Shitty Day [PV]

***

Thibault se promène, comme il le fait très souvent. Sauf que cette fois, il n’est pas dans une grande plaine. Non, aujourd’hui, Thibault explore les ruelles sombres d’une ville qu’il ne connaît pas. C’est-à-dire d’une ville, puisque Thibault n’en connaît aucune.

Il se retrouve, en marchant au hasard, dans une rue à l’aspect plus qu’inquiétant. Mais il n’a pas peur. Il n’a jamais peur. Il y en aura forcément pour dire que c’est parce qu’il est idiot. D’autres diront que c’est parce qu’il est intelligent. Thibault n’écoute ni les uns ni les autres.

Un homme s’approche de lui. Thibault se tourne vers lui. C’est un humain. Enfin…ça ressemble à un humain, en tout cas. Il lui parle. Son vocabulaire est étranger à Thibault, mais la compréhension reste possible. L’homme lui propose…quelque chose. Il lui demande ce qu’il veut. Question difficile… Thibault n’a pas confiance en cet énergumène, mais il a envie de rentrer dans son jeu, juste pour savoir ce qu’il a l'intention de lui « refiler ».

-Je ne sais pas trop… Montrez-moi ce que vous avez.

Plus il regarde son interlocuteur, plus il a envie de partir, de s’éloigner de lui. Mais il reste quand même. Il est curieux, après tout. Il veut savoir. Savoir ce que cet homme va lui montrer. Savoir comment va se terminer cette histoire…

***

Le trafiquant, car il s’agit de toute évidence d’un trafiquant, ouvre brusquement son manteau pour laisser voir à Thibault toute une collection d’objets divers et variés, tous plus suspects les uns que les autres. Il y a vraiment de tout et de n’importe quoi. Surtout n’importe quoi, à bien y réfléchir.

Thibault promène avec curiosité son regard sur tous les objets, tentant de déceler leur nature le plus vite possible car il y en a beaucoup et il ne veut pas y passer des heures. Mais rien ne retient son regard, rien n’attire particulièrement son attention.

Rien sauf peut-être… Le jeune homme aperçoit brièvement une pointe de lumière d’un mauve un peu tremblotant. Un bocal. Il y a quelque chose à l’intérieur. Mais il n’a pas le temps de voir ce que c’est, car l’autre lui agite brusquement quelque chose sous le nez, le forçant à s’écarter dans un mouvement de recul instinctif. Du bout de deux doigts, Thibault enlève le bras beaucoup trop proche de son champ de vision et fixe le trafiquant dans les yeux.

-Non merci, ça ne m'inspire pas vraiment confiance. J’ai repéré un objet plus intéressant je crois. Ce bocal, là, que contient-il ?

Il pointe du doigt l’objet en question, bien décidé à ne rien écouter de ce que dira cet homme tant qu’il ne lui aura pas expliqué en détail pourquoi la chose dans le bocal ressemble à un être vivant, puisqu’elle semble avoir tourné la tête vers Thibault.

-Qu’est-ce que c’est ? Est-ce que c’est vivant ? Si c’est le cas, vous risquez d’avoir des ennuis…

L’homme, après un éclat de rire et une remarque quelque peu étrange, brandit fièrement le bocal juste devant Thibault, qui encore une fois recule d’un pas pour pouvoir voir quelque chose. Et ce quelque chose, c’est une petite silhouette à forme a priori humaine, même si sa taille ne l’est pas. Le trafiquant affirme que cette personne, car il faut bien admettre que c’en est une, est une fée. Thibault n’ayant jamais entendu parler de cette espèce, il ne peut que croire sur parole cet énergumène hystérique dont il a plutôt envie de se méfier.

Et justement, comme pour prouver qu’il est tout sauf fiable, celui-ci se met à agiter le bocal dans tous les sens, la fée à l’intérieur se retrouvant baladée de paroi en paroi. S’il y a une chose que le jeune Esprit a compris sur ce qu’on appelle commerce, c’est qu’il ne faut pas abîmer ce que l’on vend. Ce que cet imbécile est manifestement en train de faire sans scrupule. La vision de la fée secouée de tous côtés arrache à Thibault une grimace d’agacement. Il faut que ça s’arrête.

Alors que de la poudre remplit peu à peu le bocal et que la prisonnière asphyxiée montre son…mécontentement, le trafiquant annonce le prix. Une somme que Thibault est à peu près certain de ne pas avoir. Il s’apprête à le dire, mais il voit au même moment la petite fée écrire quelque chose sur la paroi du bocal. « SOS ». Thibault ne comprend pas ce mot, mais il comprend très bien l’expression désespérée de la prisonnière : elle veut sortir et elle l’appelle à l’aide.

