Le couteau
« Ce... ça n'est pas de sa faute, même si ça en a l'air. Il l'avait mérité ! Ce salaud, c'était bien fait pour lui. Oh si vous saviez comme elle tremblait... j'ai cru qu'elle allait me lâcher. Je pouvais sentir son pauvre cœur palpiter dans sa main. Mais elle a serré mon manche de toutes ses forces, la brave petite. Et elle a frappé à plusieurs reprises. TAC TAC TAC !! C'était horrible bien sûr, il y avait du sang, du sang partout, partout sur les draps, sur moi, la lame, le bois de mon manche et... oh seigneur, moi qui n'avais jamais coupé que des légumes... j'aurais voulu lui crier de continuer, pourtant. "TUE LE, FRAPPES, FRAPPES ENCORE !!". Il fallait finir, une fois lancés... plus de retour en arrière possible. Il pouvait bien crier, supplier avec les maigres forces qu'il lui restait. TAIS TOI DONC, CESSE DE LA REGARDER AINSI ! FRAPPES SON VISAGE HINATA! CRÈVE LUI LES YEUX !! Ah mon dieu, c'est moi qui ai pensé ça... quelques secondes plus tard, il ne bougeait plus. C'était toujours aussi horrible. Il semblait grimacer. Plus elle le lacérait, plus elle ouvrait de nouvelles bouches, qui n'en finissaient pas de vouloir s'exprimer. TAIS TOI, TAIS TOI FILS DE PUTE !! Oh, seigneur... Je vous jure que si j'avais eu des yeux, j'aurais pleuré avec elle.
»Le miroir
« Elle est belle, vous savez, elle est terriblement belle. Elle est tellement belle qu'il lui arrive de se regarder dans moi, pendant plusieurs minutes. Elle caresse ses formes, elle se palpe, comme pour vérifier que tout est toujours bien là, qu'elle est toujours aussi fine là où elle se doit de l'être, toujours aussi charnue là où les hommes le réclament. Souvent elle approche son visage de poupée, et elle coiffe ses cheveux dans toutes les directions, encore et encore, pour voir. Peut être qu'elle pourrait accentuer son charme, en se coiffant de telle ou telle manière ?... Toujours indécise, mais toujours sublime... Ça n'est pas une asiatique, ça non. Elle a le teint clair d'une européenne, des cheveux noirs de jais qui ondulent naturellement... des yeux noirs, des lèvres pulpeuse... han... moi je tremble de n'être qu'une surface glacée. Si j'étais, je ne sais pas, une couette... ah bon sang ! Je pourrais glisser sur ses fesses, m'enrouler autour de sa taille... elle est tellement fine, sa taille ! Ses hanches et ses jambes, elles sont tellement... fermes, douces pleines de vie... Et ses deux seins bien replets... qu'elle laisse parfois se dresser au froid... juste pour les admirer ainsi... hooo...
»La contrebasse
« Bon sang, faites taire ce miroir dépravé, il me met mal à l'aise !! Est-ce que je demande à être une flûte lorsqu'elle fait jouer ses doigts sur mes cordes ? Non ! Je me contente d'apprécier sa virtuosité ! Un peu de tenu, vieille glace !
»Le masque
« Taisez vous. Vous vous égarez. Si nous sommes ici, je vous rappelle que c'est pour la juger.
»
Il ne devrait pas parler normalement. Un masque qui parle, ça n'a aucun sens. Sa face inexpressive et blanchâtre est moulée dans le plastique, comment peut-il bouger les lèvres ? Il me regarde avec ses yeux vides. Non non ils me regardent tous, non, pas moi, laissez moi ! Je me tasse, je suis plus petite qu'une souris, je glisse entre les joints du carrelage. Continuez, continuez... ils m'oublient. Ils m'oublient, oubliez moi. Je suis calme.Le téléphone portable
« Moi je saiiiiis ^^. J'ai tout entendu ! Vous imaginez même pas comme c'est croustillant ! :3 ... Alors déjà... l'homme qu'elle a charcuté.... c'était son amant ! Siiii ! ... Oui nan mais attendez hein ! C'est pas fini ! Parce qu'en fait, vous voyez, quelques jours avant qu'elle l'assassine, ils étaient ensemble, elle était super heureuse et tout ! Une vraie putain d'ado quoi ! xD Elle arrêtait pas de l'appeler, ils s'envoyaient des petits SMS coquins... oh c'était trop mignoooon <3 ... oui oui deux minutes, j'y viens !... Alors en fait, un jour il l'appelle, comme ça, elle décroche, comme ça, excitée comme une puce... Sauf que là il commence un baratin, style... le genre de baratin qu'on sent petit à petit où il veut en venir. On sent un peu la mauvaise foi rampante comme ça. Nan mais j'vous jure quoi ;
"Mais tu sais chérie, quand je serais en voyage aux états unis ça sera compliqué... je veux pas te faire souffrir... blaaab blaaa blaaa". Claaaaaassique quoi. Elle, elle commence à pleurer, normal... mais attendez c'est pas fini ! Parce que là, il lui sort comme ça :
"ouai mais euuuuuh, tu vois, j'ai une carrière qui m'attend, mes nouveaux morceaux cartonnent... je peux pas laisser passer cette chance, je veux me consacrer pleinement à ça..." Vous voyez quoi. Et la la meuf, elle pète un câble, genre, j'ai flippé ma race, j'ai cru qu'elle allait me fracasse sur le sol ! x) Elle me hurlait, enfin elle LUI hurlait dessus, genre
"C'est moi qui ai tout écrit, c'est mes morceaux, sale fils de pute !". Et là le mec il se la joue mature et virile, il prend un peu le ton distant, en mode
"Bon si c'est pour me faire insulter c'est pas la peine !" et il raccroche ! Mais ouai ! Comme ça ! x) Bon et puis là j'ai bouffé hein. J'ai pris un mur, pleine vitesse. J'ai vu tout blanc, tout noir, et pis trois fois tout blanc. Elle m'a ramené d'entre les morts pour essayer de le rappeler, après. Mais pas moyen, le mec il répondait pas. Après... après chais pas.
