Généralement, les requêtes des marchands itinérants, des forains, et, plus généralement, des étrangers, n’étaient pas traitement directement par le seigneur, sauf dans les petites localités. Ici, on était toutefois dans un duché, et il était donc plus probable de tomber sur un adjoint du bailli, le bailli lui-même ayant plutôt tendance, dans des duchés d’importance, à déléguer ces fonctions, afin d’éviter d’être englué sous la masse. Tout ceci passait largement au-dessus de la tête de Luna, qui se contenta de suivre Septunia, en avançant à quatre pattes, et en reniflant l’air autour d’elle. C’était ainsi que la neko se repérait, en se référant aux sensations olfactives. Ça sentait plutôt bon ici... En tout cas, rien à voir avec l’époque où elle servait Maîtresse Mirei, et où elle était dans cette grande ville immense, que ces imbéciles d’humains appelaient « Tekhos ». Les narines sensibles de Luna étaient agressées par les gaz qui infectaient la ville, et avaient atténué la qualité de l’air, malgré la présence de plus en plus fréquente de purificateurs d’air. Septunia, quant à elle, fut assez surprise qu’on les fasse attendre dans la salle principale, où le trône était vide. Il y avait plusieurs gardes, d’autres personnes... L’activité normale d’un château. Septunia savait que sa caravane était honorable, et qu’on ne les prendrait pas pour des voleurs déguisés en marchands. Elle était toutefois assez intelligente et perspicace, et se dit que la raison de cette attente anormale venait sans doute du fait qu’elle avait choisi de venir avec Luna. La petite neko ne se rendait pas compte du charme qu’elle dégageait, mais, ce dont elle était sûre, c’était que l’attente n’était pas son fort.
Tandis que Septunia attendait dans un coin de la pièce, les jambes écartées, les mains croisées dans le dos, Luna reniflait le sol, et essaya de s’écarter. Elle sentait une odeur... Une odeur de manger ! Sur ce point, ses narines ne mentaient jamais ! La bonne odeur du manger parvenait à son nez. Elle sentait tout simplement les effluves émanant de la cuisine, et avait bien du mal à rester en place. Quand Luna commença à s’écarter un peu trop, Septunia intervint, pour la rappeler à l’ordre :
« Ne commence pas à t’égarer, Luna ! C’est impoli ! »
Luna sursauta, et se remit rapidement à « faire la belle », comme disaient les humains, c’est-à-dire en s’asseyant sur les fesses, et en relevant sa tête et le haut de son corps. Sa queue fouettait l’air, et elle commençait à sentir son estomac se réveiller... Comme toute neko digne de ce nom, Luna était particulièrement sensible à l’odeur de la bonne viande, et elle sentait cette dernière, ce qui, naturellement, ouvrait son appétit. Il fallait bien dire que la nourriture de la caravane était plutôt moyenne. C’était d’autant plus dommages que plusieurs chariots transportaient des porcs et des agneaux, mais ils étaient destinés à être vendus, et on devait donc se contenter de rations, d’herbes, de champignons, de légumes... Pour Luna, c’était particulièrement indigeste, et la perspective de manger une bonne entrecôte saignante avait largement de quoi lui donner l’eau à la bouche.
« Luna a faim..., marmonna-t-elle, en tentant d’apaiser son ventre en le caressant avec sa queue. On nous prépare à manger ? »
Du bruit se fit alors entendre, et, en tournant la tête, Septunia vit la duchesse de Sentarr arriver en personne, accompagnée par l’une de ses servantes. On disait que ces femmes étaient jadis des humaines que la duchesse avait transformé en mutantes pour mieux la servir. Que la duchesse vienne en personne était un choix conséquent. Luna, quant à elle, se roidit surplace, ayant bien conscience qu’il fallait saluer les autres personnes d’importance. Elle observa cette duchesse en sentant une autre soif en elle s’égayer, une autre soif que sa faim. Cette femme était belle, foi de neko ! Elle était même très belle, et il se dégageait d’elle une aura formidable.
Elphinia Manwën les salua donc, s’asseyant sur son trône, tandis que la femme qui l’accompagnait s’assit sur le sol, en posture de soumission, tout en dévorant Luna du regard... Septunia réussit à retenir un sourire en comprenant mieux pourquoi c’était la duchesse en personne qui venait, ce qui lui donna une petite idée.
« Bienvenue dans le duché de Sentarr voyageurs, lâcha la duchesse. Il est parvenu à mes oreilles que vous souhaitiez une entrevue avec moi, et bien parlez, que puis-je pour vous ? »
Il est vrai que cette femme était belle. Déglutissant lentement, Septunia ne tarda pas à lui répondre :
« Je vous remercie de m’accorder audience, noble duchesse. Je m’appelle Septunia Lancrède, et je suis présentement la responsable d’une caravane marchande qui vient d’Edoras, et apporte avec elle bon nombre de vivres. Nous sollicitons de votre part le droit de nous reposer pendant quelques jours, et également de pouvoir bénéficier de la grande générosité du duché de Sentarr pour participer à la foire commerciale que vous y organisez, afin de renflouer nos caisses pour terminer notre voyage. Nous sommes naturellement prêts à nous acquitter des différents prélèvements requis à l’établissement provisoire de notre enseigne. »
Son ton était calme, poli, et Luna ne disait rien, fixant la femme avec de grands yeux, tout en notant que l’autre, la curieuse créature hybride qui ressemblait un peu à une neko, la dévorait du regard. La queue de Luna remuait derrière son dos, et elle sentit alors son estomac revenir à l’assaut.
*Non, pas maintenant ! Bougre de neko, non !!*
Elle posa sa queue sur son ventre, essayant de retenir son estomac... Mais, alors que Septunia venait de parler, et que le silence s’instaurait dans l’assemblée, son estomac se mit alors à joliment gargouiller. La tête de Luna devint rouge cramoisie, et elle baissa les oreilles en se couchant sur le sol, cachant ses oreilles avec ses mains.
« Pardon... » miaula-t-elle piteusement.
Septunia se pinça les lèvres, et fit un sourire contrit :
« Luna est une neko qui nous accompagne. Veuillez la pardonner pour ses manières un peu rustres, noble duchesse, elle a passé son enfance dans une jungle tropicale, et a encore bien du mal à maîtriser les us et coutumes de la société. »
Septunia espérait aussi que de telles révélations susciteraient l’intérêt de la femme, car elle n’était pas dupe. La duchesse n’allait pas accorder une audience pour une simple caravane commerciale de passage. C’était Luna qui l’intéressait, et Septunia la guidait en ce sens. Elle espérait juste que la duchesse la trouverait suffisamment à son goût pour leur proposer de rester.