« Voilà pourquoi le monde devrait être dominé par des armes enchantées, et non par des humains ! Vous n'avez que deux mots à la bouche : manger, et dormir, et cela vous distrait des choses vraiment importantes ! Ceux qui partagent ma nature n'ont pas de telles contraintes, et agissent ainsi avec un courage et une lucidité bien supérieurs !
–Tu es peut-être bien d'une vigueur supérieure, chère amie, mais tu es hélas un prototype bien unique. Combien y avait-il d'objets de ton envergure, dans la salle où je t'ai prise ?
–Aucun, bien sûr ! Mais le tapis ashnardien était doué de conscience lui aussi, je l'aurais juré. Parfois, j'avais l'impression que ses nœuds étaient comme des yeux qui me contemplaient…
–Et comment était-il enchanté ?
–Il ne l'était pas. À ma connaissance, il servait aux invités de la princesse à s'essuyer les pieds.
–…
–À bien y réfléchir, tant d'humiliations, s'il avait été intelligent, l'auraient sans doute rendu très méchant. Il est à souhaiter que je me trompe.
–Je suis sûr que cette étoffe sera prendre sa revanche un jour ou l'autre ! Mais cela ne change rien à notre débat, je le crains. Si nous voulons pouvoir intervenir la nuit, alors je dois dormir un peu le jour. C'est inévitable, et j'en suis désolé ma chère amie… Heureusement, ce sommeil diurne a été pour moi réparateur ! Je me sens en pleine forme pour agir, même égaré dans l'obscurité la plus profonde !
–Tant mieux : j'ai soif de justice.
–J'espère que ton appétit est grand. Ce groupe d'écorcheurs ne fera pas de nouvelles victimes ! Ce sera notre premier grand exploit. »
Le cosmopolitisme de Nexus, depuis qu'Ozvello y était arrivé, après quelques aventures troubles, ne l'avait pas contenu bien longtemps. Bien au contraire, toute sa vie, il avait été protégé au sein d'une cité, qui, en matière de places agitées, n'avait pas grand-chose à envier à la capitale. Si sa vie, considérant la bourse dont il disposait, n'avait été aucunement compliqué par rapport à la moyenne des habitants de la ville, il le regrettait presque. Oisif, le garçon se sentait coupable de ne pas faire usage de son statut de gentilhomme. En sus, Caracole adoptait dans ces moments là une attitude proche du harcèlement, en poussant très lourdement son porteur à l'action.
Bien vite, le jeune homme n'avait pas pu tenir un place, et en vaillant spadassin qu'il était, il avait cherché comment utiliser au mieux ses dons. Quelques témoignages l'avaient alors mis sur la piste d'une bande de vauriens qui dévalisaient les caravanes, et capturaient les voyageurs isolés. À n'en pas douter, la garde finirait par s'y intéresser, mais les malfrats se seraient probablement séparés avant, restant ainsi impunis. Il ne lui en avait pas fallu plus pour mener l'enquête. Enfin, après une journée de recherche, à défaut d'avoir découvert leur campement, il croyait avoir bien cerné le périmètre où, usuellement, ils commentaient leurs enlèvements et leurs pillages. Ceux-ci n'ayant lieu que de nuit, sur des zones où les marchands avaient l'habitude de faire halte, et il s'était donc préparé en conséquence. Notamment en faisant une sieste en fin d'après-midi, ce qui avait exaspéré la rapière.
Le bretteur avait pris le soin de prendre une ruelle discrète, où nulle ne passait, au demeurant, jamais. Après un regard à ses bottes, s'assurant que leur magie avait été déverrouillée par son arme, Ozvello fit un pas en avant… et se retrouva sept lieux plus loin. Il lui fallut encore un peu de marche pour atteindre sa destination. Enfin, se furent des bruits de pas qui l’alertèrent. Le jeune homme s'immobilisa un instant, alors que lui-même arrivait par une route perpendiculaire. S'il en croyait ses oreilles, il y avait là une dizaine d'hommes. Il n'avait pas vraiment songé à un plan, sachant sa supériorité martiale évidente sur les bandits.
La surprise, il le savait, n'était pas très digne d'un gentilhomme. Pour autant, même lui ne s'y serait pas lancé sans avoir un minimum de connaissance de la situation. Se faisant discret comme il l'était rarement, il rangea son orgueil et longea les fourrés. Dans cette position, il put voir sa lumière de deux torche éclairer un convoi proche de celui qu'il s'était imaginé. Huit malandrins se suivaient, trois formant une tête, deux surveillants les flancs, et les autres n'ayant, visiblement, pas de position prédéfinie. Leur démarche, tout comme leur équipement, n'avait en réalité rien de militaire. Leurs armes, Ozvello pouvait le voir d'ici, n'étaient guère bien entretenues, et ressemblaient pour certaines plus à des outils de paysan qu'à des engins de mort. Aucun n'avait de meilleur protection que quelques pièces et épaulettes de cuir. Seul était inquiétant, ou plutôt mystérieux, un petit homme replet, au centre, qui lui, ne transportait visiblement aucune lame.
