La petite fille trottinait tout en gardant un oeil sur le lycéen et ne pas le perdre de vue. Cela ne l'inquiétait pas de se retrouver seule, mais elle avait besoin de lui. Elle trouvait son comportement des plus étranges et se sentait mal à l'aise de toutes ses embrassades qu'il lui prodiguait. Pour Miyoko, seule sa mère se permettait ce genre de câlineries, et c'était assez rare, et même totalement absent de la vie de la fillette depuis la mort de sa génitrice.
Alors elle ne savait pas comment répondre à tant d'affection. Cela la gênait mais elle ne voulait pas blesser celui qui les lui donnait en le repoussant, et en risquant de le faire fuir, et qu'elle ne puisse pas retrouver Don et Armelle par la même occasion. Dans son petit esprit d'enfant, elle ne voyait pas d'autres moyens de retrouver Don que celui de suivre gentillement le lycéen. Et s'il fallait pour cela accepter quelques câlins et quelques bisous, elle les acceptait. Non à contre coeur, mais sans pour autant les apprécier comme elle aurait dû.
Toutefois, elle ne put s'empêcher de se retourner et de sourire gayement lorsque le garçon l'appela mademoiselle. C'était si rare ! Elle se sentait gratifiée, surtout qu'il l'avait vouvoyé l'espace d'une phrase ! Elle était toute contente et si elle avait été un chat elle aurait ronronné dans les bras qui l'entouraient déjà à présent. Elle n'avait pas perçu la pointe d'ironie qui s'était glissée dans les propos et qui faisait de ceux-ci une simple blague.
Du coup, elle accepta volontiers de devenir la petite soeur du lycéen, ne serait-ce que pour quelques instants. Cela aussi la remplissait de joie et de fierté. Avoir un frère était déjà source d'un bonheur qu'elle ne pensait jamais avoir, mais en plus, un frère intelligent qui allait au lycée ! Elle se sentait poussée des ailes et elle s'accrocha au cou de son frère, alors qu'ils entraient tous les deux dans le commisariat.
Les locaux n'étaient pas très spacieux, mais très bien entretenus malgré le nombre de personnes qui devaient y penser dans une journée. Le sol était lisse est propre et Miyoko était sûre que si elle avait été par terre, elle aurait pu se mirer dans les dalles tout juste récurées. Mais son frère lui avait demander de se tenir tranquille et elle ne voulait pas décevoir ce nouveau membre de sa famille. Alors elle resta sagement lovée dans ses bras et admira ce qui s'étendait autour d'elle.
Tous les hommes et femmes qui se trouvaient derrière le bureau étaient habillés de la même façon : un uniforme d'un bleu uni et des gants blancs (saufs ceux et celles qui servaient de secrétaire et qui devaient écrire, ceux ci étaient mains nues). Miyoko trouvait rigolo que des adultes aient l'envie de se déguiser tout comme elle ! Et encore plus drôle qu'ils aient tous choisi le même déguisement !
Alors que de nombreuses personnes habillés plus ou moins sobrement ou avec classe patientaient devant le comptoir, les deux jeunes amis s'installèrent à la suite de tout ces gens, près d'une plante verte. Les feuilles étaient grandes et larges, et la fillette ne put empêcher ses mains de venir frôler la texture raîche du végétal qui tangua sous la pression humaine.
Miyoko avait envie de parler. Elle aurait eu envie de demander où était Armelle. Mais elle savait qu'elle devait se taire pour satisfaire son frère, que maintenant, c'était à lui de prendre les choses en main. C'était lui qui était intelligent, et si elle parlait, elle risquait de tout faire foirer. Alors elle prit son mal en patience. Comme lorsqu'elle attend toute une journée devant un magasin, elle laissa vagabonder son esprit. Mais pas bien loin. depuis qu'Armelle avait disparu, elle avait l'habitude d'espionner discrètement les conversations, et c'est ce qu'elle s'empressa de faire.
Personne ne discutait dans la file d'attente, si ce n'était la toute première personne qui s'adressait à l'un des hommes déguisés de bleu. La femme était grosse. Elle était enguoncée dans une jupe trop étroite pour ses grosses cuisses et son chemisier semblait près à craquer. Ce n'était pas très fréquent chez les japonais, mais l'influence des fast-food s'étendait de plus en plus, quelque soit le pays où l'on habitait. La grosse femme s'agitait et dansait d'un pied sur l'autre en faisant des gestes avec les bras, pas grand comme ceux des italiens, mais vifs et nerveux, comme quelqu'un qui a peur et qui n'ose trop se montrer.
Miyoko faisait semblant de s'intéresser à ses vêtements près à se déchirer, mais en fait, elle écoutait ce que la grosse femme disait au grand homme bleu.
"Voilà maintenant la troisième fille qui disparaît sans laisser aucune trace et vous vous restez là derrière votre comptoir ? Vous savez que j'ai des enfants moi monsieur ? Vous en avez des enfants vous ? Moi oui. Et j'ai peur pour eux ! Je n'ose même plus les laisser aller seuls à l'école ! Et vous pensez que je peux toujours être derrière eux moi monsieur ? Qu'est-ce qui se passe chez vous ? Pourquoi vous ne faites rien ? La ville n'est pas si grande que ça ! Trois filles monsieur ! Trois ! Qui sera la prochaine ? Et vous n'en avez retrouvé aucune ? Sont-elles encore en vie ?
-Nous nous efforçons de faire notre travail, madame. C'est pourquoi nous demandons à chaque citoyen de nous fournir toutes les informations nécessaires à notre enquête. Si vous avez des informations pour nous, dites-les moi, je les transmettrai à mes supérieurs. Sinon, je vous prierai de bien vouloir m'excuser, nous avons du travail mes collègues et moi, et vous n'êtes pas la seule à venir nous voir aujourd'hui, comme vous pouvez le constater.
- Evidemment que je vois. Vous voulez des informations ? Moi je dis que vous devriez vous intéresser aux gens qui ne sont pas de la ville. Et vu que ce sont des filles qui ont disparu, je vous conseille de chercher auprès des hommes. Oh mon Dieu ! Qu'a-t-il pu leur faire qui qu'il soit ?
-Merci madame, si c'est tout veuillez laisser la place aux suivants."
Toujours colérique, la grosse femme s'éloigna du comptoir à contre coeur et lança des regard noir aux gens de la file. Lorsqu'elle croisa le visage de Miyoko elle s'arrêta. Sa bouche se tordit en une sorte de sourire tellement crispé par la peur qu'il n'était pas beau à voir. La fillette ne parut pourtant pas effrayée et elle sourit à la grosse femme qui leva les yeux au ciel et sortit du commisariat.