Overdose [Shenji]

« Arrête de te débattre, salope ! »

La gifle claqua sur sa joue, et Amélie, dans un hurlement de douleur, tomba sur le sol. Elle se mit à ramper, mais elle était face à des gars solides, et elle regrettait de ne pas avoir attendu Zetsu. Il aurait pu la protéger en brandissant son Uzi. Une arme déchargée, certes, mais, quand on avait un flingue face à vous, ça faisait toujours son petit effet. Bien plus, en tout cas, qu’une jeune fille effrayée qui courait à toute allure.

Il faisait nuit, et Amélie avait été acheter un fix’. Zetsu avait trouvé un peu de pécule, et lui avait filé son argent de poche. Elle, elle était en manque, comme une camée, et avait été voir un dealer, à un coin habituel. Il lui avait filé de la came, et elle avait commencé à s’en enfiler, se sentant bien mieux. Ses lèvres ne tremblaient plus quand le jus se déversa en elle, et elle ne se sentait plus obnubilée, commençant à ressentir un calme certain s’emparer de sa tête, alors que, sous l’effet de la coke, son passé tonitruant s’effritait peu à peu, s’effaçant joyeusement. Malheureusement, elle n’avait pas eu de chance, car, en zonant, son corps avait attiré le regard de trois personnes, qui s’étaient alors rapprochés lentement d’elle, afin de la violer. L’un d’eux portait une barre à mine, et la faisait frotter contre le mur, tapant parfois contre ce dernier, afin d’apprécier la proie. Comme ils s’y attendaient, Amélie s’était mise à courir, appelant vainement à l’aide. Soit personne ne l’entendait, soit personne ne voulait l’entendre.

La Toussaint était le quartier historique de Seikusu, une succession de petites rues pavées, où il était facile de se perdre, et où les touristes ne traînaient pas. La police passait récemment, et, en réalité, tomber sur les flics n’aurait pas vraiment arrangé les affaires d’Amélie, qui n’avait pas spécialement d’avoir affaire à eux. Elle courait donc, rapidement, paniquée, mais ses agresseurs se rapprochaient. Ils finirent par la serrer dans une ruelle, lui hurlant dessus, et, comme Amélie se débattait, elle se reçut une gifle qui l’envoya se rétamer sur le sol.

Là, Amélie gisait, se tenant la joue en gémissant. Cette dernière brûlait, et les hommes ricanaient à côté d’elle.

« Une putain de camée...
 -  Elle ne se souviendra même pas de nous, regarde comme elle est fringuée, une vraie pute... »

Ils savaient que c’était une étrangère, et ceci les excitait encore plus. L’un des hommes déboutonna son jean, et, tandis qu’un autre soulevait Amélie, qui pleurait silencieusement, elle vit la verge de l’homme poindre de ses vêtements. On tira alors Amélie par les cheveux, et cette dernière gémit... Son regard se redressa, et elle corisa celui de l’homme qui venait d’exhiber son zob’. Il se plaça devant elle, sortant de ses affaires le tranchant froid et meurtrier d’un couteau à cran d’arrêt, et caressa la joue d’Amélie avec cette arme.

« ’Faut que tu comprennes que j’aurais aucune hésitation à t’égorger comme un porc, salope de gaijin. De base, tu vois, j’aime pas beaucoup les étrangers, tu vois, alors quand, en plus, les étrangers sont des salopes de camées, ça me donne encore moins envie d’être tolérant, tu vois ? »

Il parlait en japonais, et Amélie ne comprenait pas grand-chose, si ce n’est que ce type avait l’air dérangé. On continuait à tirer ses cheveux en arrière, et elle sentait la lame glisser sur sa joue. Ces tarés allaient la violer, probablement la torturer... Et il n’y avait aucun super-héros pour la sauver. Amélie essayait de trouver une sortie, mais, avec son esprit embrumé par la coke, réagir n’était pas difficile. Ceci sembla donner une idée à l’homme, car il sortit de ses affaires une aiguille, et la planta dans la nuque d’Amélie, qui gémit silencieusement.

« Là, là, reprit-il, avec ça, tu vas te détendre... »

On relâcha Amélie, qui sentait sa tête lui tourner. Elle éternua en posant une main sur le sol, et un pied se logea dans son ventre. Elle sentit la douleur, mais c’était comme si cette dernière venait de loin. On venait de sévèrement la droguer, et elle se retrouva couchée sur le dos. L’un des hommes posa ses mains sur ses vêtements, et déchira son haut, dévoilant rapidement ses seins, puis celui avec le sexe à l’air se rapprocha. Pour Amélie, tout était flou, mais elle sentit malgré tout quelque chose remuer sur son corps, à hauteur de ses seins.

L’homme était en train de lui pisser dessus, et un autre tirait sur son minishort, dévoilant son string rose, avec la ferme intention de la violer. Et Amélie, elle, planait littéralement, voyant les anges se rapprocher.

Minuit, l’heure du crime. C’était dans quoi, ça, déjà ? Bah ! Aucune importance, de toute façon il n’était pas minuit. Pas encore. Mais la nuit était déjà tombée. Depuis un moment, d’ailleurs. On approchait de l’heure des voyous. Par voyous, il faut entendre les voleurs, les violeurs (une lettre de différence, mais c’est pas du tout la même chose), les dealeurs, les agresseurs…plein de trucs en -eurs, en fait. Mais que des personnes pas très recommandables, voire pas du tout, au final.

