| << - Sue ? Tu fais quoi, chérie ? - Je .. - Lâche cette clé à molette. >>
Mais maman ! Sue ne dira rien. Elle lève les yeux au ciel et pose la clé à molette sur le sol en se renfrognant. Son nez légèrement en trompette, à la pointe arrondie se redresse pour exprimer son profond mépris pour les paroles de son mère. Elle se recroqueville à même le sol. Y'en a marre ! Elle a un peu plus de douze ans. Elle jette un nouveau regard à sa mère qui soupire.
<< - Ce n'est pas pour faire ça que je t'ai élevée, Sue. Va rejoindre ton frère, allez. - Mais maman, Flitz ne connaît rien en mécanique, ni en ingénierie ou en engrenage ! Il est ennuyeux avec ses livres. - Sue, c'est un ordre ! Va rejoindre ton frère. Je ne veux pas que ni l'un, ni l'autre, vous vous retrouviez dans la situation de votre père. L'Empire m'a déjà volé un mari, il ne me prendra ni ma fille, ni mon fils. Est-ce bien compris, Sue ..? - Hein ? >>
Elle est concentrée sur l'engrenage qu'elle est en train de monter, cherchant à trouver un moyen pour lier les deux engrenages sans les lier par l'acier. Elle tente certains mouvement et rattrape sa clef à molette pour faire rentrer une vis à un endroit clef des deux engrenages. Elle va pour tourner la vis mais sa mère lui enlève le tout des mains avec brutalité. Elle donne une gifle du dos de la main sur la joue de Sue. Sa pommette rougit immédiatement, et de lourdes larmes montent aux yeux de la petite. Elle essaie de rattraper ses engrenages, saute sur ses pieds, ses minces sourcils bruns se fronçant.
<< - Maman, rends moi ça ! J'ai trouvé du Sosciticium, je vais pouvoir faire fonctionner une machine avec ces engrenages ! Je les ai crées toute seule, ne les touche pas ! Il sont fragiles ! - Je t'ai dit non, Sue. Si jamais je te revois essayer quelque chose dans la mécanique de ce pays, je te promets que tu le regretteras. >>
Elle casse les engrenages. Sue reste un instant bloquée alors que les engrenages tombent sur le sol. La réaction ne se fait pas attendre. Sue est quelqu'un de rapide, à l'esprit vif et aux réactions et émotions trop instantanées. Elle ne réfléchit pas. Jamais, même à 19 ans, elle ne réfléchit pas. Ce jour-là, le cri qu'elle lâcha, l'insulte qu'elle lança au nez de sa mère fut trop irréfléchi. Sue se détourne rapidement de sa mère, murmurant avec rage.
<< - De toute manière, tu n'es qu'une pute ! Et tout l'Empire le sait !TOUT L'EMPIRE T'ES PASSE DESSUS ! C'EST COMME CA QUE T'HONORE LA MÉMOIRE DE PAPA ?! SALE GARCE ! >>
Et ce n'est pas une baffe que la jeune fille aux cheveux bicolore se prit dans son minois tendre. Elle ressent soudainement comme un une chaleur brûlante sur sa joue droite. Puis rapidement sur sa joue gauche, puis de nouveau sur sa joue droite, et encore sur sa joue gauche. Et cela encore deux trois fois. Sue tombe en arrière, elle s'étale sur le sol.
