30 ans plus tôt
Jungle de ZerrikaniaIl coupa la dernière branche, et releva la tête en le voyant. Le temple. Un sourire de joie étira ses lèvres, et il l’observa silencieusement, sans rien dire, pendant de longues secondes. C’était la contemplation d’une vie, la réussite de toute une expédition qui lui avait coûté des hommes, du temps, et beaucoup d’argent... Mais, face aux passions, l’argent n’était pas vraiment un problème. Le temple était là, devant lui, vestige d’une civilisation reculée. Dans son dos, les indigènes qui l’avaient accompagné jusqu’ici refusaient d’avancer, ce qui l’amusa. Ils vivaient à Zerrikania, l’une des jungles les plus dangereuses du monde, ils affrontaient continuellement des mouches qui pondaient des œufs dans leurs cerveaux, des araignées si géantes qu’elles vous avalaient la tête entière d’une morsure, des tigres féroces, des ours capables de résister à une pluie de flèches, et, pourtant, ils tremblaient comme des feuilles devant un temple abandonné.
«
La superstition, se dit-il alors,
voilà bien une chose étrange... Mais qu’importe. »
L’homme se retourna, et épongea son front, couvert de sueur, avant de quitter l’orée de la jungle, sortant des arbres. Le temple était en forme de pyramide, avec plusieurs escaliers qui se rejoignaient à son sommet, et il y avait, à sa base, plusieurs statues sinistres. Les Zerrikaniens lui avaient dit qu’ils l’amèneraient devant le temple, mais sûrement pas au-delà, leur guide répétant sans cesse le même mot : «
ok’hba », «
ok’hba »... Le mauvais œil. Pour lui, c’était tout, sauf un mauvais présage. Il attrapa sa gourde d’eau, et y trempa ses lèvres, puis commença à grimper les marches.
Période actuelle
Bas-fonds de Nexus«
Non, non... »
Le ciel était là, si près, avec les étoiles qui brillaient sur le manteau noir. Le malheureux s’acharna encore un peu sur la grille, mais cette dernière avait beau être rouillée, elle tenait bon. Ses lèvres desséchées tremblaient nerveusement, de même que ses doigts rachitiques, et la faim, terrifiante, le tenaillait. Il était en sueur, sa vision était floue, et il voyait des formes dans l’obscurité de l’égout. Il
Les entendait, il savait qu’
Ils étaient là, qu’
Ils le pourchassaient, et que leur sort qu’
Ils lui réservait n’était pas des plus préférables. Fuir, revoir les étoiles, en cesser avec les bruits, les machines, les jets de vapeur, et les aiguilles... Oh, en finir
enfin avec les aiguilles ! C’était là tout ce qu’il demandait, mais la grille était fermée. Devant cette dernière, il y avait la sortie de la bouche, et il dut se replier, avançant lentement, à tâtons, dans l’obscurité sinistre, ses mains heurtant le rebord humide et trempé du mur, heurtant de la mousse. Il ne s’en rendait pas compte, et, tandis qu’il avançait, titubant à moitié, son corps faible et malingre heurtant le mur, il revoyait les séances... Attaché, retenu par les sangles, sous une lumière éblouissante, et il revoyait les seringues... Toutes ces seringues, tant de seringues, et la douleur, la douleur... Le sang, son sang, qui filait dans les tubes, et disparaissait, avant qu’il ne soit ramené dans sa cellule, faible, cadavérique...
Il avait réussi à s’échapper, il avait réussi à fuir les contremaîtres, mais les porcs, eux... Les porcs le retrouveraient, ils avaient leur flair, ils étaient les gardiens et les ouvriers. Tout en s’avançant, l’homme sentit alors le mur disparaître le long de ses doigts, et s’avança. Il secoua à nouveau la tête en entendant un scintillement, une intense vibration dans sa tête. Le trouble fut si fort qu’il se mit à hurler en tombant sur le sol, portant ses mains à ses tempes, hurlant silencieusement.
«
Tais-toi ! Tais-toi ! Tais-toi ! Pas la sonnerie, pas la sonnerie, non, non, non, non, pas la sonnerie, pas la sonnerie... »
L’être n’avait pas conscience qu’il pleurait, et se releva alors, se mettant à courir, haletant comme un fou. Ses poumons lui faisaient mal, et il avait chaud, terriblement chaud, une chaleur insoutenable, qui le faisait crever. Il courut le long des marches, un étroit escalier carré qui lui semblait interminable. Était-il en train de quitter l’Enfer ? C’était clairement le cas. Il vit une porte, et la poussa sauvagement, tout en heurtant le marchepied derrière. L’homme s’affala lourdement sur le sol, s’ouvrant le genou, mais atterrit dans ce qui était indéniablement une ruelle. En se retournant, malgré sa vision floue, il vit des points brillants dans le firmament, et tendit lentement sa main, en essayant de les attraper.
«
Les é... Les étoiles, les étoiles... »
Était-ce un rêve ? Non, cette sensation de froid sur le bout de ses doigts... Ces glissements sur son nez... Non, non, rien de cela n’était faux ! Tout était vrai, tout était
authentique. Il était sorti. Sorti ! Sorti !
Sorti ! Il sentit son cœur s’emballer, mais ne put guère rester longtemps couché sur le dos. Les trous dans son corps lui faisaient mal, les empreintes des innombrables seringues qu’il avait reçu. Ilse retourna alors, et commença à marcher. Il ne fit pas attention à l’affiche grandement étalée sur le mur, à sa gauche, et qui montrait une rangée de porcs, avec l’inscription suivante :
« Abattoir Mandus
Du travail pour tous ceux qui en ont besoin ! »
Il s’avança vers une grille en fer forgée au fond de la ruelle pavée, et essaya de la pousser, mais elle se contenta de grincer. Dans son dos, de grands entrepôts avec des cours et des bureaux, la lumière de chandelles s’échappant de certaines fenêtres. Il regarda autour de lui, et entreprit alors d’escalader la grille de fer. Soulever son corps chétif n’était pas bien difficile, il était d’une anorexie affolante. De plus, ne portant sur lui aucun vêtement, on pouvait voir tous ses os, qui sortaient le long de sa peau. Quand ses jambes heurtèrent le sol, il était si faible qu’elles ne le soutinrent pas, et il s’écrasa sur le ventre, son menton heurtant le sol, laissant de nouvelles traces de sang sur les pavés. Quoi qu’il arrive, il réussirait à sortir de là.
L’homme entreprit de se relever, et entendit alors, très distinctement, un grognement.
«
Groooonnkk… »
Il sursauta, et se retourna, mais ne voyait rien d’autre que sa tête qui lui tournait, ainsi que des bâtiments noirs. Il se mit alors à courir, pensant aller vite, alors que, en réalité, il trottinait laborieusement. Il essayait d’appeler à l’aide, mais il n’était plus capable d’aucune pensée rationnelle, haletant rapidement, alors qu’il entendait les bruits de pas se rapprocher. Sa respiration s’accélérait de plus en plus, ses poumons hurlaient, et une masse noire le saisit, l’envoyant s’étaler contre le mur. Son hurlement fut bref, et le peu de sang qu’il lui restait vint tâcher la
tête d’une créature semblant issue de l’imagination tortueuse d’un malade mental. Le porc humanoïde s’essuya les lèvres en grognant.