Et au milieu de tout ça, il y avait Shenji. Non, Shenji ne fait pas partie des catégories mentionnées ci-dessus. C’est un gentil garçon, qu’on pourrait classer Neutre Bon si on était dans Donjons&Dragons. Mais on n’est pas dans Donjons&Dragons, alors il n’est pas Neutre Bon. Juste un gentil garçon. Et très serviable, aussi. C’est la raison pour laquelle il était dehors à cette heure aberrante. Son père lui avait demandé un service, et il n’avait pas pu refuser, parce qu’il ne refuse jamais de rendre service, et encore moins à son père.

« J’espère juste que je ne vais pas tomber sur des tarés… »

Il avait tout de même pris certaines précautions avant de sortir. Ainsi, sous son manteau, l’adolescent avait un livre. Son Livre. Celui dans lequel étaient contenus ses sortilèges. Sa seule arme contre…tout, en fait. Il ne savait pas se battre. Et du coup, le Livre, c’était son seul moyen de se défendre. Shenji pensait d’ailleurs que c’était une divinité qui le lui avait envoyé quand il était arrivé à Terra pour la première fois.

Mais revenons à notre trame principale ! Pour l’instant il était sur Terre, avec son Livre bien caché sous son manteau au cas où il aurait à se défendre. Et il marchait dans les rues, assez vite mais pas trop non plus pour éviter d’attirer l’attention sur lui.

« […]ope de gaijin. De base, tu vois, j’aime pas beaucoup les étrangers, tu vois, alors quand, en plus, les étrangers sont des salopes de camées, ça me donne encore moins envie d’être tolérant, tu vois ? »

Et bim ! Shenji pila net en entendant ces paroles. Il se plaça dos contre un mur et passa discrètement la tête pour voir ce qu’il se passait dans la rue d’à côté. Comme dans les films ! Et, encore comme dans les films, ce qu’il vit lui arracha une grimace de dégoût mêlé de colère. Il serra les poings.

« Là, là, avec ça, tu vas te détendre... »

Cette fille venait de se faire droguer ! Cet enfoiré l’avait droguée, et maintenant il… Shenji voulait se jeter sur ces hommes et les étrangler de ses propres mains, mais il savait qu’il n’avait aucune chance contre eux. C’est alors qu’il se souvint du Livre, qu’il tenait contre lui… Il surgit de sa cachette et tendit un bras devant lui, criant :

« Par les ailes du Phénix ! »

Oui, c’est tout sauf discret, mais la colère aidant, il avait juste envie de leur faire peur, quelles qu’en soit les conséquences. Et les flammes bleues apparurent dans son dos, changeant de forme pour fuser vers les trois hommes.

Indifférente à ce qui l’entourait, Amélie planait lentement, dans un autre monde. Elle savait qu’on allait la violer, l’humilier, la battre, mais... Elle ne pouvait rien faire. Toute son énergie était diluée dans cette dope que le Japonais avait planté en elle. La drogue l’empêchait de réfléchir, de se concentrer, d’analyser objectivement et calmement ce qui l’entourait. Elle était ailleurs, tout simplement. Ailleurs... Et en même temps là. On l’humiliait, elle les entendait rire, elle voyait leurs visages grotesques, déformés par le feu, des grimaces démoniaques, des yeux malfaisants, qui semblaient être faits de braise. Elle ne voyait pas ce qui se passait, et elle ne vit donc pas la ruelle s’enflammer. Quand Shenji utilisa son Livre pour créer un Phénix de feu, les trois lascars ne restèrent pas là. Ils virent des flammes bleues fondre sur eux, et poussèrent des hurlements paniqués, en relâchant Amélie, qui resta sur le sol.

*Oh, des anges bleus...*

Elle eut conscience d’être en train d’éternuer, mais c’était comme si un voile la recouvrait. Elle planait. Ailleurs. Elle rêvait d’un autre monde. Le plus sûr était de la conduire vers un centre de désintoxication.

« Ohlàlà... », marmonna-t-elle.

Elle parvint à se redresser, mais la lumière l’agressait, et, quand elle avait vu les anges bleus (mais qu’est-ce que des saloperies d’anges bleus fichaient à Seikusu ?), elle avait fermé les yeux, agressée par cette explosion de lumières orgasmiques. Un trip’ psychédélique, voilà ce qu’elle vivait. Tout était déformé, les distances, les formes, la sensation de chaleur ou de froid. Elle se releva, tituba, et ne put en réalité que redresser les chevilles, avant de lamentablement s’écrouler sur le sol.

« Aïe !! Oooooooohh... Aaaaaahhhhh... »

Amélie secoua la tête. La jeune femme continuait à planer, à errer dans un monde meilleur. Elle ne savait plus où elle était, elle ne reconnaissait plus rien, que ce soit les distances, les mouvements, les formes, ou les apparences. Tout était flou et indistinct, dangereux et agressif. Où étaient passé les anges ? Elle ne les voyait plus. Amélie toussa à nouveau, sentant une envie de vomir lui traverser le corps. Elle la repoussa. La lumière continuait à la piquer, à lui exploser la rétine comme si on la bombardait d’UV.

« Bordel... T’en as trop pris, gros... » gémit-elle en français.

