Quand on oublie un œuf, on oublie un bœuf ? } Double-Lune

Ha... Ha putain...

Je suis à bout de souffle. Voilà trois heures que je cours pour échapper à un démon vicieux. J'ai une bonne endurance, mais j'ai quand même mes limites. Je crois que je viens de les atteindre là. Un point de côté me transperce le flanc.

Je continue de courir cependant, outrepassant ma souffrance. Je file, je bifurque, j'emprunte des passages plus ou moins secrets...

Mais je le sens toujours, dans mon dos. Il me brûle la nuque avec son regard de braise. Foutu Surnaturel.

Et bien sûr, il a choisi le meilleur moment pour s'en prendre à moi un peu plus tôt. Il a choisi d'agir le seul jour où j'ai oublié ma faux. Le seul jour où je n'ai rien d'autre pour me défendre que mes poings. Et mon sarcasme.

Je finis par m'arrêter, haletante, dans une ruelle du quartier de la Toussaint. Je n'en peux plus. Je vais cracher mes poumons si je continue.

Pantelante, appuyée contre le mur, je tente de reprendre mon souffle.

Quelques secondes plus tard, il est là. Il apparaît. Il a pris sa forme la plus séduisante, dans l'espoir que je baisse ma garde.

Cherche pas, coco. Je sais ce que tu es.

Je résiste aisément à l'appel de son corps chaud et de son regard tentateur. Je le nargue.

« Qu'est-ce que tu as, résidus des enfers... Le grand chef t'utilise comme torche-cul ? Tu cherches à corrompre d'innocentes âmes pour mieux lui lécher le derche ? »

La peur ne fait pas parti de mon vocabulaire. Il pourrait l'utiliser et la retourner contre moi.

Je préfère la colère. La rage. Je me nourris de ce sentiment, il me donne plus de force. Je me sens presque invincible.

Et puis, une alarme se déclenche dans ma tête.

... Ma dose de vitamine !

Heureusement, j'en ai toujours une sur moi. J'ai oublié de me l'injecter un peu plus tôt. J'étais occupée à courir.

Ma main glisse contre mon ventre et vient se nicher dans mon décolleté. J'en ressors la seringue, et je la plante dans ma cuisse d'un geste aussi vif que l'éclair.

Le démon se jette sur moi à cet instant.

Trop tard, je me la suis injectée.

Je ne me sens pas plus forte physiquement. Mais je sais au moins que je ne flancherais pas.

Même si je suis, pour le moment, étendue sur le dos, sur le sol, avec un démon vicieux et pervers à califourchon sur moi. Ultra fort le type, en plus.

Ah putain. Et j'ai oublié ma faux quoi...

Je suis de sortie. En d’autres termes, je suis sortie du corps de Terka et je me suis matérialisée.

Aujourd’hui, je suis restée à Seikusu. Pas envie d’aller sur Terra. Une fois par semaine c’est suffisant.

Je me promène à travers les rues de la ville. Dans mon quartier, en fait. Je ne suis pas très loin de la maison.

J’entends des bruits de pas. Des bruits de course, même.

Je m’arrête brusquement. J’écoute.

Le bruit est tout près. À une rue d’écart tout au plus.

Tout à coup, silence. Ou plutôt non, j’entends quelqu’un respirer bruyamment. C’est vraiment très proche. Peut-être…

Derrière cette maison, juste là !

Je m’approche et je me mets juste de façon à voir sans être vue. Il y a une femme. Elle reprend son souffle comme si elle venait de faire le marathon à toute allure.

Et puis quelqu’un d’autre arrive. Vu sa façon d’apparaître, il n’y a pas trente-six possibilités : c’est un démon. Plutôt canon, mais un démon quand même.

Mon soupçon est confirmé par ce que dit la femme. La seconde d’après, elle sort de son décolleté une seringue qu’elle se plante dans la jambe.

Je ne sais pas ce qu’elle voulait faire (se droguer ?), mais le démon est plus rapide qu’elle alors ça risque de ne pas trop marcher. En un éclair elle est au sol, avec lui à cheval sur elle.

Là, je réagis. Comprenant immédiatement ce que ce connard a l’intention de lui faire, je ne perds pas de temps à réfléchir.

Je sors de ma cachette et je fais apparaître un katana noir de jais dans ma main droite.

« Eh, le gros tas ! Ouais, toi, assis sur la dame ! Viens te battre salaud ! »

Il se lève et je me jette sur lui. Un coup d’épée lui tranche net le bras droit juste au niveau du coude.

