Lenwë. Ma maison d’adoption. Purée de grande baraque dans ce cas précis, mais c’était là ma destination du jour. Je crois que je ne pourrais jamais remercier Miuggrayd comme il se doit. Avant ce drame, il ne me connaissait pas. Il ne m’avait jamais croisé, pas une seule fois, ne serait-ce que de loin. Pour lui, je n’étais qu’une inconnue presque endormie dans les bras de la Mort. Et pourtant, ce jour-là, il m’avait pris avec lui, me portant sur son épaule comme un vulgaire sac de patates, jusqu’à l’Académie, afin de me soigner. Me remettre sur pieds était sa principale occupation, pour ne pas dire la seule pendant un long moment. Durant des semaines, il s’était tenu à mon chevet, nuit et jour, pour observer une quelconque amélioration de ma forme physique en premier lieu. Il m’avait retrouvé en piteux état au fond, jeune, affamée, déshydratée, affaiblie, et légèrement recouverte par les neiges. Il m’avait fallu au moins cinq longs jours pour sortir de mon sommeil forcé et reprendre mes esprits. Quelques jours de plus pour tenir enfin debout. Mais bien plus longtemps pour me remettre de ce carnage dont je n’avais pas été témoin. Ce massacre dont je suis l’unique rescapée. J’ai beau me dire que je devrais arrêter de ressasser ce genre de souvenirs, cette idée de vengeance ne met pas sortie de la tête. Mais ce ne sera pas encore pour tout de suite. Tout vient à point à qui sait attendre…
Cela faisait déjà quelques jours que je voyageais dans les contrées du Chaos afin de rejoindre Lenwë. Je n’avais pas peur de me perdre, car pour moi, tous les chemins mènent à Lenwë. Comme quoi, il y a toujours du bon à vagabonder un peu partout sur Terra. Chaque pas qui me rapprochait de l’Académie faisait battre mon cœur un peu plus vite. C’est vrai, je suis amoureuse de cette grande bâtisse. C’est un véritable lieu de repos pour un petit nombre de voyageurs, un genre d’étape avant d’autres marches dans les neiges. Pour autant, c’est avant tout une sublime école de magie, construite et tenue par des elfes. C’est là-haut que prône la bâtisse, dans les neiges éternelles, reposant à même la roche entre deux cols, les murs d’un blanc tout aussi pur que les flocons qui s’accumulent au sol environnant. Oui, Lenwë est un vrai havre de paix. Bon, il y a bien quelques querelles parfois, des jalousies comme de celles qui m’ont fait quitter l’Académie la première fois, mais ça ne m’a jamais empêché de revenir, en particulier pour voir Miuggrayd.
J’y suis toujours bien. Oh, bien évidemment, je retourne là-bas principalement pour le voir et prendre de ses nouvelles. J’en profite également pour me balader dans la Grande Bibliothèque, pour apprendre toujours plus sur ce monde végétal et sur Terra, ou bien, j’occupe mon temps à m’entraîner afin de manier mon arme avec un peu plus de souplesse et de rapidité. C’est pourquoi je suis là aujourd’hui. À mon arrivée, j’avais pris le temps d’aller à la rencontre de Miuggrayd, mon ami, qui était en train de faire cours à quelques humains ayant soif d’apprendre sur la magie, encore et toujours. Un peu comme moi, dans le fond. Après avoir pris de ses nouvelles et inversement, lui racontant les quelques bricoles qui m’étaient arrivées entre mes deux visites ici, je m’étais installée dans mes quartiers habituels, quand je viens prendre du repos dans la bâtisse. Ce n’est pas une grande chambre, mais c’est amplement suffisant pour moi. Un grand lit deux places, une armoire, un bureau avec un chandelier pour lire la nuit, et de quoi écrire quand l’envie me prend.
Le temps d’aujourd’hui était assez clément pour que je puisse m’entraîner dehors. Il y a bien des salles d’entraînement au combat à l’intérieur même de l’Académie, mais il est bien rare de croiser le fer dans un bâtiment, hors entraînement. Enfin, du moins, en ce qui me concerne. J’ai beaucoup plus l’habitude de me battre dehors. Il y a moins de casse ainsi. Aucun blizzard à l’horizon. Un simple courant d’air glacé me fait frissonner, alors que le soleil, légèrement haut dans le ciel, tape sur ma peau de Nunaat. Prenant place près de l’entrée principale du gigantesque bâtiment, j’avance lentement, mes sombres sabots s’enfonçant dans la neige encore fraîche de la nuit. Pas une empreinte. C’est magique, je dois dire. Ce tapis blanc et parfait scintille de mille feux.
Un fin sourire se dessine sur mes lèvres foncées et charnues. Le froid, personnellement, je ne connais pas. Mon sang de Nunaat et ma capacité à régir la glace m’aident beaucoup, faut bien l’avouer. Il faut le dire, pour atteindre Lenwë, être bien couvert de la tête aux pieds est plus que nécessaire, ou bien être comme moi, à supporter de très basses températures. Décochant ma hache de mon dos, mon
armure se change alors, comme à son habitude, alors que mon arme luit d’une lueur bleutée. Normal, Miuggrayd avait eu la bonté d’enchanter les deux objets pour que je puisse me défendre et me protéger comme il le fallait. Mon sourire s’étire plus franchement. Mon cœur bat un peu plus vite. Oui, me battre m’excite, même si ce n’est que pour m’entraîner. L’adrénaline, tout ça quoi…Agrippant la lourde lame à deux mains, j’effectue plusieurs mouvements, faisant voler la neige autour de moi, comme une explosion qui la sèmerait un peu n’importe comment. Mes attaques sont plus franches et directes, mais encore bien trop lentes à mon goût. Alors je continue ainsi, encore et encore. Être rapide avec ce genre d’armes est plutôt difficile et représente une sacrée faiblesse pour le combattant. Un véritable désavantage pour moi. C’est ce à quoi je travaille.
Un peu ailleurs, un bruit de pas lourd vient à mes oreilles pointues. Quelqu’un approche. Arrêtant tout mouvement, stoppant mon entraînement, je venais redéposer ma hache dans mon dos, l’armure à tête de lion disparaissant pour ne laisser que mon armure légère habituelle. Mes yeux blancs viennent alors se poser vers le lointain, bien devant la grande bâtisse. Une grande masse noire se dresse là, dans cette immensité immaculée. Sûrement quelqu’un qui vient voir un des elfes de l’Académie pour s’abreuver de leur savoir. On dirait bien un homme. Enfin, j’ai bien du mal à voir clairement, vu que la personne est recouverte d’une grande cape. Mh, je me méfie, car à la voir tituber ainsi sur le chemin, ça ne présage rien de bon.