployer dans trente secondes, précisément.
-Vous allez partir, maintenant, ou nous vous abattons sans sommation.
-Vous attentez à la souveraineté...
-Ferme ta putain de gueule. Tu dégages. Ou je te massacre. DEPLOIEMEEENT !
Et, après son cri puissant, plusieurs dizaines d'hommes sortaient des navires et descendaient les rampes de débarquement pour se répartir sur le pont, prenant les hommes du Front Polisario au dépourvu. Ils commencent eux-mêmes à paniquer devant la puissance de feu déployée.
-Si vous nous tirez dess...
-TU TE TIRES ! MAINTENANT ! J'ai pas la patience de t'expliquer ta connerie, bâtard de rouge ! Tu dégages de mon commerce !Le militaire voudrait tirer, juste pour l'affront, mais il se sent cerné et submergé par le norvégien. Ses hommes commencent à sortir derrière ce dernier, un à un, armés et prêts à tirer eux-aussi. C'est la goutte d'eau : Les soldats se voient ordonner de remonter dans leurs jeeps et de partir. Un à un, les transports démarrent, et leur commandant, en passant à deux mètres d'Harald, hurle à travers la fenêtre de son véhicule qu'il reviendra.
-Répète !?Pas de réponse. Les jeeps passent devant un capitaine furieux.
-Répète, fils de pute ! Bâtard socialiste ! Reviens si tu l'oses ! Bouffeur de merde !Le reste sera en norvégien. Il a beau s'évertuer à hurler, les visés continuent de s'éloigner. Il s'éloigne alors vers son bateau au pas de course, ira régler les transactions au plus vite.
-Faites dire partout que je serais ici dans une semaine, à cette même heure, et qu'ils vont manger mes balles, je leur garantis. _________ Williams _________
J'avais une piste. Une unique piste. Mais celle-ci était... relativement bancale. En fait, j'ai découvert que la plupart de disparus étaient récemment au chômage. Oui, il y a quelques travailleurs, mais dans l'ensemble, énormément de sans-emplois. Je me suis demandé ce qui motiverait un tueur, un kidnappeur ou autre criminel à s'attaquer uniquement à des gens qui n'ont pas de travail. Certains étaient en couple et se sont volatilisés ensemble. Que d'interrogations.
Puis j'ai cherché du côté des associations, et des services d'aide à l'emploi, ce que la police n'avait pas fait. La plupart était connus d'eux, certains avaient même eu des propositions qu'ils avaient refusés avant de partir. Ainsi, la piste m'orientait plus vers la disparition volontaire : Une disparition concertée, collective. La pensée de la secte me traversa, je dois l'avouer. C'était naturel... Et j'ai cherché en ce sens, une bonne semaine, avant d'oublier par manque de traces concrètes.
J'ai donc été voir les familles des disparus, la plupart en tout cas. Ca a été long, et éprouvant, de traverser tout le comté voire au-delà, de bout en bout, afin d'expliquer l'enquête que je menais – et de proposer mes services moyennant rémunération. Il ne faut pas me blâmer : Business is business. Et si je retrouvais tous les disparus d'un coup, je me faisais un joli pactole, de quoi être tranquille au moins une année sans souci. L'enjeu en valait de plus en plus la chandelle.
Les moins réticents ont accepté de me donner les derniers relevés de compte de leur proche évanoui dans la nature, et après une heure à chercher des coïncidences, j'ai mis le doigt sur quelque chose : Tous, avant leur disparition, ont souscrit une assurance auprès de la compagnie Living LLP. Contactée, la société n'a rien voulu me dire quant à ses clients, prétendant qu'une fois leurs comptes en banque suspendus, ils avaient simplement clôturés leur dossier et n'avait plus entendu parler d'eux. Mais quand on est détective – et je suis détective – on s'accroche farouchement à ce genre de coïncidences, puisque c'est elles qui mènent à la résolution de l'enquête.
C'est là que j'ai commencé à fouiner chez Living LLP, et, je dois l'avouer, sans trop y croire, mais je n'avais bien que ça.
_________ Harald _________
Au large de l'Islande, les marins étaient habitués aux températures basses, mais les fourrures chaudes étaient de rigueur néanmoins. On chantait une chanson en norvégien – bien que les équipages soient cosmopolites, l'apprentissage de cette langue était un impératif absolu. Harald lui-même fredonnait, assis sur son pont, grignotant un morceau. Ragoût de légumes. Le tout a été volé au Mexique. Il adore cette pensée.
On lui tendait l'un de ses talkies.
-La commandante Sowell.Lydie Sowell était chef de l'un des navires de la flotte pirate. Une femme admirable : Refusée à l'université pour sa couleur de peau, elle protestait avec une association de défense des droits civiques lorsque passa Harald près d'eux. Il se moqua ouvertement de leur combat. Il ne s'attendait pas à ce que la claque vienne d'une femme. La police, qui veillait, ne fut pas tendre avec elle. La suite appartient à une histoire qui ne concerne qu'eux deux.
-Ici Harald.
-Kaptein, on a un vaisseau en vue. Militaire.
-Qu'est ce qu'il fout là ?
-On me dit qu'il est soviétique, Kaptein. On sait pas ce qu'il fait là. Il a dévié de sa trajectoire et se dirige droit vers le phare.
-Bordel. Seul ?