Elle savait ce qui lui arrivait, mais elle n’arrivait plus à mettre un nom dessus. Son esprit était disloqué de part en part, filant dans tous les sens, fragmenté comme l’Archipel japonais.

Elle avait besoin qu’on la sèvre. Rapidement.

Bon, il avait réussi à les faire fuir, c’était déjà ça. Les trois enfoirés n’avaient pas insisté et s’étaient fait la malle sans demander leur reste. Shenji lâcha un soupir de soulagement et s’approcha de la demoiselle. Elle récupérait de…euh…il ne savait pas trop quoi. Ah si, probablement le fait d’avoir été droguée. Et puis apparemment ils n’avaient pas lésiné sur la dose ! Il s’accroupit auprès d’elle, inquiet.

« Ça va aller, mademoiselle ? »

Elle était complètement shootée, la pauvre. Et quelque chose disait à Shenji que tout n’était pas lié à ces enflures…

« Bordel... T’en as trop pris, gros... »

Il ne comprit pas. Elle avait parlé, et l’adolescent était même certain qu’elle avait articulé, mais ses paroles étaient incompréhensibles. Etait-ce une autre langue ? Shenji connaissait un peu l’anglais, mais ce n’en était pas, il en était certain. Ça y ressemblait mais ce n’était pas de l’anglais.

« Eh, ça va ? »

Il n’avait pas la moindre idée de comment il était censé réagir. C’était la première fois qu’il rencontrait une vraie droguée, d’habitude c’était juste des cinglés qui essayaient une nouvelle drogue de temps en temps, juste pour voir ce que ça fait. Mais là, cette fille avait dépassé ce stade depuis bien longtemps, ça crevait les yeux.

« Est-ce que tu comprends quand je parle ? »

Bonne question. Etrangère et dans les vapes à cause de la drogue, deux raisons de ne rien comprendre. Mais peut-être qu’il avait de la chance. Allez savoir… En tout cas elle avait vraiment besoin d’aide, même s’il ne savait pas quoi faire.

Amélie n’allait pas bien... Tout en allant merveilleusement bien. Dans les tréfonds de son esprit, elle savait qu’elle était sur la corde raide, que la drogue que ces types avaient injectée était lourde. Elle en avait trop dans les veines, mais, tout en sachant cela, elle se sentait être complètement en train de planer. C’était à la fois terrible et effrayant. Si elle allait mourir, alors, au moins, elle mourrait euphorique. La petite voix dans sa tête qui lui disait de ne pas se laisser aller était faible, presque inexistante, ressemblant de plus en plus à l’écho lointain et silencieux d’un murmure. La jeune femme planait, mais perçut alors, dans son champ de vision, une forme approcher, et lui parler. Elle ne comprit pas un traître mot de ce que l’individu lui disait, ni même ne vit clairement son visage. Quand elle ouvrait les yeux, on pouvait voir ses pupilles dilatées. Elle devait se forcer, et essaya de se relever. Ses jambes lui semblaient être faites en coton, et, sans savoir pourquoi, elle trouvait cette idée drôle.

*Du coton... Comme deux cotons tiges...*

La jeune femme se retourna, et se mit alors à éternuer... Puis vomit. Ses tripes remontèrent depuis les profondeurs de son estomac, et elle cracha une substance informe sur le sol, avant de s’appuyer sur une barre.

« Haaa... »

Ressemblant à une alcoolique complètement ivre, Amélie parvint à se mettre debout, mais le sol… Le sol présentait des circonférences inattendues. Elle se sentait tituber, et manqua à nouveau tomber, s’appuyant contre le mur.

« Oulà-oulà... Hemm... »

Sa tête bourdonnait, et elle manqua à nouveau tomber. L’euphorie s’accompagnait de l’impression qu’une tronçonneuse lui ouvrait la cervelle en deux. Amélie ne parvenait pas à ouvrir les yeux. Tout était aveuglant, hypnotique, comme si elle était au Paradis. Tout flottait dans sa tête. Elle tituba à nouveau, et s’affala sur l’homme, s’appuyant contre ses épaules.

« Oooops, sooooooooooooooorryyyyyyyyyyyyy !! »

Elle s’esclaffa, et tituba à nouveau. Ses entrailles lui remontèrent à nouveau dans la gorge, et elle se mit à nouveau à vomir... Et glissa ensuite sur son propre vomi. Le sol l’agressait, et elle n’osait pas le regarder, car il était rempli de monstres qui le faisaient se déplacer, créant des dômes et des glissements de terrains. Même les murs des immeubles lui faisaient de l’œil, semblant la menacer de l’engloutir si elle ne marchait pas droit, si elle ne rentrait pas dans le rang.

Amélie glissa donc sur sa flaque, et tomba sur le sol... Mais, cette fois-ci, elle ne se réveilla pas.

« Haaaa... »

Elle voulait dire que les étoiles étaient belles ce soir, mais, tout ce qu’elle put faire, ce fut éternuer... Éternuer, et s’écrouler.

Amélie tomba dans le coma.

Une sacrée overdose… La fille était dans un état déplorable, et Shenji ne savait pas du tout comment réagir. Elle tenta de se lever, vomit, s’étala, et répéta ces trois étapes. Sauf qu’ensuite elle ne se releva plus.