-700 pièces d’or, vous dites ? Je vais voir si j’ai ça.

Réfléchissant à toute vitesse, Thibault soulève un pan de sa cape, laissant voir son épée, et cherche la petite sacoche qui lui sert à ranger ses quelques pièces. Il prend son temps pour être certain que le trafiquant a bien vu l’arme. Puis il compte ses pièces.

-Ah. Non, j’ai bien l’impression que ça ne suffira pas. Mais je peux vous proposer une autre alternative.

Il range la sacoche et fixe l’homme d’un regard qui pourrait presque jeter des poignards.

-Vous me donnez cette fée, et moi en échange je ne vous livre pas aux autorités. Je suis certain que vous êtes un homme intelligent, derrière votre carapace de bêtise profonde, et que vous comprendrez où est votre intérêt.

Il posa la main sur la garde de son épée dans une attitude qui ne laissait aucune place au doute : soit le trafiquant acceptait, soit il faudrait l’emmener voir un médecin avant toute autre chose.

L’homme éclate de rire. Il n’a manifestement pas peur de ce qui pourrait lui arriver. Il ne se rend pas compte de qui il a en face de lui. Il ne se rend pas compte qu’il est en train de mettre son interlocuteur en colère, et que cette colère pourrait bien se révéler dévastatrice. Non, il ne se rend pas compte de tout ça et il n’a pas plus peur de Thibault que d’un petit enfant armé d’un bâton. Il adopte une attitude assez déroutante, un peu ridicule même, sautillant sur place et battant des bras comme s’il voulait frapper…rien du tout, en fait.

Pas le moins du monde impressionné, Thibault le regarde faire, avec toujours la même expression sur le visage. Il l’écoute lui balancer des phrases qui n’ont apparemment aucun sens. Il commence, lentement, imperceptiblement, à dégainer son épée. Il en a assez de cet énergumène.
Le trafiquant, de son côté, sort de son manteau un objet dont Thibault sait que c’est une arme, même s’il n’en a jamais vu en action. En d’autres circonstances il aurait voulu examiner très attentivement l’objet, mais là il avait juste envie que tout ça se termine. Rapidement.

-Pardon si je n’ai pas l’air impressionné, mais j’avoue que vous m’énervez plus qu’autre chose.

Il tire brusquement son arme et, rapide comme le vent (ce qu’il est, pour ceux qui auraient oublié), la place juste sous la gorge du trafiquant. Leurs deux visages sont maintenant à quelques centimètres l’un de l’autre. Thibault s’approche encore un tout petit peu plus et chuchote :

-Je crois que nous nous sommes mal compris. Vous arrêtez immédiatement de me prendre pour un imbécile, vous me donnez cette fée, et on oublie tout ça. Ou alors vous continuez de m’énervez, et là je crois qu’il va falloir ramasser les morceaux de votre corps à travers toute la ville. Le marché vous paraît-il équitable ?

La question est purement rhétorique, bien sûr. Elle permet à Thibault de se concentrer sur quelque chose, ce qui lui évite de se mettre tout de suite en colère. Et justement, sa colère commence à se voir sur son corps, puisque, en plus de ses yeux qui jettent des éclairs, son bras tremble comme s’il avait envie de sang. Et ça, il faudrait être aveugle pour ne pas le voir et idiot pour ne pas en tenir compte…

L’homme panique à l’idée que sa tête puisse se désolidariser du reste de son corps. Il se met à trembler. Il demande à Thibault de se calmer. Oh oui, Thibault ferait mieux de se calmer ! Mais il n’en a pas envie. Pas tout de suite. Il veut d’abord ce fichu bocal, avec la créature qu’il contient. Et sa patience a des limites.

Heureusement pour lui, l’autre annonce qu’il lui offre ce qu’il demande. Thibault prend donc le bocal. Il ne regarde pas la fée à l’intérieur. Il fait seulement attention à ne pas trop la secouer. Le trafiquant lui demande de « se barrer », ce que Thibault comprend de cette façon : « Va-t’en, tu me fais tellement peur que je n’ose même pas prendre mes jambes à mon cou pour sauver ma peau. » Comme quoi, la colère n’aide pas à réfléchir correctement…

-Oui, je m’en vais. Mais je vous donne un conseil, avant ça : la prochaine fois que je viendrai ici, et croyez-moi je reviendrai, vous avez tout intérêt à soit avoir changé de métier, soit ne plus être dans les parages.

