« Hey, l’Américaine ! Bouge ton gros cul ! »
Des rires gras accueillirent cette assertion, et Jane sut qu’on s’adressait à elle. Celui qui venait de lui parler de si bonne heure s’appelait Eita Hozora. À Mishima, il était une espèce de terreur, de petite brute qui aimait voler les goûters des autres lycéens, les rackettait, et affirmait traîner avec une bande de gangsters et de soudards le soir, qui fumaient des pétards, et vandalisaient des voitures. Vrai ou non, Eito était un chieur pur, dans tout l’art et la manière. Il était gros, mais de cette obésité qui ne vous donnait pas envie de le plaindre... Si tant est que Jane puisse un jour arriver à plaindre quelqu’un. Eito était obséquieux, injurieux, séchait les cours, et ne venait visiblement au lycée que pour deux choses : faire des avances sexuelles envers les filles, et refiler sa dope. Un cassos, futur chômeur, qui, à sa manière, militerait pour la stérilisation forcée de la population.
Jane était devant son casier, à ranger ses affaires, quand Eito l’avait invectivé. Les types qui l’accompagnaient se mirent à rire, trouvant visiblement très amusant de dire à une femme qu’elle avait de grosses fesses... D’autant plus que Jane était loin d’avoir un gros cul. Elle ne répondit pas sur le coup, sentant la moutarde lui monter au nez, et attrapa son livre de sciences naturelles, le cours qu’elle avait sous peu.
« Hey, la salope, t’as entendu ? Tu bouges le passage, dégage de là ! »
Jane soupira en fermant les yeux. Face à des petites frappes, le bon sens commun imposait de s’écraser, afin d’éviter d’avoir des ennuis. Mais Jane n’était pas n’importe qui. Si elle serait restée en Californie, elle serait actuellement dans un riche lycée privé, probablement conservateur, évidemment chrétien, voyageant en limousine et dans des voitures de sport dernier cri. Au lieu de ça, elle avait décidé de s’exiler à Mishima pour développer son héritage de sorcière, et devait donc faire quelques sacrifices... Comme aller dans un lycée public, la lie de l’humanité, regroupement d’abrutis, de dépressifs, et de futur chômeurs et autres assistés qu’on traquait aux États-Unis avec la hargne d’un contrôleur fiscal poursuivant un fraudeur.
« J’ai entendu, répliqua-t-elle alors, mais, tu sais quoi, le Mammouth ? Tu devrais peut-être penser à faire du sport, ça éviterait que tout le monde doive systématiquement s’écarter quand tu passes dans le coin. »
Eito écarquilla les yeux, ne s’attendant visiblement pas à ce qu’on lui réponde.
« Co... Comment tu m’as appelé, là ? Je crois que j’ai pas bien entendu... »
Elle soupira. Dans sa tête, une petite voix lui disait de s’arrêter, de stopper les hostilités, mais elle était comme un appel dans une gare surchargée : inaudible au milieu des trains plongés à pleine vitesse, des crissements sur les rails. Elle voyait Eito se rapprocher. Il n’était que neuf heures du matin, et on les lui brisait déjà ! En voilà un qui allait regretter d’avoir fait chier Jane Watson, foi de Californienne !
« Tu veux que je répète ? La graisse est remontée jusque dans ton cerveau, le trente-six tonnes ? »
Eito virait au rouge, serrant ses grosses paluches, ressemblant à une espèce de bœuf, comme si de la fumée s’échappait de ses narines. Il frappa contre la porte du casier de Jane, la fermant subitement, et se pencha vers elle.
« Misérable petite pute, je vais te montrer comment les femmes doivent se comporter dans un pays civilisé ! »
Jane était convaincue qu’Eito n’aurait aucune hésitation à frapper les femmes.
Fort heureusement, elle n’en avait aucune à frapper les hommes. Et elle savait que, peu importe la taille, la carrure, les muscles, ou les graisses, tous les hommes avaient un seul point faible. Sa main gauche, penchée vers le bas, se redressa soudain... Et frappa l’entrejambes d’Eito. Il poussa un couinement de surprise, tandis que Jane sentait, entre ses doigts, quelque chose de mou, d’arrondi, et de flasque. Elle serra et tira, tordant cette chose, et Eito sentit ses jambes flancher. Il tomba sur le sol, et Jane utilisa son autre poing, et le frappa au nez, à l’aide d’un uppercut bien senti.
« Là d’où je viens, j’aurais demandé à mes gardes du corps de te tabasser et de te balancer à poil dans une poubelle rien que pour poser ton regard de sale porc sur moi. Mais je crois que je vais devoir me débrouiller toute seule... Ce qui ne sera pas plus mal...
- Pé... Pétasse, oh putain, aaaaah... »
Il était couché sur le ventre, et ses potes ne riaient plus... Et n’osaient pas non plus s’approcher. Jane posa le bout de son pied sur son épaule, et le retourna, l’envoyant se coucher sur le dos.
« Ça fait mal, hein ? Tu souffres, hum ? »
Sans attendre sa réponse, elle leva le pied, et l’abattit en plein sur ses joyeuses. Un gros coup qui souleva le corps d’Eito. Il écarquilla les yeux, poussant un hurlement silencieux.
« Maintenant, tu as des raisons de te plaindre. »
Jane regarda ensuite autour d’elle, dans le couloir, et vit une poubelle. Elle s’y avança, les lycéens s’écartant prudemment d’elle. Il y avait comme une espèce d’attroupement muet, de murmures silencieux, et de téléphones portables prenant des photos. Jane attrapa la poubelle, puis en déversa le contenu sur la tête d’Eito.
« Je vais t’apprendre qu’il ne faut pas faire chier une Américaine sans avoir des couilles en fer, mon cher. »
Elle récupéra la poubelle, sortit le sac poubelle, balançant la poubelle, qui rebondit contre un casier, puis l’étira. Il y avait quelques tâches visqueuses à l’intérieur, ainsi qu’une odeur de mort. Elle se mit à califourchon sur Eito, qui était toujours aussi rouge.
« J’ai assez vu ta sale gueule, connard. Non... On a assez vu ta sale gueule » proclama-t-elle.
Attrapant le sac-poubelle, elle entreprit alors de le mettre sur la tête de l’homme, le faisant descendre jusqu’à son cou, puis tira dessus, et attrapa les ficelles jaunes à l’extrémité du sac, afin de former un nœud.
« Allez, Jane ! s’exclama un lycéen.
- Go Jane go !! » renchérit d’autres.
Eito n’était vraiment pas populaire.
Et c’était bon de se faire acclamer par la foule en délire !