»L'oreiller
« Elle a pleuré, plein. J'en témoigne.
»Oui. J'ai beaucoup pleuré.Le costume de scène vermeille
« Permettez moi d'engager la défense ! Vous savez le charisme qu'elle dégage sur scène ! Vous savez à quel point elle est captivante ! Vous connaissez sa divine voix de soprano ! Vous savez qu'elle est une géniale compositrice ! Qu'est-ce qui vous dérange ? Un petit rockeur sans talent, à qui elle aurait mis quelques petit coups de couteaux ? Bah ! Ayez un peu de hauteur d'esprit. Elle a de grandes choses à faire. Passez au dessus de cette histoire, ça vaudra mieux !
»Le miroir
« De grandes choses ? Nan mais ça c'est trop fort. Elle n'a plus rien à dire, plus rien à écrire ! Elle est finie ! A vingt six ans ! Finie ! Elle désespère devant sa petite ride au coin de l’œil ! Petit déchet narcissique, tu feras quoi dans dix ans, quand tu seras fripée ?! Bientôt tu seras laide ! Ta beauté est derrière toi !
»Le téléphone portable
« ...il est complètement schyzo le miroir, en fait ?
»Le miroir
« Son inspiration est finie ! Regardez la ! ELLE N'A RIEN ÉCRIT DE BON DEPUIS DES MOIS !! ELLE DÉPÉRIT !! ELLE SE DECOMPOSE !!
»Le masque
« C'est bien vrai, Hinata ? Tout est fini alors ? Tu n'as plus de valeur ? Tu vieillis ?
»
Non non non, ne me regardez pas, n'approchez pas ! Ils me regardent tous, non, pas moi ! Ils me tournent autour, la grand miroir rit, il ne veut pas s’arrêter ! Il fait tout vibrer le sol, avec la grosse commode, et la contrebasse qui gronde, le masque qui est en colère... LAISSEZ MOI PARTIR LAISSEZ MOI PARTIR !! Ce n'est qu'un rêve. Vous n'existez pas. C'est mon rêve, je dois...* * *
Hinata cligne des yeux ; elle se réveille dans la même pièce que celle de ses songes, haletante. L'impression tenace que les objets la guettent, dans l'obscurité. Elle extrait le haut de son corps des draps pour chercher sa lampe de chevet à tâtons.
*Chkilc*Une lumière orange envahit l'étroitesse de la chambre, révélant un décors d'une immobilité parfaite. Elle se laisse retomber sur le dos, attend que les battements de son cœur se calment. Elle saisit son téléphone portable, dont la coque est maintenue par un bout de ruban adhésif ; 6h23. Elle ne risque pas de se rendormir, après ça. Son manque d'entrain la cloue tout de même sur place pour les vingt minutes qui suivent, jusqu'à se qu'enfin elle se traine hors des couvertures et se dirige vers la petite salle de bain de son appartement. Un passage devant le miroir pour se jeter un œil et se rassurer, puis elle entre dans la cabine. Elle reste une vingtaine de minutes sous la vapeur de son jet, puis en ressort aussi propre et rougie qu'il est possible. Elle s'habille lentement, puis avale vite une ration de corn flakes sans sucre. Elle aperçoit à travers ses volets qu'il ne fait pas trop moche, alors, en guise de manteau, elle enfile sa veste rouge, rappelant vaguement un uniforme militaire européen de... elle ne sait trop quelle siècle. En tout cas, elle aime son aspect, et puis c'est insolite, et facilement reconnaissable. Sur scène, elle ne s'en sépare plus. Elle range sa contrebasse dans son étuis et l'amarre à ses épaule, attrape son sac à main, et se met en route vers le studio où elle répète avec ses deux acolytes musiciens. Elle sera en avance, mais qu'importe, elle pourra essayer de composer quelque chose de bon, pour une fois.
En revenant chez elle, il faudra qu'elle pense à racheter un de ces grands couteaux effilés qui sont tellement efficaces pour découper les légumes. Ça fait quand même un mois qu'elle a jeté l'ancien.
Le masque, lui, ne la quitte jamais.