« Haaaa... »

Ces dernières paroles firent comprendre à l’adolescent que ça n’allait vraiment pas du tout. Et encore, c’est un euphémisme. Il commençait à s’inquiéter de plus en plus, jusqu’à finir complètement paniqué.

« Merde… Je fais quoi, moi ? »

Il regarda autour de lui, espérant voir quelqu’un qui pourrait l’aider. Il ne savait pas quoi faire, il n’était pas habitué à ce genre de situation, lui son truc c’était les combats contre des sales types et des monstres, pas la gestion de droguées en overdose !

« Et bien sûr j’ai pas mon portable sur moi, fait chier… »

Il avait fait la connerie de laisser son portable sur sa table de nuit, évidemment. Impossible donc d’appeler à l’aide, et il n’était pas non plus envisageable de compter sur la bonté d’un passant, à cette heure-ci il n’y avait que des gars comme ceux qu’il avait fait fuir. Shenji était complètement perdu.

« Pourquoi c’est à moi que ça arrive ? gémit-il. Pourquoi ça me tombe dessus ? »

Il pensa alors à son Livre. Pourquoi est-ce qu’il y pensait maintenant ? Il n’y avait aucune formule là-dedans qui pourrait l’aider ! Sauf que la dernière fois qu’il avait voulu regarder le Livre, c’était parce qu’une nouvelle formule venait d’y apparaître… Il l’ouvrit donc et chercha frénétiquement la bonne page. Qu’il trouva rapidement.

« Par les plumes du homa… »

Aussitôt, une lueur bleu pâle apparut sur sa main droite et alla entourer la fille. Shenji ne savait pas ce qu’était ce homa, mais il savait, grâce à la magie du Livre, que le sortilège allait éliminer toutes les drogues qu’elle avait dans le corps. Mais ça ne suffirait probablement pas.

Quand la lumière s’éteignit, il avait eu le temps de réfléchir. L’hôpital. Il fallait l’amener à l’hôpital. Avec le peu de force qu’il avait dans ses bras il souleva la fille et la porta là où on pourrait la soigner. En remerciant silencieusement le Livre de l’avoir aidé.

« Marre, j’en ai marre ! Sales, vous êtes si piants ! Enfants indignes, vous croyez que c’est comme ça qu’on s’en sortira, hein ? Vous êtes des cochons, peut-être ?! Ça vous plaît, de vous rouler dans la boue !! Hein, ça vous plaît, ça vous plaît ?! Hein ? HEIN ?! »

Maman, tu nous fais mal...Maman, ne frotte pas si fort, on ne voulait pas te faire du mal, et on déteste quand tu cries... On déteste quand tu hausses le ton, on déteste quand tu nous hurles dessus, car tu nous fais peur, et parce qu’on se sent malheureux. Maman, on est pas des mauvais gosses, tu sais, on est juste des gosses, quoi. Maman, tu fais si mal quand tu nous frottes.Pourquoi tu ne tournes pas l’eau de la douche pour nous nettoyer ? On est sales, mais on ne faisait que jouer, Maman !

« Silence, silence, SILENCE !! Arrêtez de chialer, PUTAIN, arrêtez !! Arrête de chialer, ou je t’en colle une, et, là, crois-moi, t’auras des raisons de gueuler, sale gosse ! Quand je pense à tout le mal que je me donne pour vous nourrir, quand je pense à tous mes sacrifices... Et tout ça pour quoi ? Tout ça pour quoi ?! Pour de sales morbacs qui préfèrent se rouler dans la terre. Ça vous amuse d’avoir d’la merde sur le cul, hein ? Ça vous amuse, HEIN ?! »

On pleurait, on ne pouvait pas s’en empêcher, et elle, ça l’énervait. Tu ne le savais pas, à cette époque-là, mais elle était grave en manque... Et, maintenant que tu es à sa place, tu sais qu’un junkie en manque, ça peut facilement avoir tendance à péter les plombs et à frapper tout ce qui bouge. Mais qu’est-ce que t’en savais à l’époque, hein ? T’étais qu’une pauvre morbac, une sale gamine qui pleurait quand sa mère haussait le ton, et t’avais fait que suivre Christophe et Daniel. Pourquoi Maman était-elle autant en colère ? C’était elle qui nous avait dit de jouer dehors !

Elle nous trouvait sales, indisciplinés, et elle nous montra ce que ça faisait d’être des cochons, de se rouler dans la merde et la crasse. Elle nous frotta avec autre chose que de l’eau ou du savon... Avec une matière collante et brune, et, plus on pleurait, parce que ça collait, parce que ça piquait, et parce que ça puait, et plus elle nous tapait sur le bord des fesses, en nous hurlant de la fermer. Tu fumes pour oublier, mais, dans les rêves, on ne peut pas se cacher.

Une chance que tu ne t’en rappelles pas, hein ?


« Aouch... »

Elle revint à elle, et sentit que quelqu’un l’aidait à marcher. Elle titubait un peu, et se débattit, se libérant de l’emprise de cet individu. Le monde devint fou, la gravité lui joua un mauvais tour, et Amélie s’affala lamentablement sur le sol.

« Aaahh !! Mais c’est quoi ce bordel, putain ?! » jura-t-elle en français.

Elle secoua la tête, et se releva. En voyant un homme près d’elle, elle tendit une main en s’écartant subitement, et son dos heurta le mur.

