Colocs, alors. Dwight imaginait sans peine quel feu les deux filles devaient allumer dans les esprits de leurs voisins et esquissa un sourire en se figurant une seconde que c'était avec elles deux qu'il partageait son palier. La très séduisante image l'invita à reconsidérer les comparses qu'il trouvait jusque là assez superficielles et le journaliste les fit passer dans la case "fantasmes à garder en tête", au grand dam de Sybille qui soupira longuement et profondément quelque part derrière sa tempe droite. L'attitude de la voix l'amusa davantage et son sourire alla en s'élargissant tandis que Natalia parlait des soucis de Félicia avec son boss et, par ricochet, de la raison qui les poussaient à poser pour l'OVNI. La réponse eut l'eur de satisfaire Lazarus, qui fila un coup à un Hiro décidément très lourd, puisqu'il passait déjà sur les sous-entendus graveleux à l'attention de Félicia en lui disant grosso-modo que lui aurait harcelé de façon à ce qu'elle adore se faire traquer toute la journée par un pervers.
- Le concours ? Pour le blé aussi, ni plus ni moins. Dwight haussa les épaules.
Les ventes du journal ne sont franchement pas mirobolantes et se maintiennent juste assez pour payer ceux qui y bossent. Le hors-série d'Halloween mise sur des jolis culs en cosplay ambiance gothique et sombre pour vendre une paire de numéros supplémentaires et le fait est que ça, ça fonctionne correctement. On peut s'acheter du matos et garder le notre en bon état, en plus de parfois se trouver de nouveaux lecteurs. Au final, tout le monde s'y retrouve plus ou moins. Pas très glorieux ni très commercial, mais l'explication avait le mérite d'être franche. L'OVNI n'était pas un canard a très gros tirage et le concours
Ecchi-Ween mettait du beurre dans les épinards. Recevoir les photos des candidates était un grand moment pour la rédaction essentiellement masculine et choisir celles à mettre en valeur (où celles pour qui fausser le prétendu tirage au sort des gagnantes, mais chut) était un évènement pris très très au sérieux par l'ensemble des mâles du magazine. Cela permettait d'oublier les menaces de suppressions de postes, voire de fermeture définitive du journal certains mois.
A l'arrière, Taka guettait chaque bouchée de Natalia sur le beignet, n'attendant de voir que ses lèvres pulpeuses se refermer sur la pâtisserie. Côté gros lard insistant, une autre technique était tentée et Hiro cherchait à jouer à l'affectif avec Félicia, n'hésitant pas à se prétendre romantique et plus ou moins déjà amoureux. Même Taka cherchait à se rapprocher de la rousse à sa façon, soit en lui proposant de lui ramener d'autres beignets chez elle une fois de retour à Seikusu. Dwight se contenta lui de lancer la radio sur la première station venue pour se donner du courage, la route se faisant un peu plus difficile alors que le van évoluait vers les hauteurs de la montagne.
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L'ambiance s'était comme alourdie quand la grande toiture rouge avait commencé à percer entre les arbres, annonçant l'arrivée imminente à destination. La flaque d'un carmin délavé par le temps était soulignée par les petites tâches blanc-gris que faisait la peinture de la façade entre les frondaisons et l'Hôtel du Pic avait commencé à se découper peu à peu, forme vague qui s'était précisée alors que le van avait emprunté un tronçon macadamé qui n'avait pas été entretenu depuis longtemps. Taka et Hiro avait fini par cesser leurs bavardages pour ne plus parler que peu et plus gravement, incapables de détacher leurs yeux de la grande silhouette qui emplissait toujours un peu plus leur horizon. Comme la plupart des membres de l'OVNI, les assistants de Lazarus étaient fermement convaincus du pouvoir mystique et ectoplasmique du lieu et le prenait tout à fait au sérieux. Ils avaient accepté de venir en toute connaissance de cause, motivés pour beaucoup par la beauté des deux modèles.... Mais même Natalia et Félicia n'additionnaient pas assez d'attraits pour détourner les garçons du magnétisme glauque qu'excerçait sur eux le sinistrement célèbre édifice. Dwight n'était pas différent d'eux; seulement était-il plus mesuré dans ses réactions.
