Cette histoire se déroule deux ans avant la story-line présente de Sela et Cimbaeth. A cette époque, « l'entreprise » que montera la Chasseuse n'est qu'un embryon qui tente de survivre, au début de son expansion. Et il n'est à n'en point douter que cette aventure-là joue un rôle décisif dans la réussite que connaîtra Sela et sa bande quelques mois à peine plus tard.
Depuis quelques temps, l'heure semblait tourner affreusement vite. Toujours occupée de part et d'autre de Nexus, tiraillée et demandée, la jeune esclavagiste ne savait plus où donner de la tête.
Cependant, elle gardait toujours une attitude calme, posée, réfléchie, comme si elle maîtrisait le temps et qu'il était à ses ordres. Personne ne semblait soupçonner le surmenage dont elle était l'heureuse victime. Mais c'était avec joie qu'elle vivait, et qu'elle se promenait dans cette vie si remplie qu'elle en oubliait presque les problèmes qui la tourmentaient habituellement.
C'est de son pas vif qu'elle pénétra dans la petite ruelle bondée. Elle était seule, rapide et furtive, arborant une démarche souple qu'elle avait acquise au fil des années. Elle était en retard ; elle en avait parfaitement conscience, cependant, personne n'en tiendrait compte. C'était une sorte de coutume chez elle, elle semblait toujours arriver cinq minutes après que tout le monde se soit rassembler, comme pour leur montrer qu'elle leur faisait totalement confiance. Car ainsi elle savait qu'elle était attendue et respectée.
En effet, elle avait passé la matinée auprès d'un proche du Grand Baron, ou du moins était-ce le nom qu'il se donnait. Cet homme, haut placé, dirigeait plusieurs bordels réputés disséminés aux endroits phares de Nexus. Elle avait signé avec un de ses conseillers un contrat qui lui permettrait certainement de payer sa petite troupe et le nouvel arrivant, un de ses anciens amis des bas-fonds qu'elle avait retrouvé et en qui elle avait toute confiance. Maintenant ils étaient six. Elle cherchait activement un septième membre, certainement le dernier selon ses plans.
Quoi qu'il en soit, elle avait donné rendez-vous au cinq dans un bar rustique, mal famé, mais dont elle connaissait bien le gérant. Ils avaient été en affaire, des années auparavant, quand elle était encore
La Louve et qu'elle n'avait pas assez d'argent pour manger et dormir au chaud.
Elle pénétra dans l'arrière boutique, saluant avec chaleur la fille du gérant qui jouait aux cartes sur une vieille table miteuse. Elle devait avoir douze ans, et elle ne leva même pas la tête mais répondit tout de même en agitant la main, plongée dans son jeu. Elles se connaissaient bien, du temps où Sela passait plusieurs jours d'affilée ici, s'y sentant mieux que dans sa vieille maison abandonnée et froide.
Enfin, elle arriva devant une porte entrouverte, d'où s'échappaient des chuchotements. Sela resta un instant pour écouter, réfléchissant à la morale qu'elle allait leur faire pour ne pas se montrer plus discrets. Et si quelqu'un les surprenait ? Agacée, la jeune femme s'apprêta à entrer, lorsqu'elle surprit un autre bruit encore, un bruit sec et saccadé. Comme quelqu'un qui frappe à une fenêtre... Intriguée, elle resta là, et écouta la voix qui s'éleva soudain du silence qui s'était fait. Une fenêtre qui s'ouvre... Quelqu'un les avait entendu. Sela n'attendit pas plus pour ouvrir grand la porte. L'attention, semblant déjà être suspendue, sembla soudainement se figer complètement pour se concentrer sur elle. Elle sentit Zenöm et Run se tendre, et Karf et Wolf attendre et Eza bouillonner. Calme, comme à son habitude, elle ne cacha pas son étonnement pour autant, soulevant un sourcil face à la scène.
Un homme, aux yeux fourbes et aux traits durs, affichait un air épanoui. Légèrement voûté, comme pour sauter par la fenêtre à la première occasion, il les regardait d'un air malicieux. L'esclavagiste avait horreur des imprévus, et cet homme semblait incarner à lui seul la notion même de
l'imprévu. Un homme... ? Rien de moins sur. Il ne lui disait rien qui vaille.
-Ils parlaient de vol, eux... ? Elle leur lança un regard tout sauf bienveillant. Qu'ils ai été aussi indiscrets vaudrait bien des réprimandes, et même si elle n'aimait pas ça, il faudrait bien un jour les éduquer aux confidences et aux sournoiseries qui se propageaient dans Nexus. Si les murs avaient des oreilles, les hommes aussi.
-Cela m'étonnerai. Cependant, entrer dans une pièce privée de manière aussi peu commode est très impoli. Que voulez-vous ?L'esclavagiste, sans perdre contenance une seconde, s'avança doucement vers l'intrus. Elle était sur son terrain de chasse, terroriser et manipuler ; elle savait faire. Cependant elle doutait que ce traitement réussisse pour cet être étrange et inopportun. Par sa réplique elle changeait l'origine du fautif, lui retournant la faute ; elle incluait une convention qu'elle maîtrisait entre eux ; elle réparait partiellement les dégâts d'une mauvaise conversation surprise en demandant l'autre à s'expliquer sur sa venue ici ; et elle se plaçait comme
leader et protectrice. Mais surtout : elle lui signifiait que si il voulait jouer, elle pourrait riposter.