Nul, dans la région, n’avait oublié les crimes et les atrocités commises par William Hamleigh. Tôt ou tard, ce dernier finirait par en répondre, mais, en attendant, il était évident que l’un des plus chers désirs de la Reine était de lui faire payer cet affront. Et le sort qu’elle lui réservait promettait d’être particulièrement sinistre. Comme le disait le vieux proverbe, rien n’était plus terrible que la vengeance d’une femme, et, quand cette dernière disposait de pouvoirs surnaturels, la vengeance en serait d’autant plus terrible. Malheureusement, Élise savait aussi qu’elle ne pouvait pas attaquer cet homme comme ça. Elle avait longuement pesé le pour et le contre, et cette attitude pacifiste semblait étonner Linda, puisqu’elle proposa d’inverser les rôles.
Restant silencieuse, Médonée l’observa, attendant qu’elle poursuive, sentant que la jeune invitée n’avait pas terminé ses explications. Et, comme elle s’y attendait, Linda vint en effet poursuivre :
« Unissez-vous, attaquez-le, et ce sera fini. Je vois mal cet imbécile, tout seigneur qu’il est, résister bien longtemps à une invasion d’araignées et de Terranides en colère. Ses gardes ne sont probablement pas stupides, ils verront bien que c’est une mauvaise idée de rester dans le coin et ils partiront, ou au moins une partie d’entre eux. »
Médonée ne dit rien, se contentant d’observer les Terranides. Pouvait-elle les imaginer se battre ? Ils étaient d’anciens esclaves, et étaient très peureux. Certes, ils étaient agiles, avaient des griffes mortelles, mais ceux d’en face avaient des armures, suffisamment solides pour résister à leurs griffes, et des armes mortelles. Le château de William était un véritable fort, avec une garde complète. Médonée nuança donc rapidement cette assertion :
« On ne peut pas compter sur les Terranides, ce ne sont pas des guerriers. Quant aux araignées... J’ose à croire qu’elles feraient la différence sur un champ de bataille, mais... Vois-tu, si Hamleigh n’est pas aussi inquiété que ça par ces seigneurs, et si ces derniers ne déclenchent pas d’enquête à son sujet, c’est parce qu’il satisfait à ses obligations militaires et fiscales. »
Une plainte n’aurait pas eu grand effet, car les agents royaux délégués auraient, soit été corrompus par l’or de William, soit ce dernier se serait débrouillé pour qu’ils ne voient rien. Il était tellement facile de dissimuler la vérité, et l’agressivité naturelle de William était encadrée par l’intelligence de sa mère, Regan, qui était aussi sournoise que talentueuse. Une rumeur persistante dans la région était de considérer que les deux nouaient une relation incestueuse, et qu’ils s’étaient débarrassés de Percy, le père de William, ancien duc de la région, en le condamnant à mort. Tout ça ressemblait presque à un conte de fées, si ce n’est qu’il n’y avait aucun héros en armure étincelante pour venir sauver ces terres... Rien d’autre qu’une femme-araignée qui faisait également l’objet de rumeurs effrayantes.
La prêtresse d’Élise s’avança un peu. Les Terranides continuaient tranquillement à dormir, et elle expliqua un peu à Linda comment les choses s’étaient goupillées :
« William a déjà tenté de nous attaquer. Il a envoyé des troupes, et nous les avons annihilé. Depuis cette époque, il préfère nous oublier, et se consacrer à d’autres problèmes, notamment ses conflits territoriaux avec d’autres duchés. Pour autant, il dispose d’une solide armée, et nous, nous ne sommes qu’une forêt. Si nous assiégeons son château, nos chances de victoire sont assez minces. Et, quand bien même nous y arriverons, le royaume ne pourrait pas laisser l’un de ses duchés tomber entre les mains d’une femme qui ne descend pas de la noblesse, et qui n’est pas assujettie au pouvoir en place. »
Elle secoua ensuite la tête.
« Il faudrait s’engager dans une guerre d’usure, amener les paysans à la révolte, tout en attaquant les convois militaires d’Hamleigh... Mais nous n’avons qu’une forêt à lui opposer. Il est facile de la brûler. »
Élise était ainsi tiraillée entre le souci de préserver sa forêt, et celui de se venger. Pour l’heure, c’était le souci de préservation qui dominait, orienté en ce sens par la volonté des villageois et des Terranides, qui n’avait pas spécialement envie de se retrouver mêlé à une guerre. Les araignées, de surcroît, étaient avant tout des créatures défensives, qui tissaient leurs toiles pour se défendre. Elles pouvaient protéger à la perfection des zones, mais, pour ce qui était d’un assaut, leur utilité était sensiblement réduite. Il y avait un risque, un risque élevé, et c’était ce risque qui expliquait le fait qu’Élise se refusait à intervenir.