Le van fini par sortir de la forêt pour arriver sur une grande cour, ses pneus écrasant les graviers jaunâtres tandis que le chauffeur ralentissait drastiquement pour prendre toute la mesure de l'Hôtel. Il se dressait là devant eux, de nombreuses fenêtres du premier étage brisées depuis longtemps. Certains volets pendaient lamentablement à leur encadrement de fenêtre, d'autres claquaient mollement au gré du vent qui agitait la cime des arbres qui entouraient encore le domaine. Le temps, qui n'avait cessé de se couvrir depuis leur départ de la ville, était passé à l'orageux et avait obscurcit prématurément cette fin d'après-midi.
La facade avait conservé un certain style, bien que sa couleur fut passée depuis longtemps et que la peinture se fut craquelée et moisie par plaques à certains endroits. Sur le parking sur lequel Dwight arrêta le van face au large perron qui symbolisait l'entrée principale du bâtiment, on trouvait des déchets divers. Des restes de pique-nique d'ado en quête de sensations fortes, comme l'expliqua Hiro pour se redonner un peu plus de courage. Lazarus arrêta le moteur et se tourna sur son siège, faisant face aux deux filles et à Taka.
- Voilà comment ça va se passer. On va rentrer et s'installer, Taka restera avec vous pour vous aménager une petite loge dans une pièce pas loin de l'entrée. Vous enfilerez les premiers costumes pendant que je partirai avec Hiro pour repérer les coins les plus sympas. Ensuite on installe l'éclairage et les éventuels accessoires, je vous shoote. Une fois les clichés en boîte vous vous rhabillez, on remballe et je vous ramène à la maison en vous proposant de prendre un verre. Pour vous remercier et pour tenter de vous serrer, bien sûr. Il sourit, sa pointe d'humour n'ayant que pour but de désamorcer un peu la tension qu'on pouvait sentir. Hiro trouva assez de courage pour entraîner Taka à sortir du van afin qu'ils puissent en décharger le matériel pour la séance photo et Dwight se retrouva seul avec les filles. Allant pour imiter ses collègues, il se ravisa avant d'ouvrir sa portière et se retourna une fois encore vers Natalia et Félicia, l'air le plus sérieux du monde.
- Vous n'avez pas l'air de prendre l'Hôtel au sérieux et ce n'est peut-être pas plus mal, mais je vous demanderai quand même d'être prudente. Parce que c'est un vieux bâtiment, déjà, et que je ne voudrais pas que vous vous blessiez si vous décidiez d'explorer un peu. Seulement, si vous voulez visiter, ne le faites surtout pas seules ou juste ensemble. Restez avec l'un de nous ou mieux, ne nous quittez pas. Je sais que ce que je vous dis vous paraît peut-être con, ou juste un prétexte pour qu'on ai le cul collé sur vos superbes culs en permanence : il se trouve pourtant que je suis tout à fait sérieux. Si vous déconnez, je vous colle de force dans le van et j'annule tout, ce qui veut dire que vous ferez une croix sur le chèque. Il chercha à rendre la chose un peu moins autoritaire d'un sourire un peu gêné.
J'ai envie que ça se passe bien, c'est tout. Désolé si je parle comme ça. On y va ? Comme pour s'excuser, Dwight sorti pour aller leur ouvrir la porte à la manière d'un chauffeur, poussant la petite comédie jusqu'à s'incliner légèrement. Ceci fait, il invita les filles à rejoindre Taka et Hiro qui poussaient la porte d'entrée et semblaient les attendre. Lui prit le temps d'aller chercher son appareil photo et ses accessoires dans le coffre, y prenant le temps d'y souffler un grand coup. Le doute l'avait saisi après son petit speech. Etait-ce une bonne idée d'avoir emmené là tout ce petit monde ? Les faits divers rapportaient de temps à autres les déboires d'aventuriers des légendes urbaines qui s'étaient frottés à l'Hôtel du Pic et y avaient perdu des copains ou même la vie. Sous forme d'accidents dûs à l'état de délabrement des étages, certes... Mais selon les récits, c'était autre chose qui avait causé leurs premiers soucis. Dwight s'estimait expérimenté face aux phénomènes surnaturels et autres apparitions inexpliquées, ce qui ne l'assurait pourtant pas d'être de taille face à la puissance de l'Hôtel. Un instant durant, il eut la furieuse envie de rebrousser chemin et refusa de s'y tenir. Refermant le coffre du van, le journaliste embrassa du regard l'édifice avant de prendre quelques photos de la façade et du parking.