« Woow, woow, woow, qu’est-ce que je fous là, moi ?! »

Elle regarda autour d’elle, en clignant des yeux. Il faisait nuit, et un lampadaire vint lui exploser la rétine. Elle secoua la tête, clignant des yeux, et constata qu’il faisait nuit, qu’elle était visiblement toujours dans la Toussaint, et face à un jeune garçon qu’elle ne connaissait pas... Elle avait mal à la tête aussi, et, en portant sa main à son front, elle constata alors qu’elle n’avait plus sa casquette. Amélie regarda nerveusement autour d’elle, et finit par la voir, dans un coin. Elle s’empressa de se baisser pour la ramasser, et la vissa à nouveau sur son crâne.

Amélie regarda ensuite ce type, et fronça les sourcils. Sa mémoire lui jouait des tours. Qu’est-ce qu’elle fichait ici ? Elle se rappelait de sales types qui essayaient de les poursuivre, mais ce gars-là n’avait pas l’air dangereux.

« Euh... T’es qui ? » demanda-t-elle tout simplement, en anglais.

C’était le meilleur moyen pour entamer la conversation, non ?

Après quelques mètres la fille se réveilla. Et son premier réflexe fut de s’écarter de Shenji, ce qui provoqua sa chute au sol, avec une autre phrase dans cette langue bizarre. L’adolescent tendit la main pour l’aider à se relever, lui parlant doucement :

« Calme-toi, tu n’es pas en… »

Il n’eut pas le temps finir, elle reculait déjà et heurta bientôt le mur.

« Woow, woow, woow, qu’est-ce que je fous là, moi ?! »

Il soupira. Si elle continuait à parler cette langue ça allait lui jouer des tours, et pas que cette nuit. Il s’accroupit devant elle, faisant tout son possible pour ne pas paraître menaçant. Il attendit d’abord qu’elle finisse d’observer les alentours. Puis il commença à se demander comment il allait s’en sortir avec cette étrangère. Heureusement, elle trouva elle-même une solution en demandant, en anglais :

« Euh... T’es qui ? »

Bingo ! Shenji sourit, soulagé qu’elle parle anglais, la seule langue qu’il connaissait en dehors du japonais. Bon, il avait quand même un accent assez prononcé, mais au moins il restait compréhensible quand il parlait.

« Je m’appelle Shenji. Je t'ai aidée plus tôt [earlier]. Ne bouge pas trop, tu es encore…euh…trop fatiguée. »

Mauvais mot, mais il ne connaissait pas le bon alors elle devrait s’en contenter.

« Et toi, c’est quoi ton nom ? »

Puisque la conversation était lancée, autant y mettre les formes, même si l’anglais de l’adolescent avait sûrement de quoi faire rire. Mais c’était toujours mieux que de parler japonais avec le risque qu’elle n’y comprenne rien du tout. Tiens d’ailleurs, qu’est-ce qu’elle pouvait bien faire au Japon, dans ce cas ? Autant s’en assurer c’était louche :

« Est-ce que tu comprends le japonais ? C’est plus facile pour moi tu sais… » expliqua-t-il, en anglais toujours, avec un petit sourire gêné.

Amélie papillonnait des yeux, la panique laissant peu à peu place à des sentiments moins extrêmes, au fur et à mesure que la mémoire lui revenait sur sa présence ici. Elle s’était achetée un fix’, et des types l’avaient traqué, et, et... Tout était encore légèrement confus, mais Amélie faisait de sérieux efforts de mémoire pour faire le vide dans sa tête, et ainsi pouvoir se souvenir, avec plus ou moins d’exactitude, de ce qui lui était arrivé. Malheureusement, son cerveau était encore embrumé, mais, ce dont elle était sûre, c’est qu’elle n’avait jamais vu le blondinet se tenant devant elle. Est-ce qu’il voulait la violer ? Instinctivement, elle aurait opté pour la négative, mais Amélie avait du mal à faire confiance aux étrangers. Elle était instruite, elle regardait la télévision, et elle savait que les choses n’étaient pas forcément ce qu’elles semblaient être. Cependant, elle avait du mal à se dire que ce type lui voulait du mal. Il lui répondit dans un anglais hésitant. La Française restait sur les défensives, et elle se félicitait de n’avoir jamais dormi en cours d’anglais. La faute en revenait à la traduction française pourrie des séries télés et des films. Elle avait voulu apprendre l’anglais, quand elle était encore à Paris, pour pouvoir regarder les séries en VO sans problème. Quand Amélie se motivait à faire quelque chose, elle s’en sortait plutôt bien.

L’homme se présenta comme s’appelant Shenji, et lui demanda son nom. Après quelques hésitations, Amélie estima qu’il n’y avait aucun mal à lui divulguer cette information :

« Amélie » répliqua-t-elle, prudente.

Elle n’avait rien à perdre à le dire, mais on pouvait encore sentir qu’elle était sur la défensive. Quand on avait son passé, se lier à de nouvelles personnes n’était pas forcément évident.

« Est-ce que tu comprends le japonais ? C’est plus facile pour moi tu sais… »

Elle avait bien compris qu’il avait un peu de mal avec l’anglais. Son accent massacrait encore plus l’anglais que le sien, et elle s’humecta les lèvres, parlant assez peu. Amélie s’écarta du mur.

