Genisia, un coin de paumé, royaume embryonnaire en bordure d’Ashnard pris entre des marais et une chaîne de montagne habitée par des Nains. Ces derniers ne pratiquent pas l’esclavage, et il y a trop peu d’or ici pour les intéresser. Mais il y a ce prétendu palais royal : un fort de bois bien arriéré au sommet d’un gros remblai. Une motte castrale, ça s’appelle. Sans doute ce que j’ai vu de plus minable dans le genre. Un vague village au pied du tas de bouse, le château d’allumette au sommet, le tout séparé par des douves et ceinturé d’une palissade. Je pourrais raser cet endroit sans trop d’effort en y foutant le feu, même si ça craindrait avec la forêt tout autour.
Mais je ne peux pas, évidemment que je ne peux pas. Il y a des esclaves là-dedans. Je suis en mission spéciale, le Conseil et l’État-Major ont décidé de me laisser ma chance. Je n’ai pas fait grand-chose, mais après une semaine de voyage avec une bande de nabots puant pleins de puces je commence à avoir une petite réputation. Personne ne m’a percée à jour, j’ai le choix entre rentrer à pied ou appeler mon évac. La décision est prise maintenant que je suis venue rôder par ici. Quitte à faire venir un vaisseau je ne serais pas seule à regagner Caelestis : j’aurais trente à cinquante esclaves avec moi.
Une estimation rapide, je n’ai pas eu le temps de bien repérer les lieux. Il va falloir agir vite et bien, mais seule je vais avoir du mal. Je me suis repliée dans la forêt, en retrait de la route pour faire un petit point. Ma tenue : chausses et chemise en coton, bottes en cuir, plastron et avant-bras de cour bouilli, une cape vert sombre épaisse par-dessus. Mes armes : un wakizashi et un tanto à la ceinture, une dague dans la botte droite, et à la limite la corde que j’ai dans le sac. Je suis légère en matériel et mes pouvoirs ne seront pas d’une si grande aide. Grâce à l’air j’aurais des options, surtout pour approcher. Mais je ne peux pas prendre le risque de mettre le feu, ni de creuser un tunnel dans ce sol déjà troué de partout.
En l’état actuel des choses je n’ai qu’une option à peu près jouable : attaque de nuit. Ça ne suffira pas, et il y a urgence. Il y a une fille là-dedans qui est en train de crever. Ils l’ont collée dans une vierge de fer au milieu de la cour, sans doute pour l’exemple. La pauvre est déjà debout depuis des heures, elle doit être en train de cuir et surtout elle se vide lentement de son sang. Je dois la sortir de là rapidement. Autre option, tout à fait irresponsable : assaut frontal. Je rentre droit dans le lard de ces enfoirés et je les dégomme le plus vite possible. J’en suis capable, mais ils doivent être une vingtaine de soldats, autant de soi-disant civils et ils ont trente à cinquante boucliers humains sous la main.
Ça se présente mal et le soleil tape fort. Je ne peux pas demander une intervention, ma présence n’est pas officielle et ce territoire est sous protectorat, Ashnard pourrait prendre ça comme une déclaration de guerre. C’est l’idée de base : je suis toute seule pour agir. Je n’ai droit à aucun soutien, je n’en aurai pas non plus quand j’aurai enfin remis la main sur mon enculé de géniteur.
Retour au présent, ma fille ! Chaque seconde compte, il va falloir que je me décide. Mais en tendant l’oreille je capte un élément nouveau. Un oiseau qui dégage à tire-d’aile, il vient du chemin et passe au-dessus de moi. Quelqu’un ou quelque chose approche dans le coin. Je vais me poster en bordure du chemin... Un homme. Un des leurs ? Un marchand ? Un pauvre glandu de randonneur ? Je dois tirer ça au clair, ce qui impliquera peut-être de l’éliminer. Je guette son approche, ma main gauche enserre déjà le fourreau de mon sabre court, mon pouce relève sa garde alors que ma main droite étreint la poignée. Puis je bondis de ma cachette, dégainant pour pointer ma lame sous le menton de l’inconnu.
« Crie et je t’égorge. Qu’est-ce que tu viens faire par ici ? »
Inutile de préciser que la réponse a intérêt à me plaire.