Loïs Lane... Pour Rachel Hawkes, ce nom ne signifiait pas grand-chose. Elle n’avait pas spécialement eu le temps de se tenir au courant de l’actualité médiatique, ayant été en Afghanistan pendant des mois, avant de suivre un entraînement spécialisé dans une base top-secrète perdue dans les Rocheuses. Autant dire qu’elle n’avait pas spécialement eu le temps de se plonger dans la presse spécialisée... Et, de manière générale, elle n’appréciait guère les médias. Elle leur reprochait de vouloir faire le buzz, de déformer la réalité, de la modeler à leur propre sauce, afin d’inciter les gens à acheter leurs torchons. Pour elle, la grande époque des périodiques était révolue depuis longtemps. Elle l’était depuis que les gens préféraient savoir quel genre de string portait Britney Spears, ou avec quelle fille Brad Pitt ou Dieu sait quelle icône fétiche d’Hollywood était sorti Samedi soir, plutôt que de se renseigner sur les sujets d’importance, comme l’affaiblissement progressif de la démocratie dans les pays occidentaux, ou le retour en force de l’insécurité et du racisme, sur fond d’intolérance. Elle s’inquiétait de voir dans son pays la hausse des mouvements radicaux extrémistes, et elle regrettait fermement que les médias soient aussi puérils, aussi ridicules, dans le traitement de l’information.
En conséquence, quand Lloyd avait dit à Rachel qu’elle aurait une journaliste aux fesses, Rachel avait cru à une sinistre blague. Lloyd avait toutefois bien joué son coup, en commençant par lui dire que Loïs Lane était la fille d’un général américain, Sam Lane. Sachant que Hawkes était fille de militaires, il savait que cet argument serait plus pertinent que n’importe quel article montrant l’objectivité et le professionnalisme de Loïs Lane. Rachel n’avait toutefois été qu’à moitié convaincue. Une fille de général qui était devenue journaliste ? Pour elle, il y avait quelque chose qui sonnait faux dans cette description. Mais elle s’était tout de même un peur enseignée, vu que Lloyd lui avait clairement fait signifier que son avis n’était pas requis. L’ordre venait d’en-haut.
« Tu comprends, avait-il dit, les Japonais aiment bien les filles sexy et les belles armures, mais le gouvernement s’inquiète de voir tant de cow-boys et de cow-girls chez eux... Et le public, aussi. »
Il lui avait parlé d’une série de sondages réalisés par l’un des grands périodiques du Japon, le Yomiuru Shinbun. Un journal que n’importe quel journaliste venant au Japon se devait de connaître, puisque c’était le quotidien le plus vendu dans le monde entier. Le Yomiuru était un journal conservateur, qui exprimait quotidiennement dans ses chroniques son désir de réviser le célèbre article 9 de la Constitution japonaise, ce fameux article qui interdisait au Japon le droit de faire la guerre. Le Yomiuru tirait constamment à boulets rouges sur cet article, mais de manière réfléchie et professionnelle, et prenait notamment comme exemple les nombreuses bases américaines, en décrivant le Japon comme une sorte de succursale américaine, et les bases américaines comme un cheval de Troie qui muselait le glorieux Japon. Le SHIELD, ainsi que l’armée américaine, ne tenaient pas à ce que les autorités japonaises leur demandent d’abandonner Seikusu, qui était une zone beaucoup trop sensible pour que l’OTAN se retire sans difficulté. Ils avaient donc accepté d’ouvrir un peu les portes de Seikusu Base, en y invitant une journaliste que les Japonais apprécient... Ce qui, à vrai dire, était en soi un exploit, compte tenu de l’hostilité globale que les Japonais ressentaient à l’égard des étrangers, des geijins.
Rachel avait appelé son père il y a deux jours. Général, il siégeait au Pentagone, et lui avait expliqué que la décision remontait vraiment d’en haut lieu. Il lui avait expliqué que Sam Lane était aussi intervenu pour qu’on y envoie sa fille. Lui et Hawkes Senior se connaissaient. Pas au point d’aller pêcher le Dimanche dans une cabane au fin fond du Maine en se disant à quel point leurs filles étaient insupportables, mais suffisamment pour que son avis compte. Sam Lane était plutôt hostile aux super-héros, mais, en ce sens, il ne différait pas beaucoup de la plupart des militaires.
Rachel s’entraînait dans la salle sportive. Elle portait un débardeur bleu, et avait noué ses cheveux en queue-de-cheval, et soulevait son corps à une barre en fer. Elle respirait par à-coups. Ce n’était pas parce qu’on portait une armure virtuellement invulnérable qu’on pouvait se permettre de négliger son entraînement. Rachel s’entraînait donc, lorsque la porte du gymnase s’ouvrit.
« Ah, Mlle Hawkes ! En pleine activité, comme toujours ! »
Poussant un léger grognement, Rachel se laissa tomber sur le sol, et attrapa une serviette, épongeant sa nuque couverte de sueur. On pouvait voir, sur son ventre, au-dessus de son nombril, le disque monolithique noir qui actionnait l’armure. Lloyd était face à elle, avec Loïs Lane à ses côtés.
*Plutôt sexy, pour une journaliste...*
L’agent du SHIELD, au classement n°1 des hommes les plus sexy du bureau, d’après le personnel féminin de la base, se fendit d’un léger sourire.
« Je vous présente...
- Mlle Lane, je suppose. On m’avait prévenu de votre arrivée lâcha Rachel en tendant sa main vers elle, pour la serrer. Navrée pour la tenue, j’ai la fâcheuse habitude de passer plus de temps que prévu à m’entraîner. »
Lloyd s’éclaircit la gorge
« Je vous fais confiance, Mlle Hawkes, pour s’occuper de notre invitée. Mesdames... »
Et, disant cela, Lloyd s’éclipsa. Rachel reprenait un peu son souffle, calmant son rythme cardiaque.
« Et bien, je vous souhaite la bienvenue, Mlle Lane. Y-a-t-il un endroit en particulier que vous aimeriez voir ? »
Elle savait que Loïs Lane disposait d’une certaine liberté dans la base. Elle ne pouvait pas tout voir, mais elle pouvait déjà en voir beaucoup... Et avait le droit de prendre des photos.