Le poisson, Nemo, leur signala rapidement toute la bêtise de cette approche, en soulignant que la puissance d’une civilisation reposait dans sa diversité... Ethnique, culturelle. Yukari ne répondit pas, pas plus qu’Evelyn. Elles avaient fourni une réponse théorique à une question théorique. Se débarrasser du sexe masculin s’inscrivait dans une logique bien précise, avec l’objectif, au terme, de supprimer, à la fois, le sexe féminin et le sexe masculin. Seul dominerait un sexe unique. D’aucuns pouvaient s’insurger contre cette méthode, qu’on assimilait à de l’eugénisme, mais pour Yukari, c’était autant eugénique que de vouloir soigner les maladies, de guérir le cancer, les personnes handicapées, celles naissant avec des troubles de naissance, comme la rubéole. La technologie, contrairement à ce que Nemo pensait, avait permis de libérer l’humanité de la Nature. Certes, elle avait entraîné une dépendance à la Machine, mais c’était une dépendance contrôlée, régulée. Comme bien des philosophes antiques l’avaient dit, la technologie était la seule force de l’humanité, car elle était l’expression la plus pure de sa vive intelligence. L’être humain n’avait pas une fourrure pour le protéger du froid, il n’avait pas de griffes pour combattre ses ennemis. Il s’était ainsi inventé le feu, avait utilisé des techniques pour découper des peaux de bêtes, les traiter, afin de s’en servir comme couvertures. Puis il avait bâti des maisons, des murs, soigné des maladies... Un formidable récit qui ne serait terminé que quand l’être humain serait pleinement libre, que quand il serait passé du Mortel au Divin. Voilà le but de l’évolution, transformer la race humaine en race surhumaine, transcender le genre humain pour un genre unique, un genre où toutes les différences sociales auraient éclaté, un monde nouveau, utopique, où ne régnerait qu’amour et harmonie... Yukari se voyait cependant mal expliquer cela à un poisson. Quant à Evelyn, elle s’en moquait, s’intéressant surtout à la sécurité, ainsi qu’aux pectoraux de Crochet.
Oui, les Tekhanes étaient avant tout des lesbiennes. Oui, elles n’aimaient pas trop les hommes, mais, comme Crochet l’avait relevé, elles avaient des esclaves masculins. C’était l’un des paradoxes de leur logique, et qui, pour Yukari, trouvait son explication dans la curiosité. Certes, on admettait qu’il fallait gommer les différences sexuelles, mais, pour l’heure, elles étaient là, et il fallait bien en tenir compte. Les hommes avaient pour seul avantage d’être plus costauds que les femmes, un avantage qui s’estompait avec le développement de machines et de robots., et leur seul avantage, concret, était celui de servir de gigolo. C’était là l’un des paradoxes, car les hommes libres étaient souvent mal traités, alors que les esclaves étaient bien vus, car achetés par de puissantes Tekhanes, et servant avant tout de jouets sexuels pour ces femmes lors de leurs grandes soirées, dégénérant généralement en orgie joyeuse et débridée.
« Pour votre armure, nous attendrons de voir si vos intentions sont louables... Mais vous la récupérez. Pour l’heure, vous et votre joli cul n’avez rien à craindre de nous. »
Étonnante phrase que celle d’Evelyn, après le speech des deux femmes sur l’inutilité des sexes.
« Les gens ont tort, en général, de considérer que nous voulons écraser le sexe masculin au profit d’un autre, reprit Evelyn. Cependant, je comprends cette confusion, car bien de nos consœurs y plongent également. Nous voulons un sexe unique. Quand le processus sera élaboré, il n’y aura plus de sexe, tout simplement. Ceci peut vous sembler absurde et inconcevable, mais nos connaissances de l’espace nous ont permis de trouver des espèces de ce type. »
En disant cela, Evelyn pensait notamment aux Asaris. La connaissance de l’espace profonde était encore très embryonnaire, reposant surtout sur les explorations menées au sein de la Base Spatiale par les Tekhanes envoyées là-bas grâce aux Portails que la Base Spatiale générait sur elle-même.
« Ne vous méprenez, Capitaine Crochet, ni vous, Nemo l’Atlante. Nous n’avons fait que vous exposer une théorie civilisationnelle qui mettra des siècles à s’accomplir. Pour l’heure, si bien des femmes sont assez hostiles à l’idée d’avoir des mâles, il faut aussi mettre cela sur le compte que, à Tekhos, les hommes sont dans une situation économique défavorable. Nous pouvons en parler sans langue de bois à Novac, je regrette cet état de fait, mais il explique la méfiance des femmes à l’égard des hommes. Ils sont une minorité, sont rejetés par une société, et la seule solution qui leur est proposée est d’abandonner leur masculinité pour devenir des femmes, par le biais de techniques expérimentales qui ne sont pas encore totalement fiables. Un jour viendra probablement où l’État tekhan interdira toute immigration masculine, à condition de passer par des centres de traitement pour subir des modifications hormonales ou génétiques afin de devenir pleinement des femmes. Pour l’heure, Nemo, vous avez le droit de parole. Ne nous prenez pas pour des tyrans, nous ne sommes pas des Ashnardiens. La technologie est ce qui a permis à Tekhos de se hisser au-dessus de la fange de Terra. S’il n’y avait pas ces maudits Formiens, il y a longtemps que nous aurions mis au pas Nexus et Ashnard, afin de mettre fin à une guerre qui provoque des milliers de morts, et autant de réfugiés depuis des années. »
Evelyn parlait en ayant les jambes croisées, et Yukari acquiesçait silencieusement, bras croisés, avant de se mettre à parler :
« Si votre Flynt veut aider, il est le bienvenu. Il faut remettre en marche le générateur principal. Plusieurs de ses circuits ont grillé... »
Diable, elles n’allaient pas se refuser des bras supplémentaires, vu que leur vaisseau était à l’arrêt !