Thibault s’apprête à tourner les talons pour partir quand il a tout à coup un mauvais pressentiment. Ne pas tourner le dos à son adversaire, disent les humains. Il fait un demi-sourire et reprend sa forme originelle. Comme il tient toujours le bocal dans sa main, celui-ci subit également la transformation, et ils redeviennent matériels quelques rues plus loin, à l’abri des regards.

Le jeune Esprit a eu le temps de se calmer et son sourire habituel est revenu sur son visage. Il regarde sa nouvelle acquisition.

-Bonjour. Désolé pour toute cette scène, mais il m’énervait vraiment trop.

Il rengaine son épée et enlève le couvercle du bocal.

-Allez, sors de là. Ça me fait mal au cœur de te voir piégée là-dedans.

Dès que le bocal est ouvert, la prisonnière ne se fait pas prier pour en sortir. Elle examine Thibault comme si elle le jaugeait, comme si elle le jugeait. Thibault lui rend son regard, calme et à nouveau souriant. Finalement, elle le remercie. Elle n’a pas l’air d’avoir l’habitude de remercier les gens. Peut-être n’est-elle pas souvent dans des situations où elle aurait besoin d’aide extérieure. (Ou alors c’est juste une créature hautaine, mais Thibault est un peu trop idiot pour penser à cette éventualité.)

La fée lui conseille de ne pas traîner dans le coin. Ou quelque chose qui s’en rapproche, puisqu’elle utilise un vocabulaire que Thibault a du mal à comprendre. D’après elle, les humains de cette ville sont adeptes de l’esclavage, en particulier l’esclavage de créatures non-humaines. Ce qui amena le Cavalier à penser qu’il s’était trahi et qu’il avait dévoilé sa vraie nature.

La créature semble pensive, comme si elle avait du mal à croire qu’elle était libre. Thibault, lui, a du mal à croire que l’esclavage puisse être toléré. Mais il reste calme. Il n’a pas envie de piquer une deuxième colère aujourd’hui, les conséquences risqueraient de s’étendre sur tout le quartier.

« T’es une sorte de Sylphe c’est ça ? C’est quoi ton nom ? Moi, je suis Praline. »

Thibault tique sur le mot « Sylphe ». Qu’est-ce que c’est ? Le mot ressemble à « sylve », dont le jeune Esprit sait qu’il signifie « forêt ». Est-ce que ça veut dire que la fée le prend pour une créature des bois ?

-Je m’appelle Thibault. Je ne suis pas un Sylphe, et à vrai dire je ne sais même pas ce que c’est. Mais peut-être peux-tu me renseigner ? Tu as l’air de savoir pas mal de choses sur les gens d’ici.

Il en profite pour examiner Praline un peu plus attentivement. Et il finit par trouver ce qui le perturbait : son aile froissée. Elle a dû être abimée par le malmenage subi à cause du trafiquant.

-Ah, et puis… Combien de temps ton aile mettra-t-elle à se réparer ?

Ce n’est pas qu’il veut qu’elle s’en aille, c’est juste qu’il veut savoir combien de temps il devra la garder avec lui et, par extension, la protéger. C’est juste par souci pratique.

Un Sylphe est donc un génie. Bon à savoir. En fait, beaucoup d’informations sont bonnes à savoir, si l’on y réfléchit un peu. Mais celle-ci semble particulièrement intéressante à Thibault. Un génie de l’air... Reste à savoir maintenant ce qu’est un génie, mais Thibault sait qu’il n’en est pas un.

-Je ne suis pas un Sylphe, mais effectivement nous nous ressemblons assez.

La remarque suivante de Praline est au sujet de…sa forme ? Qu’est-ce que ça veut dire ? A-t-elle plusieurs apparences, comme lui ? Le jeune Esprit écarte cette question pour se concentrer sur ce que la fée dit ensuite. Elle lui parle de « bon » jour, qui apparemment n’est pas pour aujourd’hui, de régénération, et explique qu’elle aura besoin de sommeil, mais dans d’autres conditions extérieures.

Elle grimpe le long de sa cape pour aller se poster sur son épaule. Il la laisse faire. Il pose le bocal sur un rebord de fenêtre. Il n’en a pas besoin, inutile de le garder, il ne ferait que le gêner.

Praline conseille au jeune Esprit de rester discret en ce qui concerne ses pouvoirs, apparemment au risque de se faire capturer par un esclavagiste. Il se promet de suivre ce conseil. Hors de question qu’il se fasse capturer !

« Bref'. T’avais un truc spécial à faire ici ?»

Ah. Cette question. La question qui fâche. Pourquoi ? Parce que Thibault n’a JAMAIS un « truc spécial » à faire quelque part. Bon, d’accord, il y a des exceptions, mais elles se comptent sur les doigts d’une main humaine. La question de Praline force donc le jeune homme à réfléchir.