-En surface, oui, il semblerait. Nous ne savons pas pour les sous-marins.
-Transmettez les coordonnées, on va le distraire nous-même. Couvrez le phare si jamais.Branle-bas de combat général. Le navire de guerre se mettait de nouveau en branle, prenant plein nord afin de croiser l'appareil rouge et espérer croiser son chemin avant qu'il n'y parvienne. Une liaison radio était établie. L'accent nordique du capitaine fera l'affaire.
-Ici le navire Aegir. Numéro 6-8-2-1-5-8-5. Votre vaisseau est sur la zone maritime islandaise. Vous violez la souveraineté de l'Islande. Veuillez faire demi-tour.Quelques gazouillis de la radio, un long silence au bout de la liaison, avant qu'une voix en russe ne réponde.
-Ici l'Otchayanny. Nous ne sommes pas en territoire islandais. Votre localisation est fausse. À vous.Un marin épluchait la liste des bateaux de la planète, jusqu'à tomber à la page des bateaux de l'URSS, et cherchait celui qui venait d'être nommé. Lorsqu'il tombait dessus, mauvaise surprise : Un engin lourd, adapté à la chasse anti-navire, et qui pourrait faire de considérables dégâts à la flotte d'Harald. Un engagement direct est temporairement exclu.
-Otchayanny, cette parcelle de mer est un territoire islandais. Si vous ne faites pas demi-tour, vous serez considéré comme violant la souveraineté du peuple islandais, et nous n'aurons le choix que d'entamer les hostilités. À vous.Encore une fois, un long silence. Harald perd notoirement patience. On l'informe au passage que les canons sont prêts à faire feu.
-Aegir. Nous sortons de votre zone. Terminé.Cela ne le rassure pas, pas du tout. Trente secondes plus tard, l'oeil braqué sur les radars, il constate que le navire n'a pas changé de direction. Il croisera le phare dans quelques minutes.
-Nos consignes sont claires désormais. Abattez-le. Tout d'abord, il fallait désamorcer un éventuel conflit mondial.
-Otchayanny, ici le prétendu Aegir. Nous ne sommes pas un navire islandais. Vous vous dirigez tout droit vers l'un de nos bateaux en rade. Nous allons devoir employer la manière forte pour lui laisser le temps de repartir avant que vous ne l'atteigniez.
-Aegir, déclinez votre identité.
-Pas besoin, Otchayanny. Nous n'avons pas d'identité. Sachez que nous vous avons laissé une chance. Terminé. Il fait signe de couper toute communication, puis se rue sur le pont afin de donner l'ordre d'abattre la foudre de Thor sur eux.
_________ Williams _________
Living, LLP avait un fonctionnement beaucoup trop opaque pour être honnête. Petite société créée il y a une dizaine d'années, elle avait des bureaux dans chaque état d'Amérique. Chaque fois une petite succursale. En me faisant passer pour un inspecteur de l'hygiène, j'ai pu constater que chacune des minuscules officines présentes dans les capitales ou alentours était peu fournie en matériels et en dossiers. Il y avait des questions à se poser. Naturellement, les employés feignaient de ne rien savoir sur les « disparus » que je leur présentais, si ce n'est qu'ils étaient d'anciens clients.
Il m'a fallu faire l'une des choses que je détestais le plus : M'infiltrer. Je détestais ça parce que c'était particulièrement illégal, et que dans ma branche, contrairement à ce que beaucoup de gens pensent, nous savons rester dans la légalité – ça nous oblige à être astucieux. Mais me planquer dans les toilettes en attendant la fermeture, c'est laid.
J'ai choisi la plus grande succursale, celle d'Annapolis, qui faisait semblait-il office de siège. La société prenait deux étages d'un immeuble de sept. J'ai indécemment flirté avec la femme de ménage, une petite brune un peu boulotte et toute mignonne, qui m'a assuré qu'elle était très disponible le samedi, vu qu'elle ne travaillait pas ce jour-là : Elle arrivait tôt le lundi matin à la place. Ainsi, je me suis rendu chez Living, LLP le samedi après avoir demandé un rendez-vous avec son directeur dans l'après-midi. Je me suis entretenu avec un cadre. J'ai ensuite été dans les toilettes, où je me suis enfermé dans une position inconfortable pendant deux bonnes heures. Quand j'étais sûr que le bâtiment était vide, je suis sorti.
Les ascenseurs répondaient à un badge et les escaliers étaient fermés à clé. J'allais passer deux nuits ici. Largement le temps de fouiller. Et j'ai fouillé. J'admets avoir forcé quelques serrures, j'avais mon matériel pour ça. Dieu merci, aucune alarme n'a retenti. Les vivres que j'avais apporté n'allaient pas être suffisantes, et la nuit de dimanche, j'étais tiraillé par la faim.
Heureusement, toutes les informations que j'avais trouvé valaient de l'or – et elles étaient si folles que j'ai dû les relire plusieurs fois pour parvenir à y croire.
_________ Harald _________
-Kaptein ?
-Ja, entre, entre.
La jolie subsaharienne pénétrait dans la cabine du nordique, qui jouait aux cartes avec deux de ses hommes. En plus de l'argent misé, on mettait volontiers en jeu des armes, des dettes en pourcentage sur les prochains butins, des vivres, des bijoux... Un jour, complètement défait, un membre d'équipage avait misé la réalisation d'un tatouage ridicule sur son corps s'il perdait. Qu'on se rassure, il a remporté la manche.
