Elle s'amusait bien à regarder tout le petit monde. Jolies, les robes très chères. Jolis, les célibataires. Contempler ce spectacle la fit sourire instinctivement, comme une enfant. Elle avait joué à ce jeu tellement de fois. On disait d'elle, dans le milieu, qu'elle était noble. Certaines l'appelaient La Noble, avec un sourire. De la haute-société, elle avait conservée toutes les mimiques. Sa façon d'agir, de tenir sa cigarette, d'ouvrir la bouche pour recracher la fumée, de sourire. Ainsi, c'est de façon tout à fait élégante, droite, le regard dans le vague, ses lèvres souriant parfois timidement, qu'elle se tenait. Au milieu de tous les japonais, pour sûr, on la distinguait bien. Au milieu de ces vieux japonais, surtout. Elle avait oublié que tout le monde n'avait pas vingt ans, à la longue. Certains s'amusaient déjà à la détailler.
L'un d'eux s'approcha. Un petit jeune, le genre qu'elle connaissait par cœur, à peine majeur, affamé, hébété. Elle porta sa coupe à ses lèvres, doucement, relevant la tête ...
- Hm.
Du mousseux. Il lui avait servi du mousseux. Ses jolis sourcils se froncèrent, ses doigts tapotèrent la table. Doucement, Cédille se releva, gracieusement, assassinant sans scrupules les espoirs d'un adolescent de lui adresser la parole. Ses talons claquèrent quand elle traversa la pièce, le verre à la main, d'un pas lent. Le verre claqua, lui aussi, quand elle posa le verre sur le bar, juste à côté de John. Du regard, elle appela un serveur.
- Du mousseux ? demanda t'elle, avec ce ton calme qui cache une certaine déception, très subtile.
- Vous n'aviez ...
- La dernière fois que j'ai bu du mousseux, on m'a retrouvé en sous-vêtements dans un caddie. Et j'ai eu très mal à la tête. Même partout, d'ailleurs. Ce fut horrible. Un blanc. Un vin blanc.
Le serveur hocha la tête, gêné, avant de disparaître un instant avec son verre.
La jeune occidentale se tourna vers John. Le détailla d'un regard. Les yeux de Cédille étaient d'un gris clair impressionnant. On disait, quand elle était enfant, qu'en la regardant, on se sentait immédiatement happé. Maintenant, on disait juste que ça avait son charme. Y'a plus d'magie. "Mmh. Pas mal." jugea t'elle. Elle le gratifia d'un sourire.
- Je pense que vous êtes le plus jeune dans cette pièce, lui glissa t'elle, sur le ton de la confidence. Mais ne vous inquiétez pas, je ne le dirais à personne.
Un accent feutré, qui dévoilait ses origines européennes, se faisait entendre quand elle parlait. Une voix douce, sûre d'elle.
Personne ne pouvait deviner son âge, à elle. On la plaçait entre 19 et 26 ans, en fonction des jours. Vigueur de l'adolescence, fraîcheur de la jeunesse, confiance de l'adulte. Cédille adorait jouer sur ça. Un sourire, plus grand, sur son visage.