Ayant rejoint le petit groupe, il débarqua dans le hall. L'endroit avait été grand et chaleureux par le passé; il ne restait plus grand-chose de cette époque. Le dallage était poussièreux, fissuré voire éclatés à certains endroits. Les fauteuils éventrés qui avaient dut un jour former un agréable salon étaient éparpillés partout, comme après avoir été balancés rageusement. Sur leur droite, le grand comptoir de bois qui courait sur tout un angle de mur était brisé, couvert de papiers et de feuilles mortes. Les casiers à clés qui meublaient le fond se retrouvaient tous vides, et Taka avait déjà ouvert la porte de la petite porte qui donnait sur les bureaux de la conciergerie, décrétant qu'ils seraient parfaits pour que les filles puissent s'y changer. Non sans une certaine vaillance au vu de la crainte manifeste qu'il éprouvait pour l'Hôtel, il entreprit son ménage rapide sans demander d'aide.
Pourtant, l'ambiance était lourde. Le silence qui régnait avait quelque chose de dérangeant, sentiment exacerbés par les grincements de bois étouffés par la distance qu'on percevait de loin sans en saisir l'origine exacte ou encore les battements secs des volets animés par le vent. De chaque côté du hall partaient deux grands couloirs qui disparaissaient à la faveur d'un angle de mur dans le lointain, alors qu'en face montaient les escaliers qui menaient aux niveaux supérieurs. Des portes discrètes mais pour certaines entrouvertes menaient vers les parties réservées au personnel.
L'Hôtel du Pic était un bâtiment en U, dont les ailes étaient agencées de façon similaire. Au centre se trouvait à l'époque une piscine entourées de petits jardinets adossées à la forêt, à la lisière de laquelle avaient été construits trois petites chambres de luxe sous forme de châlets qui semblaient faussement indépendants du reste. Assurément, il y avait là de quoi explorer... Et se perdre, comme Dwight s'en fit la remarque.
- Hiro, on va aller voir les premières chambres. On verra si ça vaut le coup d'aller vers la piscine, aussi. Tu viens ? Le petit gros, qui avait commencé à sortir les costumes pour les montrer aux deux concernées qui allaient les porter, bafouilla en tendant de répondre avant d'arriver finalement à articuler quelques mots sans trop d'assurance dans la voix.
- C'est que...euh...j'ai dis aux filles que j'allais rester avec elles, tu vois... Sont pas trop rassurées ici, pis y'a...les...les costumes à leur donner. Il chercha un peu de soutien dans le regarde de Félicia, mais Dwight ne prit pas le temps d'assister à la scène. Hochant simplement la tête, il désigna l'aile de gauche d'un geste de la main tout en passant la sangle de son appareil autour de son cou.
- Je vais aller par là. Je reviens dans dix minutes, un quart d'heure à tout casser. Et il tourna les talons, s'humectant les lèvres pour conjurer ce pressentiment qui n'avait de cesser de lui étreindre le coeur. Dwight n'était pas spécialement peureux, en temps normal. L'Hôtel et tout ce qu'il avait put lire sur ce qui s'y était déroulé lui pesaient et faisaient tourner son cerveau à plein régime, ce qu'il savait être des dispositions propices à vite d'imaginer
des choses. Conscient que c'était un mauvais état d'esprit, il mit tout en oeuvre pour se ressaisir et aborder sa rapide exploration des lieux dans les meilleurs conditions possibles.
Dans sa tête, Sybille restait obstinément silencieuse. Mais -il le sentait sans pouvoir l'expliquer vraiment- son inquiétude à elle sourdait discrètement dans un recoin de ses neurones. Décidé pourtant à trouver l'endroit idéal pour ses photos et poussé par la curiosité, l'homme se mit en marche.