« Règle n°1 : Quand je suis dans les environs, on reste sage et on se fait discret. Surtout quand on est un gars comme toi. »

Gros tas ? Le terme est mal choisi je dirais. Il est tout en muscle et très bien proportionné ce démon, je le sens parfaitement contre moi.

Mais cela dit, ça a le mérite de le faire bouger. Il se retourne, surpris qu'on l'interpelle de la sorte, et se relève.

Et voilà que son bras me tombe soudain sur l'épaule, alors que je me redresse également. Je n'ai pas le temps de sourire de l'air déconfit du monstre démoniaque que son bras paraît comme doué d'une vie propre et qu'il vient serrer ma gorge avec tout sa putain de force.

Je suffoque un peu, le temps de saisir ma dague orné de symboles runiques destinés à affaiblir les démon. Puis je la plante dans son poignet, et l'animation du membre cesse soudainement tandis que le démon grogne et crache une injure à mon intention.

« C'est pas pour dire, mais je crois que son bras est en train de repousser... »

Je désigne le moignon dont la chair se tord, comme agitée par des vers invisibles, et je saute sur lui avec ma dague, tentant de l'égorger. Je me tiens sur son dos, fermement agrippée aux épaules larges qu'il possède, et mes jambes viennent entourer ses hanches en V. Je laisse ainsi toute latitude à ce sauvetage providentiel de lui couper les jambes avec son... Euh.. Katana je crois. Enfin, avec son couteau long qui coupe 'achement bien.

Même si je sens qu'il y a un truc pas net avec cette nana, surgie d'on ne sait où, armée d'un putain de couteau affûté.

M'enfin, ça m'a bien aidé qu'elle interrompe le coït sauvage qu'était sur le point de commencer ce démon...

J’adore ça. Découper du monstre, c’est vraiment génial. Mais ça le serait encore plus si ce crétin ne faisait pas repousser les membres que je lui coupe...

Et en plus, le bras n°1, en tombant, commence à étrangler la dame comme s’il n’avait pas encore compris qu’il venait de se faire couper. Heureusement, la victime a de quoi se défendre. Elle se saisit d’une arme, je reconnais une lame runique, et elle neutralise le bras étrangleur.

Pendant ce temps, c’est-à-dire pendant la demi-seconde que ça lui prend, je regarde le démon. Et là, je suis prise d’une folle envie de renvoyer mon sabre et de le tabasser à la main. Son bras repousse ! Connard de démon !

Pendant un instant je ne bouge pas. Trop occupée à ne pas péter un câble. J’ai envie d’égorger ce démon sans utiliser ma lame.

Mais quand je vois la femme se relever et le ceinturer de façon à l’immobiliser, je réagis. En faisant exactement ce que je n’aurais pas dû faire : je décapite la créature. Je fais quand même attention à ne pas blesser la dame juste derrière.

Une fois privé de sa tête, le démon est moins dangereux. Je lui plante mon sabre dans le ventre et je dessine une fleur. Oui, des fois je joue au con quand je tue. Ne posez pas de questions ! [Et toi, concentre-toi sur l’histoire, tu as un démon à achever.] Ouais, ça va, y a pas le feu… Ah en fait si.

Eh oui, ce crétin de démon vient d’éjecter la femme et de s’auto-enflammer. Je lâche un juron qui ne sera pas écrit ici.

« Là c’est pas du jeu. Mais si tu insistes, moi aussi je vais jouer avec la luminosité. »

Je lève mon katana au-dessus de ma tête. Aussitôt tout autour de nous s’assombrit et la seule chose qui est encore visible, c’est le démon entouré de flammes.

« Oh, une cible inratable… »

Un carreau d’arbalète vient transpercer le monstre en plein cœur. Il s’écroule. Cette fois c’est terminé, c’était une arme bénie. La lumière revient, je n’ai plus rien dans les mains.

Putain, elle est conne ou quoi ?

Je lui offrais la possibilité de faire de ce démon un cul de jatte momentané, et voilà qu'elle le décapite ? Son arme est passée à trois millimètres de ma gorge ! Elle fait quoi là, avec son sabre dans le ventre de l'aberration démoniaque ?

Qu'est-ce que...

Ah putain !

Le démon vient de m'éjecter, et mon dos a rencontré le sol avec un bruit mat.

« Han ! »

Je gémis un peu. De douleur. Ça pique, quand même. Heureusement, il semble que je n'aie rien de cassé.