-Je dois vous parler de notre petite affaire.
-Oui, bien sûr. On fait une pause ?Chez Harald, aucun ne penserait à protester : La discipline était forte. Qui plus est, ils n'avaient aucun problème à laisser leur main sur la table, sachant très bien que l'honneur proscrit à quiconque de tricher en jetant un œil aux cartes : Les laisseraient-ils face découverte que le capitaine n'y regarderait pas.
Il lui fait prendre le siège de l'un des partants. La belle porte en bois lourde, finement ouvragée en son sommet par deux corbeaux et à sa base par deux loups, est close. Enfin, elle se décide à parler.
-Les hommes sont particulièrement inquiets.
-Et alors ? C'est le lot d'un pirate, je le rappelle.
-Nous savons tous ce qu'est la vie d'un pirate. Elle est courte et brutale.
-Mais intense. C'est la contrepartie d'une vraie vie. On ne peut pas vivre à fond et espérer vivre longtemps, en paix.
-On a attaqué un bateau de guerre de l'URSS. On avait déjà la moitié du monde à notre cul, mais au moins les américains étaient loin de nos bases. Là c'est les soviétiques. Le mauvais côté du monde, Harald.
-Les soviétiques sont limités par l'Europe, et c'est tant mieux. Tu dois avoir confiance.Le varègue paraissait particulièrement détaché, là où la nubienne tentait désespérément de dire ce qu'elle pensait. Il lui fallait réfléchir précisément à ses mots, et chaque fois qu'elle imaginait la réaction d'Harald à ceux-ci, elle se refusait à les prononcer.
-Nous avons dû semer sept navires depuis l'événement. Et un sous-marin. Ca commence à être disproportionné. Et tu ne penses pas qu'on risque d'attirer l'attention sur Rapture ?
-Et nous défendrons Rapture avec toute la hargne de mes ancêtres. Jusqu'à la mort.
-Certains ne veulent pas mourir, Harald.
-Personne de censé ne veut mourir. Personne. Surtout pas pour quelqu'un d'autre. Mais on fait des choix, on prend des risques, et en échange de l'exaltation et de la liberté, parfois, il faut mettre sa vie sur la table, et espérer que les cartes nous soient favorables, et ce n'est pas toujours le cas, Lydie.
-Une partie de mon équipage veut aller à Rapture. Ils estiment avoir payé leur temps. Certains ne veulent pas le dire, mais c'est le cas sur les autres vaisseaux, même le tien.Silence. Pour Harald, c'est un coup dur : Cela signifie la défection.d'un bon tiers de ses hommes, peut-être la moitié, plus, qui sait ? Lui qui est au faîte de sa puissance doit nécessairement tomber. Ces derniers jours il s'est souvent dit qu'il n'avait jamais été aussi grand : Être au sommet, c'est ne plus avoir de marche à grimper, et être obligé de redescendre.
Elle avouerait qu'elle s'attendait à un refus, voire à une colère homérique de la part de son commandant, qui, lyrique et emporté, aurait craché le feu des dragons du nord sur elle, brisant quelques objets et brandissant l'accusation de trahison. Pourtant, le pirate se lève lentement, cherchant sa bouteille d'alcool. Il ne propose pas de verre à son adjointe, sachant qu'elle ne boit pas.
-Et toi ?
-Moi ? Si je veux aller à Rapture ?
-Oui.La culpabilité la rongeait, mais elle ne pouvait lui mentir : ç'aurait été contre ses intérêts propres, et contre l'honneur.
-J'ai envie de vivre, Harald. Je veux découvrir cette cité que nous avons tant défendu. Ce n'est pas contre toi, soyons clair. Cette vie m'a apporté plus que n'importe quelle autre, et je ne changerais mon passé pour rien au monde. Mais j'ai peur que toute cette haine ne finisse par nous emporter.
-Très bien.
-Harald... Tu m'en veux ?
-Non. Tu fais tes choix. Tu les exerces en toute liberté. Je n'ai pas le droit de t'en vouloir pour ça.Suivant précisément le dogme de Ryan, celui auquel il croyait profondément, le norvégien était tout de même amer de perdre ainsi l'acolyte avec qui il a toujours si bien travaillé – sa pirate, sa pourfendeuse des tyrans. Elle se lève et se rapproche de lui, et le prend dans ses bras, d'une étreinte fraternelle sans la moindre équivoque, à laquelle le blond peine à répondre.
-Je peux te poser une question idiote ?
-Fais donc.
-Je ne suis pas ton genre ? Tu ne m'as jamais dragué. Tu dois être l'un des seuls hommes de l'équipage à n'avoir jamais essayé de...
-Toi, tu ne m'as jamais dragué.Lydie sourit à son capitaine, et embrasse sa joue.
-Harald Askeladden. Ton nom restera dans l'histoire.
-L'histoire est faite par l'Etat. Je crains que nos noms à tous n'en soient effacés. Mais laisser une trace dans l'histoire est inutile.
-Tu as tort. Si Andrew Ryan ne laisse pas de trace dans l'histoire, ni Harald Askeladden, vers quel idéal se tourneront ceux qui refusent la tyrannie ?