-Eh bien… Pas vraiment, non. En fait, je suis juste un voyageur, je passe mon temps à errer sans but réel. J’explore, je découvre. C’est tout. Et comme je ne connais pas très bien Nexus, je me suis dit que j’allais me balader un peu. Tu pourrais me servir de guide, qu’en dis-tu ?

[Hj: Pas très inspiré non plus, je l'avoue. On fera mieux la prochaine fois.]

La fée n’a pas envie de lui servir  de guide. Sa réponse en témoigne mieux que n’importe quel long discours ou démonstration. Elle dit vouloir rentrer chez elle, avec Thibault pour l’accompagner. Il n’est pas contre, mais la façon qu’a Praline de contourner sa demande ne lui plaît pas trop. Par contre, son langage, comme sa curieuse manie de lui donner des surnoms est vraiment amusant. C’est la (seule ?) raison pour laquelle il continue de l’écouter attentivement.

Elle change cependant d’avis, assez rapidement en fait. C’est louche. Ça cache forcément quelque chose. Mais devinez quoi ? Thibault est trop naïf pour y penser. Il gobe presque complètement l’histoire de Praline sans se poser de questions.

Elle se cache dans les plis de la grande cape, près du cou de Thibault, et parle encore.

"Ce qu’elle est bavarde ! Mais au moins ça me permettra peut-être d’apprendre des choses utiles, entre deux phrases étranges."

Elle lui parle des soldes, chose que Thibault ne connaît pas vraiment. Oh, bien sûr il en a entendu parler, à force d’écouter des humains discuter entre eux, mais il n’a jamais bien compris à quoi ça correspond exactement.

« Prends la rue qui te plaît le plus, enfin sauf celle-là, celle-ci et l'autre au bout.»

C’est pas comme s’il n’en restait plus qu’une seule… Le jeune Esprit avance donc vers la seule rue qui ne vient pas de lui être déconseillée.

-Tu voulais que je te raccompagne chez toi, c’est bien ça ? Où habites-tu ? Je veux bien te raccompagner, mais pour ça je vais avoir besoin d’un peu plus d’informations.

Thibault entend à peine la réponse de Praline. Il parvient tout de même à comprendre qu’elle a mentionné les terres sauvages. Pas plus embêté que ça à l’idée de devoir y aller, il hoche simplement la tête.

La caractéristique la plus notable du jeune Esprit, c’est sa curiosité maladive et insatiable. C’est également son plus grand défaut, puisqu’il n’hésite jamais à se mettre en danger pour satisfaire cette curiosité. Idiot ? Oui, un peu. Il écoute avec la plus grande attention tout ce que lui dit la fée bavarde. Plus il en entend, plus il est content. Et visiblement Praline est aussi contente de lui raconter tout ce qu’elle sait sur Nexus. Ces deux-là étaient vraiment faits pour s’entendre…

La visite guidée dure un certain temps, Thibault notant dans son esprit tout ce qu’il estime intéressant, c’est-à-dire en gros les neuf dixièmes du blabla incessant de Praline. Puis elle s’arrête de parler. Quelques minutes, juste le temps pour le jeune homme de se rappeler ce qu’est le silence. Et elle reprend la parole pour changer totalement de sujet :

« ...Bon, Ma petite tartelette aux fruits des bois, tu pourrais me raccompagner à la maison maintenant, s'il te plaît ? On a bien visité Nexus tu ne trouves pas ? »

-Si. Merci beaucoup pour la visite, d’ailleurs. Et maintenant, dir-

Il n’a pas le temps de finir sa phrase. Bousculé, il se retrouve contre un mur. La petite fée à la langue bien pendue surgit d’un coup et crache tout son venin à la figure de…la montagne de muscles ?!

"Houlà, je n’avais jamais vu un humain aussi grand !"

Pas le moins du monde inquiet, Thibault laisse Praline converser à grand renfort de hurlements avec l’autre homme. Mais la « discussion » s’envenime rapidement et vire à la bataille verbale.

-'Azy Thibault ! Casse-lui sa grande gueule !

En un éclair, la main qui se dirigeait vers la fée est bloquée par celle du jeune Esprit. Il soupire.

-Laissez tomber, ça ne rime à rien. Vous ne pouvez pas discuter avec elle, et vous ne pouvez pas me tenir tête au corps à corps.

Ce n’est pas de la frime. Énoncée sur un ton désabusé, cette phrase est la pure vérité. Pour être sûr d'être bien compris, il écarte le pan de sa cape derrière lequel est cachée son épée, dévoilant l'arme, sans menace cependant.