« Je... Apprend... Parler... Japonais... » s’exprima-t-elle alors, dans un japonais hésitant et trébuchant.

Ce n’était pas particulièrement glorieux. Zetsu l’avait inscrit à des cours du soir qui étaient tenus au lycée Mishima, afin qu’elle apprenne le japonais, mais c’était une langue très difficile, trop difficile par moment. Amélie secoua la tête, et revint à l’anglais. Elle n’était pas encore capable de suivre correctement une conversation en japonais, surtout quand elle avait mal au crâne, et qu’elle avait une saloperie de trou de mémoire. Son dernier souvenir, c’était d’être poursuivi par des malabars, et, ensuite... Et ben, ensuite, elle se retrouvait ici, avec ce type, ce Shenji, qui semblait aussi paumé qu’elle.

« Excuse-moi, reprit-elle en anglais, je... J’suis un peu paumée, là... Tu m’as aidé, c’est ça ? Contre... Contre ces gars qui me poursuivaient ? Putain, j’me souviens genre de rien ! »

Elle secoua la tête, frustrée, énervée contre elle-même. Ne pas se souvenir de ce qui vous était arrivé, c’était flippant, quand même !

« Comment t’as fait pour m’aider ? » reprit-elle alors.

Bon… Elle se méfiait de lui, ce qui était parfaitement compréhensible, mais au moins elle parlait. Une bonne chose, elle avait suffisamment confiance pour lui donner son nom. Shenji eut ensuite la confirmation qu’elle ne parlait pas japonais, en tout cas pas assez bien, et il hocha la tête. Ce serait l’anglais, donc.

« Excuse-moi... J’suis un peu paumée, là... Tu m’as aidée, c’est ça ? Contre... Contre ces gars qui me poursuivaient ? Putain, j’me souviens genre de rien ! »

Pas étonnant qu’elle ne se souvienne pas… Avec sa belle overdose, ça relevait déjà du miracle qu’elle ait un brin de lucidité ! Le Livre était capable de miracles, cela dit…

« Ne t’inquiète pas, la mémoire, c’est compliqué, ça reviendra peut-être… »

Il espérait tout de même qu’elle ne souviendrait pas de comment il les avait fait fuir… Il se voyait mal lui expliquer qu’il était magicien. Non, pas sur Terre ! Elle ne devait surtout pas lui demander…

« Comment t’as fait pour m’aider ? »

… …… Merde. Naaaaan, mais pourquoi est-ce qu’il avait fallu qu’elle pose justement cette question ?! Est-ce qu’elle lisait dans ses pensées ? Shenji grimaça, bien embarrassé. Il fallait qu’il trouve une explication à improviser… Allez, il était mangaka, il devait en avoir en réserve, des explications bidon ! Ben non, il n’en avait aucune.

"Zut de flûte… Je fais quoi moi maintenant ? Je lui dis la vérité en misant sur le fait qu’elle me croira pas ?"

Ben en fait, c’était pas si con que ça, à bien y réfléchir. Et il n’avait pas de meilleure idée. En désespoir de cause, l’adolescent fit donc un petit sourire et un clin d’œil complice à son interlocutrice, volontairement exagéré pour qu’elle ne le croit pas, voire qu’elle le prenne pour un taré.

« Disons que c’est de la magie… C’est un secret, d’accord ? »

Et voilà ! Si elle posait encore des questions, il continuerait de lui dire à peu près la vérité, comme ça elle le croirait de moins en moins.

Tout s’embrouillait dans sa tête. Rien n’était clair, et il y avait un blanc dans ses souvenirs, un trou qu’elle n’arrivait pas à combler. Que lui était-il arrivé pendant ce laps de temps ? Impossible à dire. Amélie secoua lentement la tête. Elle avait une légère migraine, mais elle était suffisamment intelligente pour sentir les différences et les illogismes. Elle avait été attaquée par plusieurs personnes, et son sauveur n’avait pas l’air d’être un sosie de Schwarzenegger. Comment avait-il bien pu faire pour venir à bout de ces types ? Amélie était loin d’être aussi bête que ce qu’on pouvait penser. La preuve la plus flagrante était qu’elle n’aurait pas réussi à survivre au Japon si elle n’était pas douée, et ne maîtrisait pas l’anglais. Elle sentait donc que ce type ne lui disait pas tout. Est-ce qu’il était armé ?

*Raah, putain, je devrais arrêter de me défoncer autant !*

Mais est-ce que c’était elle qui s’était défoncée à ce point, ou eux qui l’avaient surchargé ? Amélie avait connu un trip’ terrible, et elle se savait suffisamment alerte pour éviter de prendre trop de dope d’un coup afin d’éviter l’overdose... Du moins, c’est ce qu’elle pensait. Est-ce qu’elle avait franchi la ligne rouge cette fois ? Dans ce cas, qu’avait-il bien pu se passer pour qu’elle revienne à elle ? Plus la Française retrouvait ses esprits, et plus des questions germaient dans son esprit.

Son mystérieux sauveteur finit par lui donner une réponse... Inattendue :

« Disons que c’est de la magie… C’est un secret, d’accord ? »

De la magie ? Hein ?! Amélie fit de grands yeux, dubitative.