-Leur propre vie. Ta vie est un idéal. Ta liberté et ta personne. Rien d'autre ne doit être idéalisé._________ Williams _________
Simoni Jacoppo parlait d'un « paradoxe du masque ». En termes simples, il se décompose en deux opposés, nécessairement complémentaires : Une personne décide de porter un masque. D'un côté, il y a ses raisons, on les comprend assez naturellement : Il y a volonté de cacher son identité, généralement afin d'accomplir un acte que l'on ne voudrait se voir attribué. Il peut servir le bien mais généralement, il s'agit d'un acte malfaisant ou considéré comme malfaisant. D'un autre côté, le fait de porter un masque rend la personne particulièrement visible. Le meilleur agent secret, après tout, est celui qui parvient à ressembler à un individu normal. Le porteur d'un masque se différencie de l'agent secret qu'il s'apprête sans doute à commettre l'acte susnommé en public, à découvert, ou tout du moins qu'on va pouvoir le voir, d'où la nécessité du masque. Voici donc le paradoxe : Celui qui veut protéger son identité, en la protégeant, rend sa personne physique particulièrement visible, et ce afin de commettre une exaction au vu de tout le monde. Au sens propre, il n'y a pas paradoxe, mais plutôt dualité.
J'ai été surpris de constater que John Angeli acceptait de me rencontrer. Ce magnat des mines, fils d'expatrié sud-américain, avait fait fortune en exploitant les entreprises de son père. Il les avait fait fructifié comme son géniteur avant lui, et son propre géniteur avant lui. Une croissance exponentielle qui, pour le petit John, avait fait passer sa transnationale respectable en troisième société d'énergie américaine – derrière Exxon Mobil et General Electric. Une prouesse.
Du coup, il se permettait des folies. Il vivait comme un playboy milliardaire, et sous la récession et la médiocre présidence démocrate, ça avait été très mal vu. Il se fichait bien de la mauvaise publicité que certains journaux de gauche lui faisaient : Il dilapidait autant en fêtes qu'en œuvres caritatives, versant des millions en réaction aux catastrophes en Amérique du Sud, contre la pauvreté endémique et les famines qui en frappait ses habitants. Il disait volontiers qu'il faisait plus pour le peuple chilien qu'Allende et Montalva réunis, et que Castro était un mythomane compulsif, car il croyait sincèrement en sa générosité envers les Cubains, ce qui relevait de la maladie psychique. Par ailleurs, son serrage de main et les accords miniers passés avec le gouvernement Pinochet finissait de lui aliéner les progressistes, et même les républicains avaient du dégoût de voir le businessman s'acoquiner avec un dictateur, quand bien même celui-ci était en voie de rendre l'économie de sa nation plus puissante que jamais.
Et pourtant, n'étaient-ils pas nombreux à le suivre dans ses projets fous ? Angeli allait quelque part, une troupe d'investisseurs le suivait, brandissait les billets. Il construisait des mines et développaient des projets, et, pas chien, faisait toujours appel à des fonds extérieurs. « C'est mon côté rouge : J'adore partager ». Et la rentabilité était forcément à la clé.
Pourquoi est-ce que je parle de lui ? C'était évident, voyons.
-Living, LLP. Ca vous dit quelque chose ?Dos à sa baie vitrée avec vu sur le Nouveau-Mexique, il s'assied, et pousse un soupir de réflexion, rajustant son costume. Relativement jeune encore, il avait une classe folle et une négligence dans les gestes qui participaient à son image de nanti insouciant.
-Une compagnie d'assurance.
-J'ai découvert que vous en étiez propriétaire, sous un pseudonyme.Sa tête sursaute, ses yeux s'écarquillent. Puis il rit.
-Vous vous êtes trompé. Je ne fais pas dans les assurances. Moi ce que j'aime... c'est le métal, et la pierre. Le cuivre, mon ami, le cuivre !Il tapote une petite statuette représentant un gros copeau, tout en cuivre, d'une brillance inégalée pour ce métal. De mon côté, je mettais ma mallette droite sur mes genoux, et en sortant un gros dossier d'où j'extrayais documents après documents – des copies – que je lui présente au fur et à mesure. Des enregistrements de sociétés, des documents fiscaux au pseudonyme mentionné plus tôt.
-Non. Je ne me trompe pas. Roberto Alessandro est le nom d'un homme d'affaire italiano-vénézuélien qui possède quatorze sociétés dans le monde, du moins, de ce que mes amis en Italie ont pu me dire. Trois au Royaume-Uni, deux en Italie, deux en Espagne, une en France, une en Islande, et deux aux Etats-Unis, dont Living, LLP. Mais surtout, une au Venezuela et une au Chili. C'est là que ça m'a pris plus de temps.Je n'avais aucun papier pour appuyer mes assertions, et il me fallait être sûr de moi.
-En cherchant un peu, j'ai découvert que Roberto Alessandro avait quitté l'Italie il y a quelques temps pour vivre au Venezuela. C'est d'ailleurs là-bas qu'il crée sa première entreprise, sous Jimenez il me semble mais la date est incertaine.
-Je ne sais même pas si j'étais né à cette période, vous savez ? Si vous essayez de me dire que votre Alessandro c'est moi...
-Précisément, précisément, mais attendez un peu. J'ai fait demander à ce qu'on visite les locaux de ladite société, et, magie : Il n'y a rien. Evidemment, je n'ai pu obtenir aucun registre du personnel, aucun numéro où m'adresser... La société est entièrement théorique, mais elle continue apparemment à exister et à payer ses impôts. C'est ici que les faits deviennent plus touffus.J'ai son attention. Il se penche sur le bureau, croise les mains, avec tout le sérieux du monde.
