NEXUS
Langley haussa un sourcil interrogateur en voyant Adamante et Fania assez proches, parlant à voix basse. Elena, elle, fronçait lentement les sourcils, curieuse. De quoi pouvaient-elles bien parler ? L’échange fut bref, et elle ne posa aucune question. Il s’agissait sans doute d’un conseil stratégique, car les deux femmes allaient devoir être ensemble pendant de nombreuses semaines. Or, comme Adamante le supposait, Elena ignorait totalement que l’un des passe-temps favoris de Fania était, à la capitale, d’aller dans des harems. De fait, elle n’aurait même jamais pu se poser la question. La Reine avait grandi dans une tour d’ivoire, et, si elle savait que les sujets la dégradaient régulièrement en la traitant de noms orduriers, elle s’imaginait que les choses étaient différentes pour les chevaliers et les membres de la Cour. Cependant, Elena savait qu’Adamante n’était pas vierge, mais elle avait du mal à lui en parler, car elle continuait à voir en elle son amie d’enfance, et Adamante, quant à elle, ne voulait pas choquer la Reine en abordant ces sujets... Mais, dans les faits, chacune des deux aurait été aussi ravie l’une que l’autre d’en parler. C’est juste qu’Elena était la Reine, et, surtout, la Survivante.
Fania était très belle, et elle s’écarta d’Adamante, s’adressant à nouveau à Elena, afin de savoir quand elle pourrait partir, visiblement désireuse de mener le plus vite possible sa mission :
«
Ma Reine, avant de partir, j’aimerais savoir quels moyens allons-nous utiliser pour nous déplacer… à pied en cheval ou par téléportation ? Je propose qu’une fois qu’on aura mis ce point à terme. Nous nous préparons Dame Mélisi et moi-même et nous partirons dans l’heure à moins que vous ayez besoin de temps pour vous, Dame Mélisi. »
Adamante se retourna à son tour, et croisa les bras devant ses seins. Elle savait que Fania était en train de mouiller. Ses sens étaient affinés par la magie, et elle s’était entraînée à percevoir ce genre de choses, trouvant amusant (et excitant) de savoir qui était en train de bander ou de mouiller en s’adressant à la Reine. Il fallait bien l’admettre : Elena était d’une grande beauté. Faisant plus vieille que son âge réel, ses magnifiques yeux vairons lui donnaient un air magique... Ça, en plus de ses beaux cheveux, de ses superbes joues, et de ses belles lèvres raffinées qu’on aimerait qu’embrasser fermement.
«
La téléportation à deux est toujours risquée, Chevalier Lacour. Nous prendrons un miroir magique pour nous amener dans les quartiers du magicien se trouvant auprès du duc d’Entwood, et, de là, nous emprunterons des chevaux. »
Les attaques recensées par les rapports avaient principalement eu lieu sur les rivages du duché d’Entwood. Le duc d’Entwood, comme bien des ducs, des barons, ou des comtes, avait un conseiller magique, et Adamante était en contact avec lui. Se téléporter sans l’assistance d’un objet, comme un miroir magique, revenait techniquement à
transplaner. Adamante savait le fait, mais le transplanage était très risqué, surtout avec une autre personne. Si on ne réussissait pas son sort à la perfection, on pouvait ne transplaner qu’une partie de son corps, et il suffisait d’une variation de quelques minuscules millimètres pour que le corps se retrouve partiellement explosé en heurtant une surface solide. Les livres et les manuels magiques recelaient d’anecdotes sur des apprentis magiciens qui s’étaient retrouvés avec un bras encastré dans le mur. Leur bras avait littéralement explosé sur place, ce qui expliquait pourquoi la technique de la transplanage était réservée aux apprentis les plus avancés. Elle était fermement déconseillée sur de grandes distances, car il fallait avoir une représentation visuelle parfaite de la zone de réception pour ne pas mourir prématurément. Adamante ne voulait prendre aucun risque.
«
Par conséquent, je pense que le mieux est que je vous montre comment ce miroir fonctionne... Nous pourrons partir dans la journée, sauf si Sa Majesté souhaite mon assistance pour quelque chose... -
Non, porter secours aux vassaux de la Couronne est une priorité absolue. »
Elena se releva alors, et marcha vers les deux femmes, puis sourit à l’attention de Fania, un sourire plein d’innocence. La jeune Nexusienne était inquiète. Ces histoires de pillage instauraient en elle un mauvais pressentiment, comme s’il y avait quelque chose d’autre derrière, quelque chose de bien plus dangereux que de simples pillards.
«
Prenez soin de vous, Chevalier Lacour, et sachez bien que tous mes vœux de bonheur vous accompagnent dans cette mission... Et toi aussi, Adamante. »
Adamante lui sourit, et sa main alla caresser la joue d’Elena, cette fois.
«
Ne t’en fais pas pour moi, Elena. »
Elena se pinça les lèvres, et, sans prévenir, aller se ruer dans les bras d’Adamante, optant pour un câlin aussi inattendu que surprenant... Et assez déplacé pour Langley, qui grognait sur place.