Et devant moi, le démon a pris feu. Littéralement. Je grogne, et cherche ma dague du bout des doigts. Je ne la trouve pas.

Je lâche alors la scène des yeux et je cherche mon arme. Ma tâche s'avère ardue puisque, comme par hasard, il se met à faire hyper sombre. C'est... C'est sûrement magique ça. Oh putain...

Quand la lumière revient, je met la main sur la dague.

Mais trop tard. Le démon, écroulé au sol, se liquéfie et retourne dans les entrailles putrides des Enfers.

Face à moi, la femme. Enfin... Gamine ? Elle paraît jeune...

Je grogne.

« Qu'est-ce que tu es ? »

Parce que, franchement, je doute qu'elle soit humaine. Sinon, j'aurais connaissance de son existence. Je connais tous les chasseurs de Surnaturels de Seïkusu.

Le cadavre du démon se transforme en une espèce de bouillie bien dégoûtante à laquelle je me garde bien de toucher. S’agirait pas de me faire avoir comme une débutante, cette substance est hautement dangereuse. Je le laisse donc se dissoudre bien sagement.

Derrière lui, c’est-à-dire en face de moi, la femme a récupéré sa dague runique. Elle me regarde.

Elle n’est pas contente. Pourtant, je l’ai sauvée, elle pourrait avoir un minimum de reconnaissance.

Mais non, elle me demande qui je suis. Non, même pas en fait ! Elle me demande CE QUE je suis ! L’enflure !

« Je suis quelqu’un qui n’aime pas les salauds comme celui qu’on vient de buter. D’autres questions ? »

J’avance vers elle et je tends la main pour l’aider à se relever.

« Ou sinon, vous pouvez vous contenter de me remercier et on s’en va et on oublie chacune l’autre. »

Je lui en veux un peu, de n’avoir même pas pensé à me dire merci. Même moi je le fais, alors que je suis loin d’être un exemple de politesse !

J'y crois pas. Un Surnaturel m'a aidé à en éliminer un autre ? Parce que non, elle n'est pas humaine c'te nana. C'est juste impossible !

Je lève les yeux au ciel. Mon instinct de Kempetai me dit qu'il faut que je la détruise. Que je l'anéantisse. Les monstres ne doivent pas vivre parmi les humains, bordel !

Mais d'un autre côté, je reconnais qu'elle m'a été d'une grande aide.

Je ne sais pas quoi faire.

Pour commencer, je me relève. Sans son aide. Bien que je hoche la tête pour lui signifier quand même que j'apprécie l'intention. Mais je n'ai pas besoin d'aide. Pas pour ça.

J'époussette mon jean rapidement, et je reprend ma dague qui est resté parmi les cendres fumantes du démon. Je l'essuie contre ma jambe. Mon jean est fichu, de toutes façons. Alors, foutu pour foutu...

« Mouais. »

Je grommelle vaguement avant de redresser le buste et de croiser les bras devant moi.

« Comme tu m'as aidé, je ne vais pas faire de plus ample recherche sur ce que tu es. Mais comme tu ne m'as pas l'air humaine, n'attends aucune gratitude de ma part autre que cette concession. Crois-moi, tu n'as aucune envie de devenir une de mes cibles... »

Je ne suis pas aimable. Je suis brute. Directe. Claire. Comme ça, pas de soucis.

Je sens le conflit intérieur d’ici. C’est quoi son problème, à celle-là ? Elle est contre les filles qui ont des katanas ? Elle aime pas les uniformes du lycée ? Ou autre chose encore ? Bah, on s’en fiche ! On va pas écrire une page Word complète juste pour ça !

Elle ne prend pas ma main, comme si elle avait peur d’être contaminée en me touchant. Reste à savoir quel genre de contamination ce serait.

Reprenant sa dague, elle ne m’accorde pas la moindre attention jusqu’au moment où elle me fait ses pseudo-remerciements. Et pour être tout à fait honnête, j’ai envie de la frapper.

« J’ai pas l’air humaine ? Ben, autant que vous, en fait. Mais vous avez quoi contre les non-humains, déjà ? Le démon, passe encore, mais qu’est-ce que j’ai fait de mal, moi ? »

Je me garde bien d’évoquer les quelques dizaines de cadavres que j’ai laissées derrière moi…

« Et puis excusez-moi, mais je ne comprends pas en quoi la magie ne pourrait pas être accessible aux humains. Y a qu’à regarder votre dague ! Les runes, n’importe quel humain peut en faire. »