« Il a eu Thomas !
- Retrouvez-le ! Remuez ciel et terre, s’il le faut, mais RETROUVEZ-LE !
- Il pleut comme une putain de vache qui pisse, on y voit que dalle !
- Alors, c’est ça que tu veux que j’aille dire au Maître ? Qu’on a laissé le fugitif s’enfuir parce qu’on avait peur de quelques gouttes ?
- Non, non, bien sûr ! Mais ce type... On aurait du le rattraper, il est pas humain !
- ’Dis pas de conneries, il est aussi humain que tu es con. »
La pluie tombait dru, perdant les points de repères, plaquant sur son crâne ses cheveux. Torse nu, Cahir frissonnait, grelottant, sachant très bien que, à ce stade, son véritable problème, outre les tueurs esclavagistes qui le traquaient et leurs maudits chiens, les privations de nourriture et de sommeil, seraient la pluie. Il sentait l’eau lui tomber dessus, abaissant substantiellement sa température corporelle. Un bel orage tombait dans cette région boisée, et il ignorait où il se rendait. Ne pouvant plus voir le soleil, il était perdu depuis deux heures dans la forêt, avançant au gré, ce qui l’avait ramené, à plusieurs reprises, sur ses propres pas. L’apatride tournait en boucle, mais ceux qui le traquaient, eux, avaient de solides chevaux, des armures complètes, des armes, et, surtout, des chiens de chasse. Si ces maudits chiens le rattrapaient, Cahir n’avait aucune chance... Du moins, jusqu’à maintenant.
Dans l’une de ses mains trempées, il tenait une épée, qu’il venait de voler à un homme, visiblement Thomas. Le bandit lui était tombé dessus. Avec sa côte de mailles, son heaume, et son épée luisante, il s’était dressé face à Cahir, qui n’avait réussi à le tuer qu’en parvenant à le renverser dans un ravin. Descendant dans ce dernier, il avait récupéré l’épée, avant de fuir rapidement.
Son pantalon de bagnard était troué par endroits, révélant des plaies et des ecchymoses. Des blessures superficielles. De la main, l’apatride essuya sa bouche trempée, ses doigts glissant sur sa barbe naissante. Voilà bien une semaine qu’il n’avait pas eu l’occasion de se raser.
*J’ai vraiment pas eu de bol, mais je me plaindrais de mon propre sort plus tard...*
L’homme s’avança rapidement, essayant de s’abriter sous les arbres, afin de recevoir le moins de pluie possible... Ce qui ne marchait pas vraiment. Il espérait tomber sur un village, car il savait, pour avoir regardé la région avec une carte, qu’il en existait plusieurs, mais, sans aucun moyen de se repérer, tomber sur eux relevait de la pure chance. Tout en marchant, ses pensées revinrent, bien malgré lui, à ce qui s’était passé.
Il se rappela les flèches qui pleuvaient autour de lui quand il avait réussi à sortir du fort en ruines. Il avait brisé le coud ‘une sentinelle avant de se mettre à courir, tandis que les archers, depuis les créneaux, lui balançaient une série de flèches. L’une d’elles s’était fichée dans le mur, tandis que les cavaliers étaient sortis, emmenant avec eux des chiens sauvages qui l’avaient traqué, filant à travers les arbres et les racines. Cahir n’avait pu leur échapper qu’en atteignant une rivière, dont le courant l’avait amené vers une petite cascade, lavant son corps, et faisant disparaître ses traces.