«
Je veux que tu reviennes ! -
J’ai l’un des meilleurs chevaliers de la Couronne pour me protéger, il ne m’arrivera rien. »
Adamante lui caressait les cheveux, et Elena se retira, puis, prenant conscience que ce geste d’affection pouvait paraître déplacé devant une invitée, sentit ses joues rosir poliment. Langley choisit ce moment pour intervenir, de sa voix forte et bourrue :
«
Pas d’héroïsme impromptu ! Entwood dispose d’une bonne armée, et, si besoin est, la capitale pourra envoyer en quelques jours des renforts supplémentaires. Votre ordre de mission consiste à obtenir des informations, pas à vous lancer dans une vendetta personnelle. »
Il estimait nécessaire de rappeler cet objectif, afin d’éviter les débordements héroïques malvenus.
CHÂTEAU DISCORDIA
«
Il y a des évolutions positives. Herzeleid est prête à nous aider le moment venu, et nous disposons maintenant d’un joker au sein de Sylvandell qui, toujours le moment venu, pourra s’avérer d’une précieuse aide. Êtes-vous prêt, Farson ? -
Les endoctrinements continuent, et les rangs de l’Affiliation grimpent de plus en plus. Je tiendrais les délais, comme je l’ai garanti. »
Ils étaient dans la salle du Trône de Discordia... Un trône vide, car le Roi ne siégeait plus dans ce fort. À la place, ils avaient son chambellan, son bras droit... Le
Magicien. Il portait une énigmatique robe. De loin, elle semblait noire, mais, quand on se rapprochait, on pouvait voir qu’il y avait plusieurs variations de couleurs. Elle devenait verte, puis bleue, ou d’un rouge carmin. Le Magicien avait bien des noms, bien des appellations, et aucun des deux ne connaissait sa véritable identité... Une identité qui, de toute manière, n’aurait eu aucune importance.
«
Formidable, formidable, lâcha-t-il, sur un ton empreint d’ironie.
Quant à vous, Finch ? -
Les cobayes du réseau de Farson et les sujets d’expérience ne manquent pas, fort heureusement. Tout se déroule bien de ce point de vue, la machine est bien rodée. »
Le Magicien restait debout, sans rien dire, hochant lentement la tête. Sa capuche était relevée, mais elle n’empêchait pas de voir son visage, de voir les longs cheveux noirs bruns qui filaient en cascade dans son dos, ou de voir le sourire satisfait qui étirait son visage. Il se mit à marcher lentement.
«
Alors, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, c’est ça ? Dans ce cas, mes amis, pourquoi est-ce que je vous sens si tracassé ? Pourquoi est-ce que je vois ici et là des inconsistances ? »
Farson aurait tué n’importe qui lui ayant parlé sur ce dos, et il en allait de même pour Finch... Mais les deux savaient qui était sous cette capuche, et que cet homme-là leur était inaccessible. Ce n’était que grâce à sa magie qu’ils n’étaient pas affectés par la Discorde du Roi... Ou alors, parce qu’ils étaient eux-mêmes déjà suffisamment fous comme ça, et que plus rien ne pouvait les perturber, car ils étaient déjà corrompus.
«
Ici et là, Farson, des gens traquent l’Affiliation. Vos réseaux ne sont plus inconnus... Quant à vous, Finch, votre incompétence notoire à stopper les élans de la petite Reine l’ont amené à agir. Il est très mécontent. -
À agir ? Qu’est-ce que vous voulez dire par là ? »
Le Magicien leur tournait le dos, sans rien dire. Le Roi n’intervenait jamais pour ce genre d’affaires, déléguant les tâches subalternes au Magicien... Et c’était là encore une bonne chose, car l’intervention du Roi n’était jamais une bonne chose pour ses subordonnés.
«
Il a rappelé la Chasse Sauvage, et l’a lâché sur Nexus. Nous ne pouvons pas permettre que la Reine réunisse son troupeau. Il ne le veut pas, et je suppose que vous comprendrez bien vite qu’il n’est pas dans notre intérêt d’aller contre sa volonté, n’est-ce pas ? Ou de continuer encore à le décevoir... »
Farson soupira légèrement en croisant les bras.
«
Ne me parlez pas comme à un vulgaire marchand de poissons, Flagg, ou... »
Flagg ouvrit la paume de sa main, et une lueur rouge en jaillit. Farson poussa un hurlement de douleur en sentant ses tympans se mettre à exploser. Toutes ses veines se mirent à saillir de son corps, et il tomba à genoux, en poussant des hurlements de douleur.
«
Alors, parlez à LUI, Farson ! Justifiez votre incompétence devant LUI ! Exprimez-vous donc !! »
Dans la paume de Flagg, brûlait l’
Œil du Roi Cramoisi, et sa magie infernale se mettait à jaillir par ce biais. La Discorde explosait, et du sang jaillissait des narines de Farson, le long de ses lèvres, filant sur le sol par les ouvertures dans son masque. Flagg ferma le poing, mais le «
Good Man » restait prostré au sol, épuisé, le corps tremblant.
«
Ce que le Roi donne, le Roi peut le reprendre. Gardez-vous bien de ne jamais ignorer cette leçon. »
Farson venait, en tout cas, de s’en souvenir.