« The crimson tide is flowing through your fingers as you sleep
The promise of a clean regime are promises we keep. »
Entre ses oreilles, la musique, délicieuse, défilait. De la crème auditive, tout simplement. Il n’y avait rien de mieux que les Red Hot pour se rappeler le pays. On avait beau dire tout ce qu’on voulait sur les États-Unis, il y avait une chose qui permettait toujours de ramener le débat au niveau : aucun autre pays au monde n’avait une meilleure richesse musicale. Jane n’admettait guère que la présence de l’Angleterre, mais elle estimait que la musique anglaise se confondait dans un genre anglo-saxon très américain. Quand on lui parlait de la France, elle poussait un petit rire dédaigneux : mis à part Indochine, la production française se résumait à des chansons d’amour stupides et creuses. Mais même les Français n’arrivaient pas à faire pire, dans ce domaine, que les Japonais. Leurs voix hurlantes dans les morceaux de rocks donnaient envie à Jane de pleurer, et la J-Pop était une horreur auditive rappelant les pires moments de dépression musicale des années 70’s.
Jane se détendait donc en écoutant, dans son baladeur, une musique du pays. Elle se trouvait dans le centre commercial de Seikusu, une vaste aire commerciale incluant plusieurs étages, de nombreuses galeries, et quantité de boutiques. Comme ses cours étaient finis, elle se promenait donc, car elle n’avait pas spécialement envie de retourner à son appartement, pour le moment.
« Several of my best friends know, the secrets of this town
And Mary wants to raise it up, and Sherry wants to spin it all aaaaaround, girl »
Il fallait dire que Jane était plutôt frustrée, en ce moment. Pas d’un point de vue sexuel, bien sûr, mais d’un point de vue
magique. Depuis plusieurs jours, elle essayait de réaliser un sortilège d’enchantement. Comme toujours, elle s’entraînait dans une pièce spéciale du grand appartement qu’elle partageait avec Nell, sa sœur. Elle se concentrait alors, et enchaînait les incantations, les formules et les sorts, afin d’enchanter son aspirateur pour qu’il fonctionne tout seul, et ce sur une demande de sa sœur. Cette dernière en avait assez de voir tout le bordel qu’il y avait dans l’appartement (bordel généralement causé par elle), et avait dit à Jane de se remuer les miches, et d’utiliser sa magie à des choses «
UTILES ». Du coup, Jane, qui estimait que seuls les domestiques devaient passer l’aspirateur, se forçait à enchanter le leur pour qu’il travaille. En quelques jours, tout ce que ce dernier avait réussi à faire avait été de s’enclencher, et de foncer tout droit pour heurter un mur.
Le résultat n’était pas très brillant, mais elle se refusait à désespérer.
« The cross between my former queen, her legendary stare
The holy tears of Ireland, the lovely cross to bear »
Pour l’heure, rien ne lui faisait envie. Elle passait devant les boutiques de fringues, sans avoir besoin de rien. Elle avait déjà toute une garde-robe fournie, et elle savait que la librairie du coin ne proposait rien de fondamentalement intéressant. Son esprit restait focalisé sur la magie, sur son aspirateur... Et sur la musique qui défilait dans sa tête, alors que, lentement, ses pas venaient à la conduire devant une boutique qui vendait des glaces.
« The saviour of your light
The monarchy of roses
The monarchy of roses »
Presque à contrecœur, Jane coupa son baladeur, et écarta les écouteurs de ses oreilles, afin de se rapprocher. Une glace, ça ne pouvait pas lui faire du mal, et, comme ça, elle ne serait pas venue ici pour rien.
*
Il va falloir que je retourne à l’appartement, je suis sûre que je vais y arriver, cette fois... Ce n’est qu’un aspirateur, après tout ! N’importe quel imbécile patenté est capable de le faire fonctionner, pourquoi est-ce que ça ne marche pas avec moi ?!*
Pour l’heure, la seule chose dans laquelle Jane ne s’était pas plantée était des potions roses, de puissants stimulants sexuels, des aphrodisiaques. Outre l’aspirateur, elle réfléchissait à un moyen de droguer tout le lycée avec ces fioles au réfectoire, lors du déjeuner. Un plan ambitieux et difficile à faire, mais il fallait se donner, dans la vie, de grands objectifs, nobles et altruistes. Créer une méga-partouze, c’était beau.
Jane se retrouva devant le vendeur. Elle portait encore son uniforme scolaire, et demanda une glace à l’italienne, saveur vanille.
«
Simple ou double ? -
Double, j’aime quand c’est gros. »
Perçut-il le jeu de mots ou non, le vendeur, visiblement lassé par sa passionnante journée à vendre des glaces, enclencha la machine d’une main graisseuse, et tendit la glace à Jane, se fendant d’un sourire télescopé. Jane récupéra son cône, et s’écarta de la foule. Elle s’avança un petit peu, et s’arrêta. Elle voulait manger sa glace en écoutant les Red Hot Chili Peppers, et, alors qu’elle récupérait ses écouteurs, un vil mécréant s’empressa de lui subtiliser sa glace.
*
Hein ?!*
Deux mains se saisirent rapidement de sa glace, et, en clignant des yeux, Jane leva la tête... Elle toisa de haut de bas une femme dans une longue robe noire, qui avait l’air d’avoir son âge. Jane se sentit soudain irritée : quelle était l’infâme truie qui osait lui piquer
SA glace ?!
«
Hey, la faucheuse ! Je sais pas exactement de quel trou-du-cul paumé du monde tu viens, mais cette glace est à MOI ! »
Elle la récupéra alors, en fusillant la pauvresse du regard, et enchaîna :
«
Si tu veux une glace, va chercher un boulot, feignasse ! »
Et, comme il fallait conclure, Jane termina par la plus grande insulte qu’on pouvait entendre en Californie :
«
Espèce de sale communiste. »