Il n'avait pas l'impression de tourner en rond. Chaque mot prononcé, selon lui, lui faisant gagner du terrain. Il savait que ses paroles étaient un poison, si subtil et lent, qu'il lui fallait piquer à plusieurs reprises, avec la plus grande des discrétions, jusqu'à ce qu'il y ait plus de son venin que de sang dans les veines de sa victime. Parfois, celle-ci résistait, et cela prenait du temps. Et tant mieux. Les cibles faciles apportent une satisfaction rapide.
L'Europe en fut un cuisant exemple. L'avancée allemande dans la plupart des pays était si facile, les chars pénétrant avec une telle facilité dans les terres ennemies que c'était aux officiers de demander à l'Etat Major de faire une pause, de temps en temps, pour la forme, et le repos des machines – mécaniques et humaines confondues. Si les plus gradés se satisfaisaient du caractère éclair de leurs victoires, elles laissaient un goût amer dans la bouche de certains hommes, dont le lieutenant Von Königsberg, qui avait assisté aux cinq semaines de vile résistance de l'opposant français, et avait refusé de voir les célébrations à Paris ; une bande d'officiers, dont il avait fait partie, avait cordialement refusé d'être près du Generalmajor de la Wehrmacht qui les avait invité à une place d'honneur ; l'affaire a failli finir en cour martiale avant qu'ils ne soient sauvés par le Reichsführer Himmler.
Et sur le même modèle, toute l'Europe était tombée, avec plus ou moins de résistance, mais sans jamais poser de réel problème à la logistique militaire allemande. Quand la SS a commencé à être engagé, en soutien des troupes officielles, les choses prenaient une tournure encore plus aisées. Les quelques échecs allemands ont vite été balayées par des victoires éclatantes.
Arrive Moscou. À quelques kilomètres des hauts remparts rouges, l'armée allemande avait failli pour de bon. Une branlée sévère, que l'histoire ne retient pourtant pas ; tous pensent que Stalingrad est le véritable « revers » de la guerre. Mais Siegfried y était, il a enfin pu voir ce qu'étaient les russes. Il pensait, à tort, que tout allait être facile, comme ailleurs. Confiant, les alentours de Moscou lui ont pourtant donné du fil à retordre. Mais quand enfin ils ont approché de la capitale, ils ont fait face à des ours, à des tigres. Même lui, avec ses capacités prétendument nettement supérieures, était complètement dépassé. Il lui fallut des jours entiers pour reprendre ses esprits, réorganisé ses escouades, ne plus se sentir à l'ouest. Quand enfin les officiers allemands avaient recouvré leur sang-froid et leur talent, il était déjà trop tard.
Ce jour-là, une petite cloche sonnait dans la neige. Les allemands avaient perdus la guerre, mais personne ne le savait encore.
Et Siegfried s'en fichait impérialement. Car enfin, l'adversaire montrait de la valeur. Jusque 1945, il s'était battu avec la plus grande des ferveurs, et avait démontré sa verve et ses compétences dans l'art militaire. C'est, paradoxalement, ainsi qu'il a aimé faire la guerre. En perdant, en gagnant, et en re-perdant. Parce que la lutte avait du sens.
Il a retenu la leçon, Alexis. Tu ne le vaincras pas.
Il ne répondra donc pas. Il la laisse parler, mangeant calmement, réagissant par de simples sourires, ou des expressions traduisant ses doutes quant à ses paroles. Jusqu'à ce qu'elle l'emmène dans un lieu qui... qui, il faut bien l'avouer, n'était pas bien son genre. Si il savait danser ? Oui ! La valse, par exemple, entre autres... Pas toutes ces musiques qu'il considère comme dégénérées, mortes car impossibles à vivre, engoncée dans une médio...
... Oh. Elle le mène justement dans son domaine de compétence. C'est intéressant. Le déchiffrait-elle donc si bien ?
Nous reprendrons notre débat plus tard. Je vais me laver les mains d'abord, je refuse de vous toucher ainsi.
Maniaque, j'vous dis.
Les toilettes seront un refuge. Au calme, le temps de se faire à l'idée. Tout va bien. Il te faut une stratégie construite. La danse est un bon moyen pour commencer. Tu te souviens de cette artiste de cabaret, hautement réputée, qui t'a offert une place dans ses draps après quelques danses dans une réception de la SS. Mais il faut aller plus loin. Alexis ne se laissera pas convaincre trop facilement. Il faut la mener sur un terrain différent. C'est de là que commence à naître un embryon de plan... qui grandit vite, jusqu'à être viable.
Il allait partir sans se laver les mains, d'ailleurs, et fait demi-tour pour les frotter consciencieusement, avant de retourner se plonger dans les mélodies.
Alexis n'aura pas le temps de lui parler. Il l'attrape par les hanches, face à face, et la serre contre lui. Prise entre les griffes d'un prédateur qu'elle sait sournois et manipulateur, puissant et dominateur. Une personne qui, visiblement, écrase ceux qui l'offensent. Un ancien militaire d'élite, un sadique rigide et froid, un professeur dans les matières les plus strictes – la finance, le droit, l'histoire. Un type qui met un point d'honneur à être impeccable, pour ne pas prêter le flanc à la critique. Un immonde salopard qu'elle soupçonne d'être un violeur d'étudiantes.
Tu t'sens comment ?
Mettez-moi au défi, et je répondrai. Je vous offre de faire ce que vous désirez de moi. Vous n'avez que ça à faire pour comprendre mon point de vue, je crois. Avoir un pouvoir sur moi... Me dominer. Ma soumission comme présent, faites-en ce que vous voulez.
Il faut sentir la musique, la laisser prendre possession de son corps. Il laissera passer quelques chaînes de notes, avant de lui faire un signe, et entamera donc ses pas. Et elle remarquera à quel point il peut être bon, maîtrisant sans la moindre faute ses mouvements de pure grâce. Il ne cessera de la fixer un air amusé sur le visage, en guise de provocation à sa septicité.