C’était bien du nord de Nexus qu’était arrivé Lemme... et c’était pourtant au sud de celle-ci qu’il demeurait à présent, sans jamais avoir voulu s’y arrêter. Les bruits qui courraient sur l’incontestée capitale de ce morceau de continent étaient terribles. La réputation sur le sort qui y était fait aux terranides, trop sombre. Le jeune homme n’avait aucune envie de terminer sa vie comme esclave, et aucune envie non-plus d’être dans l’obligation de faire exploser quelques têtes pour empêcher que cela n’arrive. Pensant faire preuve de prudence tout autant que de sagesse, il avait donc choisit de contourner la cité-état par l’ouest.
Il n’avait coupé les rotors de son trotteur que dans des petites villes, incapables d’abriter des commerces d’esclaves importants. Le confort y était, il le supposait, moins important, sans parler de la frugalité des ressources qu’il y avait à disposition. Néanmoins, Lemme était persuadé d’être ainsi plus en sécurité, et parvenait même à trouver son excursion agréable. De plus, les hameaux recelaient parfois de trésors insoupçonnés. C’était dans l’un d’eux, Locmirail, qu’il était arrêté depuis maintenant une semaine.
Locmirail était une ville de seulement deux ou trois cents âmes, ce qui n’en faisait pas un pôle d’importance. De plus, elle ne se trouvait sur aucune route commerciale principale. Les marchands, à moins d’avoir de bonnes raisons de les éviter, préféraient les grands axes, qui leur offraient une qualité de voyage bien supérieure. L’agriculture n’y prenait pas non-plus, car s’il y avait du soleil, l’eau, elle, était rare, et les paysages semi-désertiques. L’origine de la ville avait tenu à une seule chose : la réputation qu’avaient le sol de ses collines d’être incroyablement riches en minerais. Si minerai précieux il y avait eu, il avait été épuisé au moins un siècle avant.
Pour ne rien arranger, la région était considérée comme dangereuse, car proche d’une chaîne de montagnes abruptes. Ces falaises constellées de grottes étaient le repaire de nombreuses tribus terranides très peu dociles, à mille lieux des bêtes serviles vendues sur les marchés. Celles-ci n’hésitaient nullement lorsqu’il s’agissait d’organiser le pillage d’une caravane, sans que leur haine des hommes n’aille toutefois jusqu’à les faire attaquer les villages eux-même. Peut-être était-ce le courage qui leur manquait, ou leur organisation présumée barbare qui leur empêchait de mettre en œuvre des entreprises de plus grande échelle.
Ce n’était bien sûr pas pour la maigre culture de vignes, d’oliviers et pour ses quelques bergers que Lemme était resté aussi longtemps dans le bourg. S’il y demeurait encore, c’était car à un kilomètre de là seulement se dressait une tour habitée par un mage, nommé Sophomyn Gibroltin. Le vieil homme avait récemment eu quelques problèmes d’envergure avec son sanctuaire, il lui en avait parlé, toutefois, tout c’était arrangé peu avant qu’il arrive. C’était un passionné de créatures magiques, qu’il conservait de manière un peu dangereuse dans sa ménagerie personnelle. Le terranide avait ainsi discuté quelques temps avec ce passionnant collègue, qui l’avait généreusement hébergé.
Enfin, la conversation s’était portée sur un sujet qui intéressa au plus haut point le jeune acolyte. Un peu plus au sud, en plein centre de la chaîne de montagne, et donc en plein territoire hostile, demeurait un volcan. Des observations mystiques très sûres révélaient qu’à son sommet résidait une source d’énergie anthracitique phénoménale et extrêmement concentrée : vraisemblablement dans quelques centimètres carrés seulement. L’approche qu’avaient les deux sorciers de la magie était très différente, cependant, tous deux étaient d’accord sur le fait qu’une telle pierre, si elle existait, posséderait des propriétés spectaculaires. Encouragé par son aîné, Lemme avait aussitôt décidé de monter une expédition.
C’était ainsi au matin qu’il avait décidé de rallier Locmirail. Son trotteur garé à côté de l'étable, il entra dans la seule auberge de la ville, baptisée « Chez Pozos ». Elle était constituée d'une pièce unique, avec des tables rondes disséminées un peu partout. Dans le fond, un comptoir tenu par un petit homme, visiblement peu âgé mais ayant déjà une calvitie à un stade avancé. Lemme s'avança, et sentit aussitôt les regards se poser sur lui. Peut-être, songea-t-il, aurait-il du prendre un capuchon pour camoufler ses oreilles. Les gens d'ici ne doivent pas beaucoup aimer les terranides. Je ne peux pas leur en vouloir, ils ont sûrement leurs raisons. Il s'avança vers le propriétaire, et tentant d'ignorer l'attention que la salle portait à sa personne, lui glissa à l'oreille :
« Je viens de la part du mage Gibroltin.
– Ah, beeeeh. Mes respects, alors. Quoi qu'il veut ?
– Je peux passer une annonce ?
– Faut faire comme chez-toi le chat. HEY LES GARS, LE PETIT MONSIEUR IL VEUT PARLER. »
Le tavernier avait beuglé tout en tapant une grosse chope vide sur le bois de son comptoir, ce qui faisait un bruit d'enfer. Lemme sentit la nervosité former une boule dans sa gorge. Il resta une seconde à lancer des regards effarés, tour à tour à celui qui l'avait introduit et aux clients. Finalement il s'exprima d'une voix un peu faible :
« Euh, alors voilà : je viens quérir des personnes intéressées par la recherche d'un objet de pouvoir, non-loin du sommet du volcan que l'on nomme le Soupeur Gris. C'est à l'initiative du mage Gibroltin… c'est payé… »
Inutile que je rajoute qu'il s'agit d'un voyage dangereux. Je pense qu'ils l'ont bien compris. Hum, ça ne paraît pas leur faire beaucoup d'effet. La salle était restée silencieuse un instant, puis les mangeurs s'étaient détournés. Ceux qui semblaient encore attentifs au sujets l'étaient pour des raisons moins agréables. On entendait en effet encore toutes sortes de commentaires, certains ajoutaient « il est complètement taré le Gibroltin », « qui qu'il se prend le vieux con ? », d'autres : « y'a encore UN truc qui explose, jle vire de sa putain de tour moi-même », « les montagnes, c'est bon pour ceux qui veulent se faire bouffer par les terranides. R'garde sa race, moi je pense que c'est un foutu piège ». Il y en avait même un, qui, également accoudé au comptoir, gloussait entre ses dents « miaou miaou miaou » tout en dévisageant le thylacine.
Ce dernier jeta un regard dépité au restaurateur.
« Vous avez de l'eau ?
– C'est que y'a pas beaucoup de mercenaires ici. C'est des gens du pays. Ils suivront pas un terranide en pays terranide. Mais prend du VIN. C'est moins cher que l'eau ici.
– Très bien, d'accord. »
L'homme tendit un verre rempli d'un liquide mauve au voyageur. L'hygiène était douteuse, et Lemme n'était pas très habitué à l'alcool, mais il le prit tout-de-même. Il y trempa ses lèvres, se forçant à ne pas plisser le nez.