«
Équipe Omega, en position. »
Le supérieur de Nathan cracha l’ordre en s’écrasant contre le mur, près de la porte d’entrée du luxueux duplex. L’information que le capitaine Suchui venait d’aboyer était à disposition du Central, qui supervisait l’opéraiton des forces d’intervention, menée sous trois angles différents :
- L’équipe Oméga, menée par le capitaine Suchui, était passée par l’ascenseur pour rejoindre l’entrée du duplex, et avait pour ordre d’investir le bâtiment depuis cette position ;
- L’équipe Bravo, dirigée par le capitaine Takedi, devait passer par les toits, et descendre en rappel pour rejoindre les baies vitrées de l’immeuble, d’où ils débarqueraient en force, éventuellement en balançant des fumigènes ;
- L’équipe Tango, commandée par le capitaine Nahora, se chargeait de passer par l’étage supérieur, où, d’après les plans du bâtiment, il y avait une autre entrée, condamnée, datant de la reconstruction de l’immeuble suite à un incendie il y a plusieurs années.
L’immeuble en question était un gratte-ciel huppé du centre-ville. Quelques grosses compagnies d’affaires avaient leurs sièges sociaux aux étages inférieurs, tandis qu’une autre partie de l’immeuble comprenait des appartements destinés à la location. L’immeuble appartenait à une société immobilière, qui, comme la plupart des propriétaires terriens de la ville, appartenaient en sous-main à des Yakuzas. Le prestigieux gratte-ciel abritait, pêle-mêle, deux conseillers municipaux, trois juges, un notaire, et une dizaine de business-men. Une compagnie de sécurité privée surveillait le gratte-ciel, et personne ne pouvait entrer sans un passe. Le hall d’entrée comprenait des portiques de sécurité, des gardes, et offrait des colonnes de marbre, dans un style purement occidental, à l’image de la clientèle qui le composait majoritairement, les hommes d’affaires venant généralement d’Europe. En d’autres termes, on n’entrait pas dans ce gratte-ciel comme dans un bâtiment miteux de la Toussaint. Il était assez difficile de penser que ce bâtiment abritait un monstre, un criminel international qui avait défrayé la chronique, mais le doute n’était désormais plus permis.
Au terme d’une enquête judiciaire de longue haleine, la police avait enfin obtenu un mandat de la part du Procureur, leur permettant de mener une opération policière musclée pour appréhender Samuel Gotô. Quarante-trois ans, sans enfant, ressemblant à un échalas, Gotô était un homme d’affaires qui voyageait fréquemment. On l’avait récemment vu à Dubaï, pour la conclusion d’un gros contrat. Il travaillait comme expert-comptable et expert juridique dans différentes sociétés de courtage et d’import/export internationaux. Son acte d’état civil mentionnait qu’il était célibataire. L’enquête de la police avait déterminé que l’homme avait perdu sa mère, et que son père était dans un asile. Le gosse avait sept ans, et la police, en allant voir l’hôpital psychiatrique, avait appris quantité d’informations intéressantes. Le volumineux dossier était aussi épais qu’un Titanic surchargé prêt à défoncer n’importe quel iceberg judiciaire.
Le père de Samuel avait tué sa femme sous les yeux de Samuel, et, d’après les psychiatres qui le suivaient, il s’agissait d’un rite initiatique, que le père de Samuel tenait lui-même de son père. Il affirmait vouer un culte à un démon, et ce dernier lui avait demandé de tuer des femmes, selon un mode bien précis, pour pouvoir obtenir leur essence sacrée, et devenir un sorcier maléfique extrêmement puissant. Il avait été incarcéré par la police locale plusieurs mois après le meurtre de sa femme, et les inspecteurs soupçonnaient maintenant que Samuel Gotô avait été embrigadé par son père, et qu’il aurait même participé au meurtre de sa mère. Une hypothèse assez difficile à concevoir, pour un gamin de sept ans, mais Nathan savait que les gosses pouvaient aisément reproduire les actes de leurs aînés. Il avait notamment appris qu’un enfant de six ans avait été placé dans un foyer pour avoir tenté de faire une fellation sur une camarade, l’enquête des services sociaux ayant révélé, par la suite, que sa mère faisait ce genre de choses devant ses «
tontons », une multitude d’hommes différents que la femme, une dépressive depuis de longues années, rencontrait dans des bars.
Dans tous les cas de figure, Samuel Gotô était un dangereux psychopathe, un malade mental qui était responsable de la mort de plus d’une cinquantaine de personnes à travers le monde. L’enquête, qui ne stagnait pas d’un pouce pendant plusieurs semaines, avait fini par s’orienter vers ce suspect. Ce n’était pas ses empreintes génitales qui l’avait trouvé, mais sa voiture. À l’aide de traces de pneus retrouvés dans les terrains vagues et près des entrepôts où il abandonnait ses victimes, l’équipe scientifique avait réussi à retrouver les pneus utilisés, puis, à partir de là, le type de voiture. Les pneus utilisés correspondaient à un lourd véhicule. Gotô avait un Range Roger Evoque, véhicule suffisamment gros pour lui permettre de transporter les corps de ces victimes, et les abandonner.
