Jamais Ozalee n'aurait pensé, en entrant dans ce lieu étrange, sous l'impulsion d'une idée qui s'était presque par hasard trouvée plus forte que les autres, être embarqué dans de telles péripéties sensorielles. Il ne s'était pas formalisé du refus de la dame à donner son nom, et déplorait simplement de ne savoir comment l'appeler, ce qui pourrait par la suite se trouver gênant. Il voyait cela comme un jeu, finalement, et l'attitude de la mystérieuse jeune femme ne faisait que le conforter dans son impression. Il se demanda un instant à quel comportement s'adressait ses appels redoublés à la gentillesse et au mérite, puis songea qu'il le saurait assez vite, et préféra éclipser cela aussi.
« Il ne faut pas t'en faire. Je ne manque jamais de mystères » fit-il doucement, tentant d'être un peu énigmatique à son tour.
Il était presque frustrant, une fois les escaliers gravis, de parcourir sans plus s'y attarder les lieux réservés aux plus prestigieux. C'était un sentiment très lié à la vanité, car alors qu'il ne connaissait même pas tous les recoins des étages les plus simples, il n'aurait pas du ressentir d'exaltation supplémentaire à découvrir ces salles interdites. Pourtant, il y avait dans cette exploration de quartiers de luxe, que le commun des mortels ne verraient jamais, un prestige bien réel. Il aurait aimé contempler plus les mobiliers riches et feutrés, peut-être même discuter un peu avec l'hôtesse, qui à la manière de sa guide, lui fit une impression singulière. Il s'en consola bien vite : qui se souciait de regarder les parures et les ornements quand il y avait, toute proche, la perspective d'un show intimiste ? Sonia, ce prénom m'évoque le bleu. Et quelque-chose qui pulse, puissamment.
La pièce, cette salle numéro trois, ne s'était guère montrée réceptive aux prédictions de l'adolescent. En lieu et place de l'azur qu'il avait supposé, y régnaient en maître des teintes rouges et violettes très sensuelles. Les lumières y étaient à la fois beaucoup moins violentes et plus régulières que dans les autres halls qu'ils avaient traversés. Il y avait comme un aspect de salon à la disposition des commodités. La chambre incitait moins, peut-être, à l’émergence d'un état second et désinhibé par le brouhaha, la foule remuante et la confusion générale des sens. En revanche, le tonnerre de la musique du dehors capitonné, il y avait là plus de langueur que n'importe où ailleurs. Pour le moment, Ozalee n'était pas très à l'aise. Cela tenait moins de l'ambiance dont il appréciait le calme que du fait qu'il était à présent seul avec la mystérieuse femme aux charmes troublants et qu'elle ne cherchait nullement à cacher.
Bientôt, les règles furent énoncées. Elles étaient sévères et restrictives, pourtant, il ne souffrit pas l'envie de les contester. Alors qu'il aurait pu s'offusquer qu'on lui parle ainsi, presque comme à un animal qu'on dresse, il choisit sagement d'entrer dans le périple ludique qu'on lui proposait. Ozalee n'avait pas d’orgueil mal placé, ou le faisait-il taire, et tant qu'il jugerait l'exercice distrayant, il l'accepterait très bien. Je ne suis pas un prince ou un chef de clan, après tout. On peut bien me donner des ordres, je n'ai pas d'autorité particulière à avoir. D'accord, je suis puissant, mais je n'ai pas de légitimité autre, pas de rang à tenir. J'ai autant le droit de me soumettre que celui de refuser. Mon choix est fait ! Il acquiesça ainsi d'un vif signe de tête, sans rien ajouter de plus, presque par crainte ; peut-être l'épreuve était-elle déjà débutée.
L'adolescent manqua d'être surpris pour la troisième fois de la soirée en voyant entrer la tant attendue Sonia. Son foulard bleu l'enchanta, car finalement, il lui reconnaissait quelques talents de devin. Bien sûr, ce ne fut pas ce qui le frappa en premier, car la manière que la danseuse eut de s'emparer de la bouche de sa cliente lui fit un effet bien plus grand. Il s'attendait presque à ce qu'elle en fasse de même avec lui, hélas, il ne fut quitte que pour un sourire, aussi envoûtant se révéla-t-il. Il y avait encore des traitements, semblait-il, pour lesquels il n'était pas accrédité. Peut-être, comme le disait si bien celle qui avait les clés de tout cela, s'il était gentil, il pouvait toujours espérer que cela change. Elle lui laissait d'ailleurs l'occasion de s'exprimer, car elle lui avait posé une question.