-J'ai découvert que, contrairement à ce qui est mentionné dans une interview donnée dans un journal lombard, Alessandro n'est même pas né en Italie. Il le clame, mais ce n'est pas le cas. Il a fait une demande de nationalité, car il est d'abord vénézuélien. Et comme le Venezuela ce n'est pas les Etats-Unis, je n'ai pas pu chercher de trace de lui dans l'administration. Pratique, non ?
-Vous ne parlez pas de moi, depuis tout à l'heure.
-J'y viens. Roberto Alessandro est donc, pour l'instant, une personne à l'origine floue. Penchons-nous sur ses sociétés, voulez-vous ? Création coïncidente à quelques mois près dans tous les pays où elles sont implantées. Plus de quinze ans ans après la création de celle du Venezuela. Elles éclosent, comme ça. Toutes des sociétés de service, assurance, crédit bancaire, etc. Des succursales partout. Mes infos affirment toutes qu'elles n'ont presque pas de clientèle. Pourtant elles sont en bonne santé, leurs comptes sont à un bon niveau, généralement à peu près le même partout. D'où vient-il donc ? Et grâce à l'amitié d'un fonctionnaire britannique, j'ai découvert que la trésorerie était alimentée depuis... le Chili.
-Vous allez me parler de mes amitiés avec Pinochet, vous aussi ?
-Oui, mais ce n'est pas ma preuve principale. Absolument toutes les sociétés en question ont été créées juste après votre toute première visite au Venezuela. Quelques années plus tard, votre première visite au Chili. Juste après l'accession au pouvoir du dictateur. Là coïncide le début de l'arrivée des fonds provenant du Chili, qui auparavant venait de... je ne sais pas, je n'ai pas trouvé.
-C'est donc tout ce qui tient votre petite histoire ?
-Admettez au moins que ça a de la gueule.
Le businessman le concède par une petite moue, puis s'étend enfin sur son siège. Je croyais lire du soulagement dans son attitude. Il regarde un instant par-dehors, puis en revient à moi en souriant.
-Recollez les morceaux pour moi, je vous prie. Je me fais passer pour un homme d'affaires italien... ?
-Vous avez créé l'identité d'un homme d'affaires vénézuélien grâce à vos contacts dans la dictature,pour ensuite demander la nationalité italienne. Ainsi, vous pouvez créer aisément des sociétés dans toute l'Europe. Ces sociétés sont fictives, au sens où elles n'ont pas de vrai but. Elles ne dégagent que peu de liquidités et vous êtes obligées de les alimenter avec votre argent personnel pour ne pas qu'elles tombent en banqueroute. Fausse comptabilité, fausses factures, tout y passe, et tout le système perdure.
-D'accord... Vous êtes donc en train de dire que John Angeli, couverture du Times de novembre dernier je vous le rappelle, maintient exprès des sociétés déficitaires ?
-Vous avez autre chose en tête. Quelque chose de plus important.
-Je vous écoute.
-Je ne sais pas. Je comptais sur vous pour me le dire.Et je l'ai vu rire de bon cœur, se moquant ouvertement de moi. Je me suis demandé si je ne faisais pas fausse route à ce moment : J'imaginais d'abord que le fait de m'écouter jusqu'au bout était une preuve de culpabilité, avant de me dire qu'Angeli serait du genre à me laisser tout déballer même si j'étais dans le faux, dans l'unique but de se payer ma tête.
-C'est ainsi que vous coincez les coupables ? « Vous êtes coupables, avouez » ? Voyons, voyons.
-Living, LLP est une société dont tous ses clients sont fictifs. Ses employés sont trop bêtes pour s'en rendre compte, mais pas moi. C'est évident en voyant les contrats. Ils ont tous les mêmes écritures. Celles des directeurs de succursales. On dit aux comptables que c'est parce que les clients ne rédigent pas les contrats, mais se contentent de dire à leur interlocuteur ce que celui-ci doit écrire, si j'ai bien compris. Ce serait plausible si des personnes entraient parfois dans leurs bâtiments, mais c'est rare. Chaque succursale envoie une cinquantaine de contrats par semaine, alors que seules trois nouveaux clients y entrent. Et étrangement, parmi les vraies personnes qui contractent avec Living LLP, la moitié disparaît du jour au lendemain de la surface de la terre pour ne jamais réapparaître. C'est la même chose chez vos courtiers, vos agences immobilières, partout... Vous faites disparaître des gens et je veux savoir pourquoi. Ce n'est pas uniquement pour l'argent ?... Ça vous coûte plus cher que ça ne vous rapporte, si mes calculs sont bons.Il reste interdit un court instant, ayant retrouvé son sérieux, puis je le vois me montrer la porte.
-Je ne peux donner suite à cet entretien. M'accuser d'un montage financier est quelque chose, m'accuser de kidnapping ou de vol est autre chose. Veuillez sortir.
-Je prends cela comme un aveu, monsieur d'Angeli. Sachez cependant que toutes ces informations ont été confiées à quelques personnes de confiance et, si je venais à disparaître, toutes mes conclusions deviendraient publiques. D'autres vont sans doute m'être fournies d'ici-là.