Les traces de pneus avaient été un premier indice.
«
Oméga, restez en position, Bravo déploie les filins. Le suspect est dangereux. »
Suchui hocha la tête, soucieux de suivre les procédures, même si cela risquait de mettre la vie d’une éventuelle personne capturée en danger.
Les traces de pneus s’étaient recoupés avec d’autres indices, notamment les recherches menées auprès de professeurs en occultistes. Il apparaissait clairement que les scarifications subies sur le corps des femmes avaient quelque chose de rituel. Les policiers en charge de l’enquête s’étaient lancés dans la recherche des sectes démoniaques à Seikusu. Il y en avait tout un tas. Différents responsables de sectes, de simples escrocs, effrayés à l’idée d’être accusés de complicité de meurtre, avaient parlé de plusieurs de leurs disciples, des adeptes persuadées de devenir des succubes en multipliant les tournantes avec d’autres adeptes. Ces femmes faisaient partie des victimes retrouvées par la police. En recoupant les différentes sectes où les victimes avaient lieu, et en obtenant les noms des adeptes (les sectes se dissimulant généralement sous la forme d’associations, la police pouvait librement obtenir la liste des membres en consultant les statuts des associations), plusieurs noms étaient apparus.
Samuel Gotô avait ainsi émergé. Une rapide enquête avait permis de voir que ce dernier disposait d’une solide Range Rover. Sur la base de ces éléments, la police avait demandé une perquisition. Si le suspect potentiel aurait été un zonard de la Toussaint, le juge aurait donné droit à cette demande, mais il avait refusé, au motif que l’enquête policière ne présentait pas de «
pistes et de preuves concluantes », simplement des «
élucubrations et des déductions ne reposant sur aucun élément matériel tangible ou concret ». La vérité était qu’on ne voulait pas déranger les pensionnaires d’un des gratte-ciel les plus riches de la ville.
Il avait donc fallu étoffer le dossier autour de Samuel Gotô, notamment en allant dans sa ville natale, un petit village paumé perdu dans les profondeurs du Japon. Ceci avait retardé l’affaire d’une ou deux semaines, à la grande rage des policiers. Avec ce nouveau dossier, le juge avait du finir par admettre que les concordantes étaient trop fortes, et avait autorisé une arrestation.
«
Contrôle, nous sommes en position, prêts à intervenir... Je vous rappelle que, selon les résultats de l’enquête, il y a une otage là-dedans ! Chaque seconde que nous perdons à... -
Équipe Oméga, suivez scrupuleusement les ordres. Le suspect est dangereux, instable. »
Suchui grinça des dents en soupirant. Attendre, c’était ça qu’il y avait de pire. Les policiers portaient des armures de combat, ainsi que des armes automatiques assez redoutables. L’éclairage avait été coupé dans le couloir, et ils durent encore attendre une bonne minute, avant que l’attaque ne soit autorisée.
Immédiatement, les policiers agirent. Une petite bombe avait été placée dans la serrure de la porte. Un policier appuya sur le détonateur, tandis qu’un autre, se tenant juste à côté, tenait dans le creux de sa main gantée une grenade étourdissante, les fameuses
flashbangs américaines. La serrure explosa, la porte s’ouvrant d’un coup, et le policier balança la grenade à l’intérieur. On entendit une légère explosion, et les policiers débarquèrent en hurlant, tandis que l’éclairage du duplex venait brutalement de se couper.
«
POLICE ! PERSONNE NE BOUGE !! » rugirent les policiers en entrant.
La porte d’entrée menait à un vestibule qui donnait rapidement à une mezzanine. D’autres policiers venaient de débarquer, et isl virent, en contrebas, sur le salon, une scène assez curieuse. Une femme était attachée au centre de la pièce, visiblement en souffrance. Un homme était mort, un scalpel enfoncé dans son œil, et une femme habillée de manière sexy levait les mains, faisant face à un corridor de lampes-torches et de fusils automatiques pointés sur elle.
Il ne s’écoula que quelques secondes avant qu’un policier, par mesure de précaution, ne sorte un pistolet tranquillisant, et ne tire sur la femme. Deux tasers frappèrent la femme à hauteur du cou, répandant dans son corps une décharge électrique qui la sonna. Plusieurs agents se saisirent de cette femme pour la menotter.
«
Dites aux infirmiers de se remuer le cul, il y a une victime... Pas encore morte, mais dans un état grave... Gotô est mort, et il y avait une autre femme... Probablement sa complice. Elle est en vie, oui, et neutralisée... La zone est sûre. »