« Je crois n’avoir jamais compris pourquoi les Anges n’ont pas détruit ce royaume... notait l’homme à lui-même en avançant tranquillement. Ils traitent les prisonniers d’une manière tellement... Barbare. Et puis, je connais bien des philosophes qui s’insurgeraient à l’idée qu’on puisse concilier la notion de ‘‘paradis’’ avec celle de ‘‘priorité’’.
- Comme vous Père ? demanda Shaina.
- Oh non. Non, non, non non ! répondit-il en secouant la tête. Ai-je l’air d’un anarchiste ? Je ne suis qu’un brave gars qui aime écouter de vieux morceaux de rocks, chanter le Samedi soir dans les bars où circule du country, et prendre un pack de Six en bossant dans mon garage le Dimanche après-midi. »
Shaina n’ajouta rien, conservant le silence. Les gardes les avaient passés. Les quatre femmes entourant Flagg portaient leurs combinaisons grisâtres et moulantes. Une tenue assez singulière, très futuriste, et leurs cristaux ne se luisaient pas. N’importe quel signe magique était susceptible de les repérer, et Père n’y tenait pas particulièrement. Mains dans les poches, Flagg s’avançait, joyeusement, un sourire sur le coin des lèvres. Même pour elles, Randall Flagg était difficile à comprendre. De lui, elles ne savaient que ce qu’il avait bien voulu leur dire, mais l’idée de le trahir ne leur viendrait jamais à l’esprit. Elles étaient les damnées de la Terre, et elles lui devaient tout. Absolument tout. Comment trahir celui qui les avait secourues, le seul à leur avoir tendues la main quand tous les autres n’avaient cherché qu’à les briser ?
Le groupe suivait des gardes à travers de grands couloirs majestueux, jusqu’à atteindre la salle de trône. C’était également une énorme pièce, avec un trône devant eux, où siégeait une femme à la beauté renversante. Il se dégageait d’elle une autorité naturelle. Elle n’était naturellement pas seule, puisque, de son côté, cinq individus austères les dévisageaient. Ils étaient méfiants. On pouvait les comprendre. Flagg leur avait expliqué que le Paradis était une dimension alternative dont la perception était biaisée sur Terre. Les seuls messages du Paradis étaient les Anges, et l’Histoire, les rumeurs et les légendes, ainsi que les déformations politiques, avaient donné une vision tronquée de ce que, le Paradis, réellement, était. Une dimension parallèle similaire en bien des aspects à la Terre, où les Anges dominaient fièrement dans les Cieux.
Flagg s‘avança un peu, et retira ses mains de ses poches, avant de se pencher élégamment, remuant ses longs cheveux.
« Dame Lucretia Dorea Callidora Charis Elladora Drusilla Carmilla Melisande Rowena, 692ème Impératrice du glorieux empire de Lucretia, Descendante de la Grande Déesse Lucretia, Messieurs les Commandants des Cinq Légions, ensemble la Procession Impériale de Lucretia, Moi, Randall Flagg, honorable magicien et voyageur de mon état, accompagné de mes quatre filles et gardiennes, respectivement Shaina la Louve, Natalia la Pieuvre, Keriya le Faucon, et Maria la Poupée, Sommes honorés d’être reçu par Sa Majesté en personne. »
Il avait sorti cette longue phrase protocolaire sans ciller, à l’aide d’une révérence parfaitement exécutée, et entreprit de se redresser. Les quatre filles l’entourant restaient silencieuses, observant les environs, se préparant déjà à d’éventuelles hostilités. Pour elles, il ne faisait aucun doute que, si les tout-puissants Anges, qui avaient dominé l’Univers, et dont la Milice Céleste, l’armée principale des Anges, était réputée pour être l’armée la plus puissante ayant jamais vu le jour, toléraient ce royaume, c’était bien parce qu’il lui était inférieur. Des réflexions qu’elles n’auraient naturellement jamais formulé à haute voix.
Flagg se taisait respectueusement, attendant que l’Impératrice l’autorise à parler, afin qu’il exprime ses doléances. Il ne serait pas dit qu’on le surprendrait en train de faire une faute protocolaire. Les enjeux étaient bien trop importants. Si les informations qu’il avait étaient vraies, il s’agissait de l’une des Treize Sphères. Ceci méritait tous les sacrifices et tous les risques possibles et inimaginables.