-Vous pensez que je vais tenter de vous tuer ?
-Je ne sais pas ce que vous faites à ces gens. Qui sait ce que vous me ferez à moi ?
-Sortez. Sortez !_________ Harald _________
Quelques jours plus tard, une imposante cargaison de cuivre provenant d'Afrique, principalement de Zambie et du Congo, se fit aborder par des pirates dans l'Atlantique, et coula par le fond. Plusieurs milliers de tonnes déversés au fond de l'eau, tous les cargos étant percés par des explosifs, sauf un où avaient pu se réfugier les équipages. Les agresseurs avaient laissé un message de révolte, où ils accusaient ce cuivre d'être tâché du sang du peuple africain, extrait dans des conditions d'esclavage avec la complicité des gouvernements corrompus qui exploitent leurs citoyens opprimés.
La radio déversait les nouvelles de la hausse spectaculaire du cours du cuivre suite à cet abordage, mais aussi à cause de la nationalisation forcée des deux nouvelles mines de cuivre ouvertes par Angeli au Brésil. Après avoir défié le gouvernement et avoir forcé pour les ouvrir, le Parlement avait voté la nationalisation, et ces mines avaient été entièrement récupérées par l'Etat brésilien. Ce n'était pas tant ça qui avait fait grimper le cours que l'annonce faite par le gouvernement brésilien peu après : Ces mines sont vides. Le potentiel d'extraction est quasi-nul. De ces suites d'événement, l'action Angeli a chuté, et les entreprises d'Angeli ont modifié leur tarif. Crise du cuivre dans le monde. Et les autres métaux commençaient à en être impactés.
Un journaliste économique espagnol débitait ces nouvelles lorsqu'on signalait à Harald qu'au loin, plusieurs camions de troupe approchaient. Ils étaient plus que la dernière fois. Les acheteurs étaient partis il y a longtemps, il avait pu décharger sa cargaison.
-Le Polisario ?
-Aye, Kaptein. Je pense qu'ils sont... Au moins une centaine.Sur le port, c'est plus de deux-cents soldats armés jusqu'aux dents qui posaient les rangers. L'observateur avait sous-estimé la capacité des camions. Harald, restant sur le pont, souriait. Il était de nouveau torse nu, pour ne pas suer dans ses vêtements, et avait ôté ses bottes de fourrure, naturellement. Un gradé se pointait avec porte-voix et pistolet.
-Rendez-vous. Vous devez être jugé pour vos crimes.
-Le commerce libre, c'est un crime ?
-Le meurtre en est un plus grave.
-Non, l'entrave au commerce est plus grave. Je réponds par la proportion.Harald riait, et ses hommes aussi. Oui, à leur dernière visite, avant de partir, ils avaient été près du grand port de Dakhla, la principale ville du pays, pour faire tirer au canon sur des baraquements du Polisario sur la côte. Nul besoin de dire à ses marins de se préparer à l'affrontement : Ils étaient déjà équipés depuis plusieurs minutes. Les soldats africains finissaient d'évacuer la petite rade de ses employés : C'était précisément ce que voulait le norvégien.
-Il n'y a plus un civil sur la zone, Kaptein.
-Bien, parfait. De nouveau, l'officier lui hurlait dans son porte-voix, dans un anglais dégueulasse :
-Si vous ne vous rendez pas, nous couleront votre navire et capturerons tous les survivants pour qu'ils soient jugés.
-J'ai une autre proposition : Et si vous alliez vous faire foutre ?Alors que l'officier fait signe à ce qu'on fasse tonner du lance-roquette sur la coque du navire, Harald fait signe à son artificier, qui se contente d'appuyer sur une commande sur un dispositif radio. La rade explose, trois détonations successives qui balaient toutes les infrastructures, et massacrent au passage la plupart des rebelles Sahraoui. La vague de chaleur agite les pirates. Leur capitaine fait ordonner le départ. Avant cela, on lui donne un porte-voix.
-L'idéologie rouge vous mènera à la mort, tôt ou tard. Vous y repenserez avant d'extorquer d'honnêtes commerçants. _________ Williams _________
Et donc, c'est là qu'on se croise pour la première fois, je crois. Vous vous souvenez ?
-Excusez-moi ?Je vous ai appelé, peut-être était-ce vous, non ?... Non, bon.
-Vous êtes ?
-Je peux parler au capitaine ?
-Capitaaaaaaaaaaine !Et alors a surgit une fauve, magnifique, la peau pure, un ivoire noir, une taille élancée, les cheveux tenus en arrière par un large bandeau, et une tenue un peu lâche qui laissait deviner quelques charmes, sans trop en dévoiler – enfin, vous me comprenez. J'ai été surpris par ses bottes, je dois l'admettre, un peu XVIIème siècle. Elle s'est approchée de moi et m'a interrogé froidement du regard.
Je ne lui ai pas dit qui j'étais réellement. Je me suis prétendu inspecteur des douanes, que je voulais jeter un œil à sa cargaison. Bizarrement, j'ai vu tout l'équipage se crisper comme si j'avais prononcé le nom du diable. Peut-être aurais-je dû dire la vérité. Elle s'est tournée et a demandé combien de temps il faudrait pour repartir, et l'un de ses subordonnés a dit qu'il faudrait minimum une heure. Alors elle m'a fait venir dans sa cabine, exaspérée.