Ce fort en ruines était le repaire d’une bande de truands et de bandits qui s’en servaient comme plateforme pour leurs trafics, s’articulant essentiellement autour du trafic de stupéfiants et de la traite d’humains. Des individus qui avaient doublé Cahir. Pour leur compte, il avait effectué une mission, en pensant avoir affaire à un commerçant de bonne foi. Tout avait ainsi réellement commencé dans une auberge, où, répondant à une annonce de prime, il s’était entretenu avec un certain Lambert Mauroy, qui lui avait expliqué des elfes sauvages et rebelles, qui avaient violé plusieurs femmes dans la région, avaient volé sa marchandise, et qu’il entendait, moyennent sommes d’ors, la récupérer. Cahir avait accepté la mission, sachant que, dans ce genre de régions, il était fréquent que les non-humains combattent les humains. Le racisme était assez fréquent. Malheureusement, cette histoire d’elfes était un pieux mensonge. S’il y avait bien des elfes, ceux-ci n’étaient pas des violeurs, mais simplement des réfugiés, qui s’étaient enfuis dans la forêt après avoir appris que le village en question était vendu aux mains d’un seigneur de guerre, une sorte de tyran local. Le rôle de Cahir avait été d’amener les bandits près des réfugiés elfes. Il s’était vaillamment battu, mais les ennemis étaient supérieurs en nombres. Voyant la hargne de l’apatride, ils avaient préféré le neutraliser, afin de le vendre comme gladiateurs.
Leur fort en ruines faisait office de prison, abritant de nombreux esclaves, et Cahir avait également compris que plusieurs notables et autres bourgeois de grandes villes s’y rendaient pour une sorte de marché noir. Des combats clandestins illégaux étaient organisés, ainsi que de la prostitution, qui s’apparentait plus à une forme de viol. Humilié, battu, Cahir avait médité son plan d’évasion. Il était plus résistant que ce que ses geôliers pensaient, et avait passé plusieurs journées à être un prisonnier docile, travaillant dans la cour à casser des morceaux de pierre, activité dont le seul intérêt était de briser physiquement les prisonniers, afin de repérer les lieux.
Son évasion s’était passée moins bien que prévu, mais il avait réussi à sortir. Son désir initial avait été de se procurer des armes et des vêtements, et la seule arme qu’il avait récupéré en s’échappant, la dague de la sentinelle qu’il avait tué, avait été parti dans la cascade qui l’avait éloigné du fort.
Depuis, il jouait à cache-cache depuis plusieurs jours avec ses poursuivants. Il avançait dans la forêt, élaborant des fausses pistes, et, si ces derniers le rattrapaient, il avait réussi à leur échapper. La forêt était dense, et il ignorait totalement où il était.
Les bandits avaient réussi à le rattraper plus qu’il ne l’aurait pensé. Sa rencontre avec le regretté Thomas l’illustrait. Le plan de Cahir était, d’une part, de leur échapper, et, d’autre part, d’aller récupérer son équipement, son cheval, et de leur faire comprendre qu’on ne l’attaquait pas impunément.
Il avançait dans la nature, errant, et s’arrêta contre un arbre, épuisé. Au loin, il entendait les chiens aboyer, et, en continuant à marcher, il se rapprocha d’une petite mare. Il s’arrêta devant cette dernière, voyant des oiseaux courir sous sa surface, au milieu des gouttes d’eau.
*Le plus terrible, c’est de ne pas savoir si j’avance ou si je recule...*
Cahir soupira à nouveau, et reprit sa marche, boitant à moitié. La blessure avait juste besoin de repos, mais le repos était quelque chose qui lui était refusé dernièrement. Il se contentait de marcher, et parvint sur un sentier en pente, une butte qu’il entreprit de grimper. Son pied heurta une racine, et il tomba sur le sol, geignant de douleur en ouvrant son genou contre les cailloux sur le sol.
« Ah, putain de pluie de merde... »
À quatre pattes sur le sol, Cahir soupira lentement, avant d’entreprendre le geste de se relever. Tout son corps lui semblait être une machinerie en piteux état, et, alors qu’il avançait, il avait le sentiment que sa vision lui jouait des tours. Devant lui, une forme noirâtre semblait être en train de s’élancer vers le ciel... Comme s’il était face à une tour.
Un éclair illumina alors le ciel, et il put constater qu’il y avait effectivement une tour. Décidé, Cahir se mit à marcher vers cette dernière, priant tous les Dieux qu’il connaissait pour que cette maudite tour soit ouverte.