<< - Maman, arrête ça ! Arrête, tu vas la blesser ! - Elle ne mérite que ça ! - Maman, arrête. >>
La main de Flitz se pose sur l'épaule de sa mère, calmement, fermement. Les joues de Sue sont écarlates, la trace blanche des doigts de sa mère apparaît sur sa peau douce. Ses cheveux noir et blanc se sont emmêlés, Elle pleure. Ses yeux sont grands ouverts, elle fixe le sol devant elle. Son grand-frère vient poser ses mains sous ses aisselles pour la relever, elle se laisse faire comme un poids mort. Elle ne dit rien, son grand-frère parle, elle n'écoute pas, sa mère continue de parler, Mais elle n'écoute plus rien. Elle n'entend plus rien. Elle a juste posé sa main sur sa joue droite, sans un mot. Sans une moue non plus. Sans un bruit. C'est des sons qui passent dans son cerveau mais ne s'impriment pas, des sons qu'elle ne comprends pas, que son cerveau ne veut pas traiter. Les informations défilent, elle ne les saisit plus. Sue sent les larmes qui glissent lentement sur ses joues brûlantes. Son souffle rapide monte crescendo, sa gorge est nouée, sa poitrine parait vouloir éclater, son cœur tambourine violemment contre sa cage thoracique, ses mains tremblent, sa bouche reste entrouverte. Et le chapelet d'insulte continue, encore et encore. Elle éclate. Elle rattrape les engrenages en morceaux, elle les montres, elle hurle, elle explique, elle donne les raisons, elle les jette de nouveau au sol, Son frère écoute, répond calmement, essaie de faire baisser le ton entre les deux femmes, rattrape la main de sa mère qui retourner gifler la joue de Sue. L'enfant baisse les yeux, ses poings sont fermés. Elle ne dira plus rien. De toute manière, comment sa mère pourrait-elle comprendre qu'elle a une passion ? Que c'est ce qu'il lui plaît ? Non, pour elle, ce n'est rien que la mort de Papa. Mais pourquoi ne pense-t-elle pas que la thermodynamique est bien plus importante que tout ce que Flitz peut lui apprendre dans ces bouquins ?! Non, elle ne peut décidément pas comprendre. C'est quelque chose qui lui passe en dessous. Et sa mère a beau la pousser vers des métiers qui ne sont ni dangereux, ni honteux, elle a beau lui dire d'apprendre à écrire parce qu'à 13 ans, elle doit savoir le faire, Sue ne veut rien entendre.
Elle part. Elle laisse tout tomber, se défaisant brutalement de son frère en se détournant, envoyant sur sa mère le reste des engrenages. Elle dévale les quelques marches qui donnent sur la rue, et disparaît dans la foule. Sa mère soupire et essuie de son pouce la larme qui fait couler son noir. Elle est peut-être une prostituée, mais elle n'a pas d'autre travail. Ce n'est pas sa faute ! Il faut bien qu'elle gagne sa vie et de quoi nourrir ses deux gosses, non ? Certes, Flitz aura bientôt un bagage intellectuel assez élevé pour pouvoir postuler dans des postes à la Cours de l'Empereur, mais en attendant … Elle se sacrifie. Et c'est pour se faire ainsi remercier ? Bien sûr que Sue aime l'ingénierie… Elle est comme son père. Têtue, butée, tête brûlée, rusée mais juste pour ce qui l'intéresse. Quand prendra-t-elle la peine d'apprendre quelque chose d'utile ? Faire la cuisine, coudre, lire, écrire ! Si, elle sait lire … Mais elle écrit comme un enfant. Sa fille est décidément trop dégourdie et lui échappe tout le temps. Elle a les idées claires, elle sait ce qu'elle veut et elle est prête à tout pour l'avoir. Prête à sacrifier sa mère, son frère, sa jeunesse pour vivre sa passion. Elle ne réfléchira donc jamais aux conséquences de ces actes ? Maria passe une main dans ses cheveux, Flitz lui lance un sourire qu'il veut rassurant mais lui-même ne sait pas où est encore aller se fourrer sa sœur cadette. Cette capacité qu'elle a à trouver les problèmes ! On va encore la retrouver noire de suie, à voler un ou deux engrenages comme elle le fait si souvent ! Il paraîtrait que ça s'appelle de la kleptomanie … Il ne manque que ça pour que Sue attire tous les ennuis du monde. Maria agite sa main vers la porte d'entrée, sans un mot. Elle n'a pas envie de parler. Cette engueulade l'a encore fatiguée.