Tandis qu'elle me donnait un inventaire de ce qu'elle transportait, je sentais la présence du marin qui nous avait suivi dans mon dos. Il me mettait particulièrement mal à l'aise. J'inspectais distraitement les stocks, puis lui rendait avec un sourire assuré, prétextant que tout allait bien.
-Vous avez des problèmes ? Vous voulez qu'on fasse venir quelqu'un ?
-Pas la peine. Nous réparons tout nous-même. On a ce qu'il faut pour.
-Je peux voir ?Elle m'emmena deux niveaux en-dessous, m'expliqua qu'un machin était complètement noyé, qu'ils le purgeaient de son eau et le consolidaient avant de repartir vers leur port d'attache, où l'on s'occuperait de faire des réparations en dure. Autour de moi puait l'hostilité des marins. Je décidais de ne pas rester plus longtemps et repartais. Une fois sur la passerelle qui me ramenait au port, cependant, je ne pouvais m'empêcher de me retourner pour poser une dernière question.
-Vous connaissez John Angeli ?Elle semblait interpellée par ma question, mais me répondit sur le même ton que le reste.
-Il nous arrive d'écouter la radio.
-Ahah, oui, la radio. Mais vous avez des relations avec ?... C'est un fournisseur, un client ?...
-Le transport de métal n'est pas très sûr ces temps-ci. Je ne pense pas accepter un jour un contrat de livraison venant de lui. C'est quelque chose qui nous risquerait la disparition en mer. Comme la curiosité trop prononcée.
-La curiosité, oui... Bonne journée.
-C'est ça, bonne journée._________ Harald _________
Rien de pire qu'un risque de mutinerie. Harald, nourrit aux histoires de pirate, le savait.
Alors il avait cédé. Il avait demandé à ce que tous les marins de ses équipages qui désiraient quitter la flotte et rejoindre Rapture viennent le voir personnellement.
-Tu ne comptes pas les punir, n'est-ce pas, Harald ?
-Je n'ai qu'une parole, Lydie. J'ai dit que je les libérerais. Rendez-vous avait été donné à la commanderie, leur port d'attache dans une petite île abandonnée au nord de l'Islande. Une longue file d'attente était déployée dans le froid, devant le bureau en hauteur du capitaine. La neige tombait, fine, et un vent la poussait quelque peu, mais le temps était supportable pour les marins habitués à pire.
Un à un, ils passaient, expliquaient leurs motivations, et repartaient avec leur nom noté sur un petit registre tenu par la seconde du commandant, impressionnée par le nombre de personnes qui s'étaient ainsi décidées. Lui se réjouissait de savoir qu'il allait avoir assez d'équipage pour tenir deux vaisseaux et la commanderie. Il allait falloir recruter.
-Tu es conscient que tu ne reverras plus jamais la surface ?
-Oui, Kaptein.
-Ni terre, ni mer. Rapture sera définitivement ta nouvelle maison.
-Nous nous sommes battus pour la protéger, elle en vaut forcément le coup.
-Bien. Tu peux disposer, fais entrer le suivant.
Sur chaque bateau avait été organisé un banquet qu'ils mangeraient tous de bon cœur, mais pendant le repas, une alerte retentit dans le grand bâtiment de contrôle. Un marin décide d'y courir. Il transmet par radio à Harald qu'on signale l'approche d'un navire du port. Il ne serait pas très imposant, probablement désarmé.
-Je prends la vedette. Cinq hommes avec moi._________ Williams _________
Autour du grand feu dressé en plein milieu du port, dans une grande cuve de pierre, se trouvait une quarantaine de pirates qui se réchauffaient. Tous étaient silencieux pour écouter le détective parler. Harald, assis sur une chaise de pêcheur, celles en tissu, était au milieu, comme un seigneur, toisant le fouinard de l'autre côté de l'âtre.
-Et c'est ainsi que tu nous as trouvé.
-Tout à fait.
-Avec un mouchard. Satellite.
-Tout à fait. C'était cher mais ça en valait la peine. Et ce n'est pas très discret, je suis content d'avoir réussi à le cacher.Sowell était consternée de s'être fait avoir par le détective, gardait la main sur sa bouche depuis qu'il avait raconté ce passage. Elle aurait envie de le tuer.
-Kaptein, je suis désolée...
-Tais-toi. Plus tard, les excuses. Nous avons d'autres problèmes. Williams... Tu vas me dire que quelque part, des types détiennent l'emplacement de cet endroit et qu'il est prêt à le livrer à la police ?
-C'est ça. Si, en tout cas, vous ne me laissez pas partir.
-Mais si je te laisse partir, tu emportes d'autres secrets. Moi, les bateaux, les armes. Tu me seras encore plus nocif.
-Pas vraiment. On peut arriver à un compromis, tous les deux.
-Je ne suis pas un homme de compromis.
-Je ne te connais pas, mais je suis sûr que tu seras prêt à m'écouter. Dis-moi ce qui est arrivé des disparus sur lesquels j'enquête et je m'arrange pour en dire le moins possible sur vous. Après tout, je n'en ai pas besoin. Tout ce qui m'importe, c'est de résoudre l'affaire. Harald se retourne vers ses hommes, comme s'il attendait une approbation, mais personne ne réagit, et c'est tant mieux. Il ricane un peu. Fait demander à ce qu'on remplisse le verre du détective, qui ne dit visiblement pas non.
