Tandis que Mineko et Kanna se trouvaient dans le sanctuaire du kami dans les hauteurs du domaine familial, à l’intérieur de ce dernier, Junko s’avançait le long d’un des multiples jardins. La villa du clan Kedamono était très grande, avec de multiples bâtiments annexes, séparés par des jardins. Les jardins étaient de fait très agréables, à hauteur du Japon traditionnel, de ce que Junko avait toujours adoré. Elle avait vécu à Tokyo, une ville que les enfants adoraient, et que les adultes détestaient. Trop de monde, un loyer dix fois trop cher, des emplois difficiles à trouver, a fortiori pour une femme seule. Elle avait tenté de trouver du boulot à de multiples reprises, mais, avec le loyer à payer, les charges de la vie courante, et la dette abyssale que son défunt mari avait laissé derrière elle... C’était terrible à dire, mais Junko n’avait jamais aimé Saburo. Elle pensait en être amoureuse, au début, mais, à chaque fois qu’elle le voyait revenir totalement ivre des casinos ou des bars où il dilapidait tous les maigres deniers que cette courageuse femme économisait... Junko ignorait comment elle avait fait pour tomber enceinte de lui, mais, s’il y avait bien une bonne chose que Saburo ait jamais faite de sa vie, c’était bien de lui offrir un bébé. Kanna était son petit ange, son rayon de soleil, le soleil de ses nuits... Elle était prête à tout pour elle, et c’était pour ça qu’elle avait accepté la proposition de la famille de Saburo, et ce même si elle savait pertinemment ce qui allait l’attendre, et pourquoi on avait besoin d’elle. Elle ne pouvait que maudire Saburo... Avant de se sermonner elle-même.
*Saburo était ton mari, Junko ! Quelle épouse digne de ce nom crache ainsi sur la mémoire d’un homme décédé ?!*
Oui, il était ivre, et même relativement violent quand il avait bu. Oui, il avait profondément endetté Junko, qui avait signé avec lui tous ses prêts à la banque, par amour, par idiotie, mais il avait été son mari. Elle devait se sacrifier pour rattraper les erreurs qu’il avait commise, car c’était ainsi qu’une femme se devait d’agir. Junko suivait donc Daitoku, la tête baissée, sans rien dire. Son mari était derrière elle... Son nouveau mari, Takahiko. Il était accompagné de Himeko, cette fille à la courte chevelure blonde dont Junko se méfiait énormément.
Daitoku menait la marche, jusqu’à se rapprocher d’un grand entrepôt en bois au toit pointu.
« Tu sais, Junko, vu la dette abyssale dont tu as hérité grâce à Saburo, toute une vie de labeur dans les champs ne suffirait pas à éponger ta dette. Et, pour nous les Kedamono, la dette est une chose importante. Il en va de notre honneur et de notre respectabilité d’honorer l’intégralité de nos dettes.
- Oui, oui, je comprends...
- Nous devons répondre de nos dettes lors de notre mort devant notre kami, qui veille sur nous et nous juge. Notre kami a développé ses propres croyances et ses propres rites, et, comme tu le sais, pour les représentantes du sexe féminin, il existe un moyen considérable d’allonger sa dette...
- C’est ce que j’ai accepté, oui. »
Junko savait très bien de quoi il retournait, et ce rituel l’effrayait autant qu’elle la glaçait d’effroi. Mais elle faisait ça pour Kanna... Pour sa fille, elle donnerait sa vie, alors... Elle accepterait ce rituel, et toutes les conséquences en résultant.
« C’est pour cette raison que nous allons te préparer, Junko... »
Le vieil homme gras ouvrit la porte coulissante de l’entrepôt, et Junko entra, en soupirant lentement. Les tatamis étaient là... Tout comme la rangée d’hommes, mais on la guida vers le vestiaire... Le vestiaire, où sa tenue l’attendait.
Pendant ce temps, Mineko continuait à prier. Il était très important de prier le kami, et la mère de Mineko se fâchait parfois quand elle apprenait que Mineko n’avait pas effectué sa prière quotidienne Ils n’étaient pas comme les citadins, ces gens qui avaient renié toutes leurs traditions au nom de l’impérialisme occidental et du capitalisme sauvage. Les traditions étaient sacrées, elles constituaient l’âme du Japon, et toute bonne Japonaise, ce que Mineko prétendait à être, se devait de les respecter. Alors, Mineko priait, respectueusement, religieusement, jusqu’à ce que Kanna lui pose plusieurs questions.
La jeune fille releva la tête, et lui sourit gentiment.
« Non, nous sommes les seules personnes mineures du clan. C’est bien pour ça que je suis heureuse que tu sois là, imōto-chan. »
Elle lui sourit à nouveau, puis se redressa, et sortit du petit sanctuaire. Elle avait prié pour que le kami accorde sa bénédiction à l’amitié naissante entre elle et Kanna-chan. Dehors, le soleil continuait à décliner, et elle s’approcha du rebord, observant les toits du manoir depuis sa position. Le vent faisait légèrement remuer ses cheveux. Demain, elle irait à l’école, et ce serait en compagnie de imōto-chan, ça ne faisait pas l’ombre d’un doute !
Mineko lui expliqua donc d’autres petites choses :
« Les autres enfants seront au lycée demain. On y ira ensemble, hein ?! Comme deux sœurs !! »
Mineko était très expressive, et, en ce moment, elle se retenait de ne pas sauter sur Kanna pour l’enlacer et lui offrir tout un tas de bisoux dans le cou. Oh, bien sûr, elle savait que ce n’était pas conforme à la politesse, au respect entre personnes... Mais elle ne pouvait pas s’empêcher de le vouloir, c’était plus fort qu’elle !
« Et on pourra dormir dans la même chambre, aussi... Enfin, si tu veux ! »