« Elle est… oui… » commença-t-il, peinant à trouver des termes qui conviendraient. « … différente des autres. Tu choisis bien tes préférées. Son corps est très beau. »
Les mots étaient faibles, cependant dans sa bouche qu'on sentait émue ils prenaient la force de celui qui réserve un peu son vocabulaire par dignité. Il n'aurait pas eu de scrupule à briser l'indolence du lieu par une évocation plus crue, s'il n'avait pas voulait paraître trop avide. Il préférait, encore quelques minutes, réserver son désir pour lui, faire semblant d'en être le maître et non l'esclave. Il y avait pourtant de quoi se damner à regarder de si près ce qui n'était plus seulement une silhouette embrumée, mais une anatomie dont on pouvait profiter de tous les détails. Presque tous les détails… Il y avait tant de peau à nue, les habits qu'elle portait étaient si minces, et pourtant, le peu qui était couvert prenait peut-être encore plus d'importance que le reste. C'étaient de tout petits morceaux de chair qu'il était si tentant de vouloir dévoiler. Y aurait-il pensé, il aurait sans doute trouvé cela ridicule. Mais il réfléchissait pour l'instant très peu, et le verre d'alcool qu'il avait pris n'expliquait pas tout.
La musique, s'il y faisait à peine attention, renforçait l'excitation latente. Ozalee laissait apparaître sur son visage une expression où le ravissement le disputait à de vieux restes de timidités qui n'allaient pas tarder à disparaître. La jeune femme avait vite saisit, c'était manifeste, la préoccupation qu'il avait de cacher sa tentation, et son jeu cruel n'avait d'autre but que de l'obliger à en faire l’étalage. Quelques personnes auraient pu y trouver une forme d'humiliation, le jeune homme, lui, n'avait pas tant de pudeur. Ses appréhensions étaient en tout cas très loin. La proximité faisait gagner en lubricité ce qu'elle perdait en romantisme, et les balancements terriblement sensuels de Sonia lui firent oublier ce qu'il en demeurait. Il oublia aussi ce que l'éventuel jugement de la maîtresse de cérémonie sur son attitude pouvait avoir de déplaisant.
Cette poitrine si opulente, à chaque mouvement, manifestait son envie d'être libérée, pareil à un appel. J'ai une envie irrésistible d'être à la place de ce sous-vêtement. Comme il doit être agréable de soutenir ses seins. Je suis jaloux. Il n'est pas été juste de les retenir plus longtemps, ça n'est pas dans l'ordre des choses. Les voir ainsi entravés est trop douloureux. La chaîne suffit. Ils doit être nus pour remuer davantage. L'adolescent frappa deux fois dans ses mains. Il ne voulait pas suivre l'ordre des choses car le ruban ne le dérangeait pas. On verrait moins bien ses belles formes si elles étaient cachées par des cheveux qui tombent.
Il lui avait toujours semblé qu'il faisait chaud, dans cette boîte de nuit, et il avait attribué cela aux nombreux corps qui étaient en mouvement. Pourtant, ils n'étaient que trois dans la salle, et il cuisait encore plus. Devait-il se délester de quelques couches d'habits ? Il s'était parfois présenté dans son plus simple appareil à ses semblables pendant quatorze années de sa vie sans ressentir la moindre gêne, et ça n'était pas une année dans le monde moderne qui allait changer ses habitudes. D'autant qu'être aussi apprêté ne lui était pas naturel, et frustrait certaines parties sensibles de son anatomies qui auraient désiré qu'il opte pour une coupe moins serrée. Toutefois, il avait mis tant de soin à se parer qu'il trouvait dommage de se défaire aussi vite de tout vêtement. Son interlocutrice avait certainement raison : il fallait savoir ménager un peu le mystère.
L'adolescent se contenta donc d'ouvrir sa chemise, pensant que cela suffirait à le soulager temporairement. Les boutons pression cédèrent, puis il dégagea ses membres des manches, laissant le haut défait sur le sommet du canapé. Son torse était alors tout apparent, l'épiderme très bronzé l'était sur certaines zones un peu moins, n'ayant pas pris aussi bien le soleil que le reste du corps depuis quelques mois. Ses colliers en bois collaient à sa peau recouverte d'une légère pellicule de sueur. Cette dernière aurait fait couler les marques blanches -qu'on aurait pu croire limitées à son visage et à ses bras, et qui zigzaguait en fait également sur son ventre et son buste- si elles avaient été peintes. Au contraire, l'humidité ne les flouait pas et les rendait même plus évidentes. Ozalee laissa échapper un soupir de satisfaction et adopta une posture légèrement avachie, dans le but de ménager les tiraillements croissants qu'il éprouvait un peu en dessous de la ceinture.