-Tes disparus vont bien. Mieux. Ils ont changé de vie.
-Et quelle est-elle ?
-Je ne peux rien en dire.
-S'ils laissaient un message aux proches qu'ils ont abandonné...
-Non. Il leur est interdit de communiquer avec leurs anciennes relations.
-Vous les retenez en otage ?
-Ils sont venus de leur plein gré. Et ils n'ont pas envie de partir.Williams avait un cas de conscience. Harald semblait honnête, malgré son apparence d'ours en rogne. Il caressait souvent sa barbe, et les deux bijoux qui s'y trouvaient, surtout lorsqu'il réfléchissait, et il avait été tout à fait courtois depuis la capture, écoutant le récit de son « prisonnier » avec intérêt, comme tous les autres.
-Juste un unique message. Signé de leurs mains. Moi je me fais payer, sachant que mes finances vont très mal à cause de toutes mes recherches sur vous, et tout le monde est content. Et je n'ai pas d'intérêt à vous balancer. Je suis un type honorable, je fais juste mon travail, pas plus, pas moins. Le lendemain, Williams était sorti de la cale où on lui avait fait passer la nuit. Conduit auprès d'Harald, on le faisait asseoir. Le capitaine portait un fin sourire sous son épaisse barbe.
-Vous avez dit que vos finances étaient mauvaises.
-C'est la vérité. Le métier de détective privé ne paie plus autant qu'avant. Et j'ai consacré tout mon temps à cette affaires...
-Je vois tout à fait. Nous sommes tous deux les héritiers d'une vieille tradition tombée en désuétude. Je suis pirate.
-Pirate ?... Vous pillez donc des bateaux avec un drapeau noir ?
-Entre autre, oui... Soif ?
-Je veux bien boire quelque chose, oui.Le norvégien sortait deux verres d'une petite armoire à côté de son lit, faisait choisir à son hôte entre un whisky ou une eau-de-vie.
-Du coup, je ne comprends pas trop. Quels sont vos rapports avec Angeli ?
-C'est un ami. Un collègue, dirais-je même. Nous avons le même employeur.
-Et vous coulez sa cargaison et faites plonger ses actions ?
-Parfaitement.
-Pourquoi ?
-Selon vous ?
-Je ne sais pas. Il spécule ?
-Pas du tout. Je vais vous expliquer... Après quoi, je vous ferais une proposition, et votre réponse changera le reste de votre vie.
-Je vous écoute.Harald finissait d'une traite son verre, brûlant délicieusement sa gorge.
-C'est l'histoire d'un homme. Il est né plus intelligent, plus malin, plus vif, plus doué que les autres, peu importe son talent. Cet homme décide qu'il pourrait mettre son talent à son profit, et décide donc de le faire fructifier. Pourquoi pas en créant sa société. Il travaille dur, longtemps, plus que n'importe qui, et à force de persévérance, sa fortune grandit. Mais tout le monde n'est pas aussi motivé que lui, tout le monde n'est pas aussi talentueux. Et les autres sont jaloux. Ils inventent des accusations : Accapareur de richesses, exploiteur, concurrent déloyal, et tout ce qui va avec. Mais leur aigreur est sans limite, et ils cherchent un moyen de voler l'argent de cet homme. Ils crient assez fort, jusqu'à ce qu'une entité surnaturelle, mafieuse et injuste les entende. Cet entité, c'est l'Etat. Et l'Etat fait des lois, crée des impôts, utilise son armée afin de prendre l'argent pour nourrir les autres, les jaloux, les imbéciles, les parasites. Il remplit son verre, propose à Williams de faire de même pour lui.
-L'homme trouve ça injuste, mais face aux nombres des profiteurs, il ne peut que se taire. Alors le système perdure. Des mois. Des années. Des siècles, même. Tout un système fondé sur l'appropriation des biens des plus riches afin de nourrir des gens incapables de le faire eux-même. Tous ne sont pas incapables, mais tout le système de vol et de redistribution les rend dépendants. Ils sont des drogués en manque et ne peuvent s'en départir. Pire : Ils finissent par penser que l’État est leur bienfaiteur, et que le riche à qui on prend l'argent est le méchant. Mais un jour...Une pause, nécessaire afin de mettre de l'emphase.
-Un jour, l'homme est fatigué de cette situation. Il est fatigué de suer pour les autres et d'être insulté pour ça. Alors il disparaît. Lui et ses richesses. Pouf, envolé. Et il entraîne les autres avec lui. Les courageux et les travailleurs. Et d'un seul coup, les parasites ne trouvent plus de sang à sucer. Ils se déchirent, accusent les disparus d'égoïsme, et finissent par sombrer dans leur médiocrité. Leur monde construit sur le vol organisé et parfaitement légal s'effondre. Harald sort de son dos un pistolet, qu'il braque sur le crâne de Williams. Celui-ci, pris au dépourvu, réagit à peine.
-Vous comprenez où sont ceux que vous cherchez ? Vous comprenez qui est John Angeli, qui je suis ?
-Je ne comprends pas tout, mais je devine des choses...
-Oui, vous devinez. Normalement, je devrais vous tuer, simplement, et jeter votre corps dans les eaux froides de l'Atlantique. Mais mon employeur a demandé à vous rencontrer.L'arme est posée sur la table.
-Si je vous disais que le paradis se trouvait sous l'eau ?