Ils n'étaient visiblement pas en train de tendre une embuscade ou de chercher des dormeurs, mais de s'éloigner de leur zone habituelle. C'est seulement en apercevant un neuvième individu que le bretteur compris la raison de cette cessation d'activité. Celui-ci était à l'arrière, ligoté forcé d'avancer. De ce qu'il voyait, c'était un adolescent aussi grand qu'il était mince, le reste de ses traits étant dissimulés dans l'ombre. En matière de victime, cela ne valait pas, songea Ozvello, une belle jeune femme, mais il s'en contenterait. Sans attendre plus longtemps, il sauta sur la route, se retrouvant quelques mètres derrière les bandits, sans plus se soucier du silence.
Dégainant Caracole qui luisait déjà d'un fort éclat bleuté, il n'adopta pas de suite pour autant une attitude belliqueuse. Certain des malfrats s'étant déjà retournés cependant, il avisa :
« Messieurs, je suis au regret de vous annoncer que vos actes de brigandages ont trouvé leur fin ! Comme le veut l'usage, je vous proposerai une solution pacifique. Rendez-vous à la garde et relâchez le jouvenceau que vous retenez en otage, et ainsi votre honneur, au moins sera-t-il épargné ! Concernant votre vie, en revanche, je ne peux rien vous prom… »
Le bretteur plongea à terre en entendant le bruit sifflant de deux carreaux fondant sur lui. Il avait déjà eu le temps de repérer les tireurs, et savait qu'ils ne seraient plus dangereux avant plusieurs secondes. Il se releva en roulant sur lui-même, ce qui fit chuter son chapeau à plume dans la poussière. Sur un plan stylistique, la chose était regrettable, mais il n'avait pas le temps de le ramasser.
« Hélas, je n'avais jamais vraiment compté là-dessus ! Les malins sont tous les même ! Agressifs ! »
Puis il bondit, dispersant par des moulinets rapides deux hommes s'étant instinctivement rapprochés l'un de l'autre. L'un n'eut que le loisir de se saisir de son arme avant que Caracole ne trouve le chemin jusqu'à sa gorge, en ressortant rouge du premier sang.
« Mais lents ! »
Profitant du désordre qui régnait encore, Ozvello transperça avec un geste presque contigu le poitrail du second, qui prit de faiblesse, recula, puis s'affaissa.
« Et interchangeables !
–Si on t'attrape vivant, je t'assure que ton honneur sera pas épargné, petit merde » lança un bandit de l'avant-garde.
Le jeune homme fit un pas en arrière, et para sans grand mal le coup d'épée pourtant puissant que lui portait un de ses agresseurs qui lui avait foncé dessus. À sa propre surprise, il sentit à peine la vibration du choc lui remonter le long du bras, et malgré sa force sans doute bien inférieure, il n'eut pas de difficulté à faire dévier la lame. Caracole, songea Ozvello, avait été enchantée de manière admirable. Se trouvant dans une position de force, il désarma son adversaire, et mis son épaule hors d'usage pour longtemps, avant de le mettre au sol en le frappant vigoureusement au visage de son autre poing fermé.
« Et prévisibles ! »
Deux autres bandits fondant sur lui, il n'eut d'autre choix que de se dérober pour briser leur élan. Déparant sur le sol et se redressant brusquement, sa cape volant au vent, il parvint comme par miracle à passer derrière eux sans que ceux-ci anticipent la manœuvre, et sans que ceux-ci ne puissent lui porter le moindre assaut.
« Et stupides ! »
Il avait de cette façon nettoyé assez bien la zone où se trouvait encore l'otage. Courant vers lui, il défit d'un seul mouvement de taille les liens qui lui maintenaient les mains, Caracole entaillant la corde avec une facilité exemplaire, encore qu'elle ne soit aucunement conçue pour ce type de passe. Sans se détourner de ses adversaires, Ozvello saisit une longue dague qu'il avait à sa ceinture en supplément, et la jeta derrière lui, dans la direction du garçon.
« Bats toi si tu en es capable ! Ou alors fuis dans la direction que tu jugeras bonne ! » lui invectiva-t-il.
Il restait encore en état de combattre cinq hommes, dont deux tireurs, ainsi que l'intrigant personnage sans arme.