« T’es un... Euh... »

Elle cherchait comment dire le mot « prestidigitateur » en anglais. Malheureusement, ce mot était déjà imprononçable en français, et impossible à écrire d’une seule traite sans faire une faute d’orthographe, alors, en anglais... Fort heureusement, l’anglais avait des logiques linguistiques différentes du français. Si Amélie aimait bien l’anglais, c’est par sa grande souplesse au niveau de l’association des mots et des suffixes. Du moins, c’est comme ça qu’elle se l’expliquait. Même avec un faible vocabulaire, quand on comprenait les ficelles de cette langue, on s’en sortait. Elle réfléchit donc, s’humectant les lèvres, et poursuivit ensuite, toujours en anglais, le japonais lui étant pour l’heure trop obscur :

« Tu as fait un tour de magie pour m’aider ? »

Elle avait utilisé les termes « magical tricks », et poursuivit :

« Des types ont essayé de me droguer... Ce que tu as fait, en tout cas, c’est très courageux. »

Et Amélie était toujours suspecte. Plus elle y pensait, plus elle se disait qu’il devait avoir un flingue avec lui.

Amélie ne savait pas encore que Seikusu réservait ses petites surprises.

Yeah ! Elle mordait à l’hameçon ! Amélie gobait non seulement ledit hameçon, mais avec lui la ligne et le bras du pêcheur ! Euh, non, je m’égare… Bref ! Elle était tombée dans le panneau. En témoignent ses yeux écarquillés et sa phrase abasourdie :

« Tu as fait un tour de magie pour m’aider ? »

Shenji lui adressa un sourire malicieux large comme une tranche de pastèque et hocha vivement la tête.

« Yep ! De la magie pour leur faire peur. Ils n’ont même pas eu le temps de comprendre ce que je faisais ! »

Il était particulièrement fier de lui. Pas pour avoir repoussé les trois gars, ça il avait l’habitude, mais plutôt pour avoir réussi à berner la jeune étrangère. Il était doué avec les mots, mais uniquement à l’écrit. À l’oral, il ne savait pas en faire des armes efficaces. Heureusement ce coup-ci, ça avait marché.

« Des types ont essayé de me droguer... »

Il hocha encore la tête. Il le savait, il était là…

« Ce que tu as fait, en tout cas, c’est très courageux. »

Le sourire de l’adolescent s’élargit, si tant est que c’était encore possible. Il courba légèrement l’échine pour s’incliner. Il faisait souvent ça, et généralement ça mettait les autres mal à l’aise, mais il s’en fichait éperdument.

« Je n’aime pas quand les gens ont des problèmes, alors je les résous. »

Une autre façon de dire qu’il aimait sauver les gens qui avaient besoin d’aide. Ah là là, l’anglais… Il serait peut-être temps que Shenji soit plus participatif en cours ! Mais entre le japonais et la langue terranne, il avait déjà beaucoup à faire côté linguistique, et l’anglais ne le passionnait pas.

« Tu vas mieux ? »

Ben oui, il s’inquiétait quand même un peu pour l’état de santé de son interlocutrice !

Amélie était encore un peu sous le choc. Normal, à bien y réfléchir ; elle venait de frôler la mort, et elle en avait conscience ! De plus, elle ne pouvait pas se départir de l’idée qu’elle avait loupé quelque chose, qu’il y avait une incohérence entre le moment où on l’avait drogué à mort, et celui où elle se tenait, là, en compagnie de cet homme. Elle en savait assez sur les drogues pour savoir qu’on ne guérissait pas comme par enchantement d’une overdose. Non, ça, ça arrivait que dans les films. Amélie savait qu’elle avait été chargée, complètement out. Ce type lui cachait quelque chose. On aurait dit un lycéen, mais... Est-ce qu’un lycéen traînerait seul à une heure pareille, dans un tel quartier ? À moins d’être aussi paumée qu’Amélie, mais elle savait qu’il n’y avait pas tant de fugueurs que ça, et ce bonhomme n’en avait clairement pas les signes. Non, il lui cachait bien quelque chose, mais Amélie ne savait pas quoi. Elle était encore trop récente à Seikusu, et trop imprégnée de la logique occidentale, pour savoir qu’il existait à Seikusu bien des phénomènes paranormaux.

Le jeune homme se contenta de dire qu’il était un chevalier servant, ce qui, naturellement, éveilla les soupçons d’Amélie. Elle était suffisamment bien éduquée et connaisseuse du monde pour savoir que les chevaliers servants n’existaient que dans les contes, mais, avec le sourire un peu naïf et enfantin de ce type, Amélie se demandait s’il n’y avait pas une part de vérité là-dedans... En tout état de cause, elle était nerveuse. Qui ne le serait pas ?

« Tu vas mieux ? » demanda-t-il alors.

Elle haussa les épaules.

« Je suis en vie, alors... Je suppose que ça va. »

C’était le mieux qu’elle puisse dire. Il se refuserait à parler, elle le sentait... Et elle avait toujours du mal à se dire qu’il y avait quelque chose de spécial ici. Amélie se gratta l’arrière de la tête, regardant autour d’elle.

« Je... Ce n’est pas un quartier sûr ici, on ne devrait pas rester là... »

Autrement dit, Amélie avait envie de foutre le camp, et elle se mit à marcher, accélérant le pas, en suivant des trottoirs déserts. Si certains quartiers de Seikusu étaient constamment animés la nuit, d’autres, comme celui-ci, étaient déserts. Les riverains n’étaient pas particulièrement curieux de savoir ce qui se passait ici.