Elle en a marre. Marre de se battre contre sa fille. Sue n'a qu'à faire comme elle veut, comme toujours. Désobéir, c'est dans sa nature. Ne jamais prendre en compte l'autre ! Son égoïsme la tuera. Quand elle sera toute seule avec ses caprices, quand elle n'aura plus personne sur qui compter pour la sortir des pétrins où elle se met, et d'où effectivement, elle arrive quand même à s'échapper, un jour elle regrettera son attitude. Et elle reviendra voir sa mère. Maria se laisse tomber sur la chaise et s'étire. Elle va aller se maquiller… Il est vraiment temps qu'elle se prépare, les autres filles vont avoir pris les plus bonnes places pour faire le tapin. Flitz rattrapera bien sa sœur, à un moment ou à un autre. Lui qui est si proche d'elle. Et ce n'est pas si simple, finalement de la comprendre, cette gamine. Elle parait toujours concentrée sur quelque chose qui échappe aux autres, elle ne répond que par monosyllabe. Elle n'est pas fermée au monde, froide, non ce n'est pas le mot .. Elle est inaccessible. C'est exactement ça. Pourtant, elle est loin d'être cultivée, trop intelligente, ou quoi que ce soit ! Mais pourtant Maria ne peut qu'avouer sa fille reste quelqu'un d'incompréhensible, surtout pour elle. Cette adoration de la "thermodynamique", comme elle appelle ça. Sa passion pour les engrenages, les ballons, les ailes de vapeur ! Peu de femmes s'y intéressent autant. Elle, elle ne vit que pour ça. Elle n'apprit à lire que pour ça, après tout. Il faudra lui expliquer, que la vie, ce n'est pas créer un dirigeable, ou un bateau volant ! La vie, ce n'est pas perdre sa jeunesse et s'user pour mourir bêtement dans les airs comme l'a fait son père. Mais bien sûr, qui est-elle, Maria, pour donner un conseil à sa fille ?
<< - Tu ne veux vraiment pas aller l'arrêter avant qu'elle ne nous ramène encore des problèmes, Flitz ? - J'en ai marre de m'occuper d'elle comme s'il s'agissait d'une enfant, Maman. Elle a bientôt 14 ans, il est temps que tu fasses quelque chose pour la faire rentrer dans une vie normale. - Dis-moi clairement que tu veux la marier ! Mais qui voudrait d'une enfant qui ne sait rien faire ? Vas la chercher, s'il te plaît. - Non, j'ai pas envie. J'en ai vraiment marre … Pourquoi tu ne la punis jamais ? Ca la changerait un peu de ta gentillesse habituelle. - La punir ..? Que veux-tu que je lui fasse ? La seule chose qui lui importe, c'est seulement ses engrenages. Alors, je peux tout tenter, mais elle trouvera encore quelque chose pour créer de l'énergie, ou une merde du genre. Et tu sais combien cela me coute de la battre. Je ne sais toujours pas ce qu'il m'a pris en la giflant de cette manière. J'ai peur qu'elle m'en veuille terriblement .. J'ai honte de m'être emportée de cette manière. Tu as vu la couleur de ses joues ? - Maman … Tu es irrécupérable de gentillesse. Tu sais .. >> Sa voix se baisse un peu, il approche de sa mère et s'agenouille devant elle pour prendre ses deux mains entre les siennes. Elle le regarde, un sourcil haussé, croisant doucement ses jambes sur la chaise. << Je peux m'occuper de la punir un peu. Il est temps qu'elle grandisse. Vraiment temps, Maman. Tu me laisses faire …? - Je .. Si tu veux, après tout. Tu ne vas pas lui faire, mal n'est-ce pas ? Tu restes la figure paternelle que tu as toujours été pour elle. >>
Il ne répondra pas. Se relevant, il posera juste un baiser sur les mains liées de sa mère, un sourire fin et légèrement cruel se dessinant sur ses lèvres. Finalement, il ne fera pas ça tout de suite. Il attendra le bon moment.
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