« Ah, au fait, Shenji, t'es au lycée, non ? »

La Française n’avait pas abandonné l’idée d’espérer en savoir plus sur l’homme. Elle allait creuser l’idée.

Shenji laissa à Amélie le temps de remettre ses idées en place. Il se doutait qu’elle était encore un peu déboussolée, il avait déjà vu des réveils difficiles après des situations plus ou moins compliquées. Certes, jamais une overdose de drogues, mais bon, il y avait parfois une certaine similarité.

« Je suis en vie, alors... Je suppose que ça va. »

Oh, quel pragmatisme. Il en était presque déçu. Il ne s’attendait pas à une explosion de joie et de gratitude, non plus, mais il pensait qu’elle montrerait un peu plus qu’elle était contente de s’en être sortie. Bref ! On s’en fiche, il souriait toujours parce que lui aussi était content.

« Je... Ce n’est pas un quartier sûr ici, on ne devrait pas rester là... »

Elle avait raison, bien sûr. L’adolescent acquiesça vivement, se leva d’un bond et tendit la main pour l’aider à faire de même.

« D’accord, allons-y. »

Il allait sûrement la conduire à l’hôpital, par précaution ou il-ne-savait-trop-quoi. Ça lui permettrait aussi d’appeler son père pour lui expliquer pourquoi il état aussi en retard… En attendant, il fallait effectivement marcher. Shenji ramassa son Livre, qu’il avait bêtement fait tomber en se levant.

« Oui, je suis au lycée… Et toi ? Oh, et puis…tu viens d’où ? »

Il essayait de relancer la conversation pour qu’elle oublie rapidement le Livre. C’est vrai, quoi, c’est pas tous les jours qu’on voit un ado traîner avec un vieux bouquin bleu sans rien sur la couverture, ni titre ni auteur ni même un dessin… Shenji espérait donc que l’étrangère n’avait rien remarqué, ou qu’en tout cas elle n’y ferait pas attention. Il croisait d’ailleurs les doigts et se mordait imperceptiblement les lèvres, confus d’avoir fait cette erreur. Son regard était fixé sur celui d'Amélie, autant par politesse que pour vérifier qu'elle ne regardait pas l'endroit de son manteau où il cachait le Livre.

Le duo se mit à marcher. Amélie connaissait ce quartier, et n’avait plus qu’une envie : retourner chez elle... Ou à ce qui faisait office de « chez elle ». Autrement dit, l’usine désaffectée où elle avait établi, avec Zetsu et Mishi, ses quartiers. Elle n’était pas éloignée d’ici, et elle voulait éviter d’aller à l’hôpital. Elle était une clandestine, après tout, et elle craignait qu’aller à l’hôpital l’amènerait à rencontrer la police... Et à se retrouver dans le premier vol en partance pour Paris. Rien qu’à l’idée de revenir en France, Amélie en tremblait comme une feuille. Oh non, surtout pas ça ! Pour elle, ce serait pire que l’Enfer !

*Pas l’hôpital, pas l’hôpital !* se répétait-elle en boucle dans sa tête.

Elle nota alors la présence d’un mystérieux bouquin, un livre que Shenji s’empressa de dissimuler sous ses vêtements. Un peu surprise par cet empressement, mais n’ayant pas encore les idées très claires, elle ne releva pas ça sur le coup. Tout ce qu’elle voulait, c’était partir d’ici avant que des soucis supplémentaires ne lui tombent dessus. Amélie avançait rapidement, fort peu rassurée, et Shenji répondit à sa question sur le lycée, lui disant qu’il y était, tout en désirant savoir si c’était le cas pour Amélie, et d’où elle venait.

« Je viens de loin », se contenta-elle de dire rapidement, en évitant de croiser son regard.

Amélie n’avait pas envie d’engager la conversation là-dessus. Son passé la regardait, et elle ne souhaitait pas en parler. Pas ce soir. Elle était suffisamment patraque comme ça. Cependant, si elle ne disait rien, il y avait fort à parier que l’adolescent insisterait là-dessus. Avec son accent français, elle était facilement identifiable, et les Japonais adoraient les Français. Paris, la Seine, les bateaux-mouches, le Louvre, et, naturellement, la Tour Eiffel. Ah, la Tour Eiffel ! Amélie se rappelait de ces foules d’étrangers s’agglutinant comme des nuées de sauterelles devant les quatre piliers de la Tour. Elle les voyait en se tenant sur les pelouses du Champ de Mars, mangeant ses sandwichs en se moquant d’eux... Comme toute bonne adolescente qui se respecte.

La Française marchait le long des rues. Parfois, le duo croisait quelques personnes, mais elle évitait de s’enfoncer dans les ruelles. Seikusu était une ville dangereuse, et il y avait pire que les Yakuzas et les dealers dans les ombres. Zetsu lui avait dit de se méfier, et, si Zet’ pouvait parfois être superstitieux, Amélie avait appris à se fier à son avis. Si elle l’écoutait plus souvent, elle n’aurait pas failli mourir tantôt.

« C’est quoi le livre que tu lis ? »

Elle ne s’attendait pas du tout à un livre magique. Elle n’avait pas pu voir la première de couverture. Pour elle, ce n’était qu’une diversion, un moyen d’éviter d’avoir à évoquer son lourd passé.